L’observatoire du progrès // juin 2024

Les dents de l’amertume

« C’est de l’apocalypse cognitive. C’est quasiment de la fake news. On importe une problématique qui n’a jamais existé dans l’Hexagone ». Fondateur du Groupe Phocéen d’Étude des Requins, Nicolas Ziani n’a pas de mots assez forts pour dénoncer le blockbuster du moment de Netflix. Il faut dire que la machine à broyer les cerveaux fait une bien vilaine pub à ses protégés avec le film « Sous la Seine », qui met en scène un gang de requins mako croqueurs de triathlètes. Un scénario qui n’a « aucune crédibilité scientifique », tonne l’amoureux des squales dans les colonnes du Parisien

Seulement sur Netflix.

Que l’on ne s’y méprenne pas, il y a quelque chose de touchant à voir un homme faire pareillement corps avec son sujet d’étude. Mais l’on se prend tout de même à redouter les réactions de la communauté scientifique pour un prochain remake des Gremlins. 

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Garde la pêche

Il restait peut-être un ultime domaine de l’existence où un bataillon de communicants n’avait pas encore entrepris de nous rééduquer : la manière dont nous tentons de satisfaire discrètement nos besoins naturels en randonnée. C’en est terminé puisque le Club Alpin Suisse et l’association Suisse Rando ont eu la judicieuse idée de lancer la campagne « Pose ta pêche » sur les réseaux sociaux, soutenue par des vidéos « humoristiques » et un hashtag aussi élégant que #scheissmoment dans la langue de Goethe. 

Qu’est-ce qu’on y apprend ? À préférer les WC des cabanes plutôt que le bord du chemin, à ne pas se vautrer en se planquant derrière un sapin ou encore à ne pas polluer les cours d’eau. Avec 3400 vues pour la vidéo en français qui a eu le plus de succès, à la mi-juin, on peut se demander si la campagne a trouvé son public. Peut-être qu’une saison 2 consacrée aux bons spots pour vomir sur les glaciers aura davantage de succès.

Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites.

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Terre et Sororiture

Après la journée internationale contre l’homophobie et la transphobie du 17 mai, c’était au tour du mois de juin entier d’être consacré aux fiertés, avec en point d’orgue une manifestation sur plusieurs jours à Zurich. Mais face à l’avalanche des libérateurs-teufeurs, une étrange espèce résiste : la femme en colère, qui défile le 14. Le journal Terre et Nature a d’ailleurs donné la parole à l’une d’entre elles dans son édition du 13 juin. Soucieuse de faire « évoluer les mentalités » et d’en finir avec la « division genrée du travail », Aline Chollet y raconte l’histoire personnelle qui l’a poussée à cofonder l’association Les Femmes de la Terre: en clair, un affreux conflit familial lié à la reprise du domaine (et amplifié par sa prise de contact avec une avocate). Mais pour le reste, ambiance au top et on a vraiment envie de la suivre dans sa défense des « intérêts de toutes les femmes et personnes non binaires (ndlr et Dieu sait combien elles sont nombreuses) dans le secteur ». D’ailleurs on ne va pas se mentir : loin des chars technos des Pride en tous genres, il y a quelque chose de rafraîchissant à voir une travailleuse de la terre qui sait encore tirer une bonne gueule d’enterrement pour réclamer des évolutions sociétales.

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Les blagues les plus courtes…

Au Bürgenstock, dans les alpes suisses, un sommet pour la paix entre la Russie et l’Ukraine a été organisé en juin sans que la Russie ne soit invitée. Nul besoin de chute, c’en est déjà une.


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Footage de gueule

Le comité central de l’Association suisse de football (ASF) compte désormais deux femmes parmi ses élus : la conseillère nationale bernoise Aline Trede et surtout la présidente du Conseil d’État vaudois Christelle Luisier Brodard ! Hourra ! Flonflons ! Il faut dire que la Payernoise a de solides raisons de s’engager dans le monde du ballon rond : la volonté de promouvoir le sport féminin, d’abord, mais aussi la conviction que le sport est carrément « l’un des ciments de notre société », comme elle l’explique sur le site de l’ASF.  Vu comme ça, on comprend qu’elle rajoute du boulot inutile à une tâche de ministre réputée éreintante. 

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Tout pour le Peuple, tout par le peuple !

« Une église n’est pas la maison de Dieu, mais la maison du peuple ». Non vous ne rêvez pas, cette déclaration n’est ni de Lénine, ni de Staline (ni de Nabilla) mais bien de Jean-Marie Duthilleul. Si son nom ne vous dit rien, sachez que cet architecte est connu chez nous pour son travail du côté de l’abbatiale de St-Maurice (VS), au Sacré-Cœur à Genève ou encore chez les cisterciens de Hauterive (FR) en ce moment. Une église « révèle d’abord la fraternité entre les humains, mêmes s’ils ne sont pas croyants » ose encore le créateur sur le site de l’Église catholique genevoise. Et on se dit que si on avait appliqué d’aussi beaux principes au siècle dernier, on aurait bâti des goulags aux lignes très épurées !

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Au moins, c’est une femme

« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux.» – Guy Debord, La Société du spectacle, 1967.

Autrefois, les élections de Miss étaient assez simples. Il s’agissait de choisir une très jolie fille en espérant qu’elle soit capable d’articuler deux propositions, dans une ambiance décrépie et un peu glauque. Il y avait une dimension de foire animalière, d’accord, mais tempérée par le côté chic. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, pour des concours inclusifs et « inspirants », certains concours de beauté ont la particularité de déboucher sur des élections de personnes à la plastique quelconque, pour autant qu’elles aient un message à donner au monde. Ainsi Sara Milliken, élue Miss National American Alabama 2024 non pas « malgré » mais grâce à un surpoids manifeste, qu’elle vit bien. De quoi agacer la gagnante du « vrai » titre de Miss Alabama, une blonde au physique plus caractéristique de ce genre d’événements. Il n’y a pas de raison pourtant : libre à elle de se laisser pousser quelques mentons pour tenter d’obtenir la gloire qu’elle mérite.




L’observatoire du progrès // mai 2024

Au Nemo du Père

Impossible de débuter cette rétrospective sans évoquer notre Martine à nous, le Biennois Nemo. Au milieu d’une avalanche de papiers hagiographiques à fait rougir Mao, une brève parue samedi 18 dans Le Journal du Jura a retenu toute notre attention. Elle annonçait que le Temple allemand de la ville du chanteur accueillerait « une célébration ouverte à toutes et à tous » et « en lien avec les personnes LGBTQIA+ » pour la Pentecôte. Mieux, une réinterprétation de son tube « The Code » était même annoncée sur les orgues de l’église. Noble projet qui appelle toutefois quelques questions : une célébration chrétienne n’est-elle pas par nature « ouverte à toutes et à tous » ? Mais aussi : que signifie ce « en lien » avec les personnes X ou Y si caractéristique de la langue de buis bénit ? Notre hypothèse : absolument rien, si ce n’est que ces gens sont très gentils et tiennent à le faire savoir. Quitte à bientôt prier devant des églises vidées au Nemo du Père, du Fils et du Saint-Esprit. 

Respirer, dormir, payer

En avril, notre humble revue vous sensibilisait à l’œuvre épatante de la CSS, assurance-maladie très désireuse de nous apprendre à faire des gâteaux, des smoothies verts aux légumes et des tours en poney avec nos gosses. Qu’il nous soit permis de lui présenter nos excuses : sa petite crise de paternalisme n’était encore rien à côté de ce que nous a proposé Helsana dans la foulée : « Dormons suffisamment » proclame une affiche actuellement dans les rues, tandis qu’une autre nous ordonne « Respirons mieux ». Et l’on finit par penser que, décidément, avec de si bons maîtres disposés à nous dominer de A à Z, on a bien de la chance de ne pas avoir trop de champs de coton par chez nous. 

Réalisé sans trucage.
Là non plus.

Petit enfant entre amis

« On fonctionne comme n’importe quels autres parents. » Ça, c’est ce qu’Alexis et Delphine ont tenu à expliquer au Parisien à propos de leur projet de « coparentalité » ? Quésaco ? Pour résumer, voilà un duo – lui gay, elle hétéro – qui a poussé la bravoure jusqu’à faire un bébé ensemble, vivre ensemble, tout en n’entretenant aucune relation amoureuse. Un couple d’amis sans vie sexuelle avec un petit truc à quatre pattes qui crie et qui pleure au milieu du salon, en somme. Jusqu’à peu on appelait ça une famille.

Placide Vicious

Que les amoureux du hockey sur glace nous pardonnent : voilà un sport assurément sympathique, mais dont le simple béotien a parfois de la peine à comprendre les coutumes. Un débat lors de l’émission Forum, dimanche 19 mai, avait toutefois de quoi fasciner même le plus rétif à la trinité glace – bière – « de veau ». On y apprenait qu’un jeune joueur très fort du Canada, Connor Bedard, fait polémique à cause de sa manie de ne guère faire le pitre après ses buts. « La non-célébration est irrespectueuse », devait déplorer un ancien joueur devenu commentateur. Voilà bien une phrase qui mérite d’être écrite une deuxième fois : « La non-célébration est irrespectueuse ». Et l’on imagine les goulags du futur, où les personnes réservées seront transformées en zeks (ndlr les déportés du régime soviétique) pour absence de troubles à l’ordre public.

Absurdité pour touxtes

Le changement climatique « impacte » particulièrement les personnes LGBTIQ+. Voici l’un des thèmes de la campagne de la journée de lutte contre toutes les « phobies » habituelles proposé le 17 mai dernier par Genève, « ville durable pour touxtes ». Et on ne va même plus chercher de chute à ces quelques lignes, tant il semble impensable de pouvoir chuter plus bas.

Un dernier tour de coronapiste 

On l’avait presque oubliée, cette pandémie qui avait poussé tout le monde à bosser moins dur, apprendre à faire du pain et engraisser sur le canapé pour soigner son cardio. La voilà qui se rappelle à nous avec un 1erprix décerné à Lausanne par Pro Vélo Suisse dans la catégorie « aménagements ». Cette distinction, dotée de 5000 CHF, récompense les 7,5 km de voies cyclables mises en place durant la crise sanitaire, glorieusement nommées « coronapistes » par la Capitale olympique. Alors on les voit d’ici, les esprits chagrins et autres amoureux de la bagnole qui relèveront que, décidément, cette sale grippe nous aura fait du mal jusqu’au bout. Mais nous préférons positiver : ça devait faire un paquet de temps que la Ville n’avait pas récupéré un contribuable. Sans doute que la municipale Florence Germond, membre fondatrice et présidente de Pro Vélo  Lausanne de 2001 à 2010, a su apprécier la chose à sa juste valeur en venant chercher son prix.




L’observatoire du progrès // Avril 2024

Avec nos excuses

Face au déluge d’articles dithyrambiques consacrés à l’église urbaine « Espace Maurice Zundel », à Lausanne, une réflexion a fait l’effet d’une fausse note : une chronique du Peuple de février analysant le type de théologie proposée en ce lieu créé par la paroisse du Sacré-Cœur. Président de la Fondation Maurice Zundel, l’abbé Marc Donzé vient cependant de donner quelques précisions fort utiles à cath.ch. Si yoga, qi gong et méditation zen seront au programme de la structure œcuménique, le prêtre précise que des cérémonies bouddhistes n’y seront « probablement pas » hébergées. Une fermeté qui vient balayer nos derniers doutes et valait bien un très catholique mea-culpa.

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Si jeunes et déjà si conformistes

Expositions, conférences, festivals, visites, projets originaux… Le gymnase d’Yverdon met le paquet pour célébrer – pardon « commémorer » – ses 50 ans. Dans ce cadre hautement festif et citoyen, le journal La Région a donné la parole le 18 avril dernier à plusieurs élèves pour nous mettre en garde contre le danger du « racisme systémique ». Eh oui, ne vous y méprenez pas, malgré des efforts louables pour l’éradiquer, le mal sévit entre les murs de l’institution comme partout ailleurs. Il s’agit du reste d’une « question capitale » selon un encadré de l’article, qui nous invitait à participer à une soirée de discussion sur le thème, au Musée d’Yverdon et région. Passé colonial de la Suisse, persistance des imaginaires racistes, éloges de la multiculturalité étaient au menu des échanges. Qui aurait imaginé qu’un jour l’éducation serait célébrée par une dose aussi massive de rééducation ?

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L’inclusivité à l’ombre des caravanes

Yverdon-les-Bains, toujours, où la lutte contre les préjugés prend décidément une tournure héroïque. Ces dernières semaines, la Ville a en effet connu quelques « incivilités » et « débordements » lors de l’installation d’une communauté de « gens du voyage » près du parc scientifique et technologique d’Y-PARC. Or, dans un communiqué, la commune ne nie pas avoir connu des difficultés à les convaincre de partir, mais que l’on ne s’y trompe pas : même là, le progrès… a progressé ! Ledit communiqué nous apprend en effet que ces discussions ont eu lieu avec les « représentant·es» des familles concernées ! Pour qui a déjà visité un camp de « gens du voyage » adeptes des « débordements » et « incivilités », la présence de dames parmi les interlocuteurs des autorités a de quoi nous prouver que le patriarcat vacille même là où on s’y attendrait le moins. 

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Téléphone brun

Ancienne militante identitaire française, la délicieuse Thaïs d’Escufon s’est reconvertie depuis plusieurs mois dans les conseils de drague pour jeunes droitardés. Sur son site, une proposition a de quoi nous mettre des étoiles plein les yeux : « Pendant 30 minutes, dites tout ce que vous avez à me dire. Et ensemble, on pourra trouver une solution à votre problème ! » Tarif : 300 euros. Morale de l’histoire : la délinquance étrangère est peut-être méprisable, mais que penser du procédé consistant à arnaquer les pauvres bougres de son propre peuple ?

Petite analyse de l’œuvre écrite de la dame.

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Notre expertise

Pénible séance de catéchisme cordicole dans l’émission On en parle de La Première, le 11 avril. Au programme, communication non violente, qui s’écrit visiblement « Communication NonViolente » pour faire plus moderne. C’est vrai qu’on n’en parle pas assez de l’importance des ressentis, de l’empowerment dans le monde de l’entreprise ou de l’éducation bienveillante. Merci au service public de combler ce manque.

Peut-être existe-t-il aussi des experts en communication violente. C’est sans doute un boulot qui nous plairait.

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La Croix-Bleue se fait Verte

« L’alcool dans les repas des crèches et parascolaires (sic) neuchâtelois, c’est fini ! » Tel un cri de triomphe dans les ténèbres de la tradition culinaire, voici comment ArcInfo.ch a annoncé la fin d’une déplorable exception à La Chaux-de-Fonds, le 19 avril. Heureusement dénoncée au Grand Conseil par une députée Verte du nom de Barbara Blanc, une structure parascolaire venait de « revoir sa pratique », nous dit-on, dans la Mecque de l’urbanisme horloger. Joie ! Félicité ! Nouveau triomphe de la vertu ! C’en est fini des coqs au vin, du jambon au madère et des résidus de pinard pour tous les gamins du Canton. 

Viendra le jour où il n’y aura plus que les grandes épurations éthiques – concept de Philippe Muray – pour nous saouler. 

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Querelle de chiffonniers

« Des chiffons vaudois pour ripoliner Lausanne ». Tel est le titre d’un communiqué envoyé par le service de communication de la Capitale olympique, le 10 avril dernier. Enchantés, subjugués, nous y apprenions que la Ville s’approvisionnait désormais en chiffons recyclés auprès de Textura, entité de Démarche, à Beaulieu. Une belle preuve, selon le texte, d’un engagement « pour une politique d’achats durable […] privilégiant l’économie circulaire et les circuits courts ». Le jour de la diffusion de ces lignes, une violente altercation « liée au milieu des stupéfiants » éclatait à la Riponne, suivie de l’arrestation d’un homme armé d’un couteau.

La bonne nouvelle étant que l’on a certainement pu nettoyer l’arme de façon écologique.