« L’Élu » continue d’illuminer les salles obscures romandes
« Avec une soixantaine de spectateurs, ce soir, on s’est payé le luxe de faire mieux que le blockbuster ‘‘Dune’’, dont c’était pourtant le jour de sortie! » C’est presque un miracle mais accompli au milieu des cornets de pop-corn… Nous sommes à Aigle (VD) le mercredi 28 février devant le cinéma Cosmopolis. Il est 23h et Vincent Lafargue triomphe non sans humour. Âgé de 49 ans, ce prêtre, aumônier à l’hôpital de Rennaz, est aussi un cinéphile averti. Le Genevois a même une longue carrière de comédien derrière lui puisqu’il n’a été ordonné qu’à 35 ans. Il est bien placé pour apprécier The Chosen (ndlr : soit L’Élu ou Les Élus en français)… « Une série où l’on découvre un Jésus pleinement humain qui ne révèle sa nature divine que par touches. Soit l’inverse de ce à quoi on avait été habitué jusqu’ici par exemple dans l’incontournable ‘‘Jésus de Nazareth’’ de Franco Zeffirelli. » Une série aussi que le rédacteur-en-chef de Le Peuple avait d’ailleurs eu l’heur de présenter lors de sa première projection à Orbe en février 2022.
Ce soir, comme cela se fait depuis bientôt deux ans à Aigle, Orbe, Vevey mais aussi Martigny dans les salles de la société Cinérive SA, deux épisodes de cette série américaine, consacrée à la vie du Christ mais aussi et presque surtout à celles de ses apôtres, viennent d’être diffusés à la suite. Cette production, soutenue par les milieux évangéliques étasuniens et lancée par « crowdfunding » en 2017 avec un souci assumé d’évangélisation, n’en finit pas de cartonner. Avec plus de 10 millions de dollars récoltés, elle constitue toujours le plus important financement participatif de l’histoire pour une série télévisée. Début février dernier aux USA, la saison 3 caracolait même à la seconde place du box-office, où il y a pourtant une sacrée concurrence, avec 6 millions de dollars de recettes.
Une première mondiale romande !
Étonnement, c’est en Suisse romande qu’a eu lieu une première mondiale la concernant : c’est chez nous, dès février 2022 que les saisons complètes de la série ont été projetées pour la première fois en salle ! Ces évènements sont organisés en partenariat avec la Fondation Régénération qui a comme vocation de soutenir la production de films et documentaires d’inspiration chrétienne en Suisse Romande. « Les diffuseurs Français ne croyaient pas que cela aurait marché », rappelle Christophe Hanauer. Le cinéaste Gruérien d’adoption, Alsacien d’origine et protestant de confession, est à l’origine de la diffusion en Suisse. Il a eu le nez creux. Sa société Millenium Production, basée à Gumefens (FR), détient les droits de The Chosen pour notre pays. Avant lui, la série n’avait été diffusée que sur Netflix et à la télévision.
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Dans les salles obscures romandes, elle marche fort. « Certaines soirées ont charrié près de 200 personnes même si cela s’est un peu calmé depuis que la chaine française C8 diffuse tous les épisodes d’une même saison sur une période assez ramassée (ndlr : à Pâques pour la saison 4). Au total, près de 1’500 billets ont été achetés sur les deux premières saisons », récapitule Laurence Gammuto. Un score plus qu’honorable pour une poignée de soirées. Et encore, l’organisatrice des « séances d’inspiration chrétienne » chez Cinérive SA ne parle là que pour ses cinémas mais l’initiative a fait des émules ailleurs. The Chosen a ainsi été diffusé du côté de Bulle, Sainte-Croix, Morges, la Chaux-de-Fond, Neuchâtel ou encore Moutier.
« Notons qu’il est possible aussi d’organiser gratuitement des « ciné-paroisses » des saisons antérieures », ajoute Christophe Hanauer. Pour lui, le succès de The Chosen est multifactoriel. « Le message des Évangiles est intemporel, intergénérationnel et universel. La série comporte tous les ingrédients d’un scénario parfait. Le mystère, des personnages attachants, un héros sacrificiel et même un happy end avec la résurrection. On est dans un optimum narratif avec des acteurs excellents », résume le professionnel de 43 ans qui est aussi l’auteur des 7 églises de l’Apocalypse. Cette série documentaire très remarquée a donné lieu à la commande de deux longs métrages diffusés dans 400 salles de cinéma aux Etats-Unis ! Un succès rarissime dans l’histoire du cinéma helvétique pour celui qui se dit « persuadé que la Suisse romande a un message et un héritage de foi à faire entendre dans le monde ».
Une majorité de spectateurs évangéliques
Laurence Gammuto est conquise. Elle a vu tous les épisodes diffusés en salle. Bien que son cinéma de Vevey serve de lieu de réunion à des chrétiens chaque dimanche matin depuis 7 ans, elle a dû insister pour vaincre les réticences de certains collègues. Ces derniers redoutaient que les projections, suivie d’un temps d’échanges, ne se transforment en séances de prosélytisme. « Ce n’est pas le cas, se félicite la Vaudoise de 58 ans. Certains spectateurs se montrent parfois même très critiques comme cet homme qui estimait sans complexe que la série n’était qu’une ‘‘soupe indigeste’’. » La quinquagénaire a la Foi. Elle a été très touchée par certains épisodes. « Notamment celui dans lequel Jésus explique de manière simple et fluide à un disciple que tous les handicaps n’ont pas vocation à être guéris mais plutôt à être traversés pour s’élever. Cela m’a ému moi dont le fils est en chaise roulante », confie-t-elle avec pudeur.
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Anne-Sylvie Martin, qui co-anime ce soir le temps de parole à Aigle, est conquise également. « Cette série dresse un portrait touchant des apôtres et c’est à travers leurs regards que l’on découvre un Jésus tendre, proche et avec même pas mal d’humour. Ces gens n’avaient pas grand-chose en commun et chacun leurs blessures. On est touché de les découvrir si humains ! » La diacre de l’Église évangélique réformée vaudoise constate que le public est en grande majorité constitué de croyants. La plupart ont plus de 50 ans. Ce sont des évangéliques mais une grosse minorité est catholique ou protestante. Un public de convaincus donc qui tendrait à laisser penser que l’objectif d’évangélisation initial ne prend guère… « Ces personnes ne sont pas forcément de grands habitués des cinémas car nombre de grosses productions peuvent venir heurter leurs valeurs et elles les évitent donc », souligne quoi qu’il en soit Laurence Gammuto.
5% de bible et 95% de talents
À l’heure du micro-trottoir, par contraste, plusieurs d’entre elles en tous cas, nous font part spontanément de la révolte et du dégoût que leur avait inspiré « La vie de J.C. » (2021), série parodique, il est vrai assez médiocre, de la RTS. « Cette production, financé avec de l’argent public, tirait les gens vers le bas dans les rires gras. Avec The Chosen, au contraire, le spectateur est susceptible de s’élever en questionnant ou approfondissant sa Foi et sa vision de Jésus », explique le couple de retraité Dominique et Jean-Marie Etter, qui furent pourtant journalistes à la… RTS. Dominique confie apprécier le regard et le visage de Jonathan Roumie, l’acteur catholique interprétant avec beaucoup de charisme Jésus, mais s’en trouver aussi tiraillée. « Car je ne m’imaginais pas le Christ ainsi… », précise-t-elle. D’autres s’étonnent un peu de voir un Joseph chevelu arborer des sortes de dreadlocks un brin anachroniques…
Marie Meyer et sa maman Marie-Anne sont venues ensemble déguster ces épisodes 3 et 4 de la saison 3. Lors du premier, Jésus révèle sa nature divine à ceux qui l’ont vu grandir et a la confirmation que nul n’est prophète et encore moins Messie en son pays sous peine d’encourir la mort… Cette séquence est le point d’orgue de la soirée pour beaucoup. Mère et filles ont été touchées. Mais la première est une évangélique convaincue pour qui « le Christ est le centre, le chemin, la vérité et la vie ». Alors que la seconde a pris ses distances avec cette vision même si sa Foi a grandement contribué à la guérir de sa toxicomanie dans la vingtaine. « On a l’impression d’y être. Tout est assez crédible », s’émerveille-t-elle. La projection est prétexte pour les deux femmes d’échanger sur leur spiritualité respectives et de se rapprocher.
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Lors du temps d’échange, qu’une dizaine de spectateurs esquivent en sortant de la salle pendant le long générique, ceux qui le souhaitent sont invités à répondre à trois questions rituelles : Qu’est-ce que je retiens de ces épisodes ? Qu’est ce qui m’a touché ? En quoi cela nourrit ma Foi ? Une personne explique ainsi avoir été émue par la scène dans laquelle Jésus enfant échange avec son père. Une autre se demande ce qui est fidèle au texte et ce qui est romancé. Le théologien Shafique Keshavjee, qui co-anime certaines de ces soirées, rappelle que la trame narrative se base principalement sur l’Evangile de Saint Jean. « Au final, 5% est grosso modo basé sur les textes et le reste est habilement brodé autour », ajoute l’Abbé Lafargue. L’ensemble donne en tous cas une impression de grande cohérence. Puis tout le monde prend rendez-vous pour la suite le mois suivant. Quelques bonnes graines semblent avoir à nouveau été semées ce soir dans les cœurs…
- Des épisodes de la saison 3 de la série The Chosen seront encore diffusés le 17 avril à 20h30 au Rex 1 de Vevey, le 24 avril à 20h30 au Cosmo I d’Aigle, le 2 mai à 19h30 l’Urba I d’Orbe et les 10 avril et 8 mai à 18h au Corso de Martigny.