« L’Élu » continue d’illuminer les salles obscures romandes

« Avec une soixantaine de spectateurs, ce soir, on s’est payé le luxe de faire mieux que le blockbuster ‘‘Dune’’, dont c’était pourtant le jour de sortie! » C’est presque un miracle mais accompli au milieu des cornets de pop-corn… Nous sommes à Aigle (VD) le mercredi 28 février devant le cinéma Cosmopolis. Il est 23h et Vincent Lafargue triomphe non sans humour. Âgé de 49 ans, ce prêtre, aumônier à l’hôpital de Rennaz, est aussi un cinéphile averti. Le Genevois a même une longue carrière de comédien derrière lui puisqu’il n’a été ordonné qu’à 35 ans. Il est bien placé pour apprécier The Chosen (ndlr : soit L’Élu ou Les Élus en français)… « Une série où l’on découvre un Jésus pleinement humain qui ne révèle sa nature divine que par touches. Soit l’inverse de ce à quoi on avait été habitué jusqu’ici par exemple dans l’incontournable  ‘‘Jésus de Nazareth’’ de Franco Zeffirelli. » Une série aussi que le rédacteur-en-chef de Le Peuple avait d’ailleurs eu l’heur de présenter lors de sa première projection à Orbe en février 2022.

Ce soir, comme cela se fait depuis bientôt deux ans à Aigle, Orbe, Vevey mais aussi Martigny dans les salles de la société Cinérive SA, deux épisodes de cette série américaine, consacrée à la vie du Christ mais aussi et presque surtout à celles de ses apôtres, viennent d’être diffusés à la suite. Cette production, soutenue par les milieux évangéliques étasuniens et lancée par « crowdfunding » en 2017 avec un souci assumé d’évangélisation, n’en finit pas de cartonner. Avec plus de 10 millions de dollars récoltés, elle constitue toujours le plus important financement participatif de l’histoire pour une série télévisée. Début février dernier aux USA, la saison 3 caracolait même à la seconde place du box-office, où il y a pourtant une sacrée concurrence, avec 6 millions de dollars de recettes. 

Une première mondiale romande !

Étonnement, c’est en Suisse romande qu’a eu lieu une première mondiale la concernant : c’est chez nous, dès février 2022 que les saisons complètes de la série ont été projetées pour la première fois en salle !  Ces évènements sont organisés en partenariat avec la Fondation Régénération qui a comme vocation de soutenir la production de films et documentaires d’inspiration chrétienne en Suisse Romande. « Les diffuseurs Français ne croyaient pas que cela aurait marché », rappelle Christophe Hanauer. Le cinéaste Gruérien d’adoption, Alsacien d’origine et protestant de confession, est à l’origine de la  diffusion en Suisse. Il a eu le nez creux. Sa société Millenium Production, basée à Gumefens (FR), détient les droits de The Chosen pour notre pays. Avant lui, la série n’avait été diffusée que sur Netflix et à la télévision.

« La Suisse romande est le premier territoire au monde où la série a été diffusée au cinéma », Christophe Hanauer, cinéaste et producteur. 

Dans les salles obscures romandes, elle marche fort. « Certaines soirées ont charrié près de 200 personnes même si cela s’est un peu calmé depuis que la chaine française C8 diffuse tous les épisodes d’une même saison sur une période assez ramassée (ndlr : à Pâques pour la saison 4). Au total, près de 1’500 billets ont été achetés sur les deux premières saisons », récapitule Laurence Gammuto. Un score plus qu’honorable pour une poignée de soirées. Et encore, l’organisatrice des « séances d’inspiration chrétienne » chez Cinérive SA ne parle là que pour ses cinémas mais l’initiative a fait des émules ailleurs. The Chosen a ainsi été diffusé du côté de Bulle, Sainte-Croix, Morges, la Chaux-de-Fond, Neuchâtel ou encore Moutier. 

« Notons qu’il est possible aussi d’organiser gratuitement des « ciné-paroisses » des saisons antérieures », ajoute Christophe Hanauer. Pour lui, le succès de The Chosen est multifactoriel. « Le message des Évangiles est intemporel, intergénérationnel et universel. La série comporte tous les ingrédients d’un scénario parfait. Le mystère, des personnages attachants, un héros sacrificiel et même un happy end avec la résurrection. On est dans un optimum narratif avec des acteurs excellents », résume le professionnel de 43 ans qui est aussi l’auteur des 7 églises de l’Apocalypse. Cette série documentaire très remarquée a donné lieu à la commande de deux longs métrages diffusés dans 400 salles de cinéma aux Etats-Unis ! Un succès rarissime dans l’histoire du cinéma helvétique pour celui qui se dit « persuadé que la Suisse romande a un message et un héritage de foi à faire entendre dans le monde ».    

Une majorité de spectateurs évangéliques

Laurence Gammuto est conquise. Elle a vu tous les épisodes diffusés en salle. Bien que son cinéma de Vevey serve de lieu de réunion à des chrétiens chaque dimanche matin depuis 7 ans, elle a dû insister pour vaincre les réticences de certains collègues. Ces derniers redoutaient que les projections, suivie d’un temps d’échanges, ne se transforment en séances de prosélytisme. « Ce n’est pas le cas, se félicite la Vaudoise de 58 ans. Certains spectateurs se montrent parfois même très critiques comme cet homme qui estimait sans complexe que la série n’était qu’une ‘‘soupe indigeste’’. » La quinquagénaire a la Foi. Elle a été très touchée par certains épisodes. « Notamment celui dans lequel Jésus explique de manière simple et fluide à un disciple que tous les handicaps n’ont pas vocation à être guéris mais plutôt à être traversés pour s’élever. Cela m’a ému moi dont le fils est en chaise roulante », confie-t-elle avec pudeur.

Anne-Sylvie Martin et l’abbé Lafargue, co-animateurs du temps de parole sur la série lors de sa diffusion à Aigle.

Anne-Sylvie Martin, qui co-anime ce soir le temps de parole à Aigle, est conquise également. « Cette série dresse un portrait touchant des apôtres et c’est à travers leurs regards que l’on découvre un Jésus tendre, proche et avec même pas mal d’humour. Ces gens n’avaient pas grand-chose en commun et chacun leurs blessures. On est touché de les découvrir si humains ! » La diacre de l’Église évangélique réformée vaudoise constate que le public est en grande majorité constitué de croyants. La plupart ont plus de 50 ans. Ce sont des évangéliques mais une grosse minorité est catholique ou protestante. Un public de convaincus donc qui tendrait à laisser penser que l’objectif d’évangélisation initial ne prend guère… «  Ces personnes ne sont pas forcément de grands habitués des cinémas car nombre de grosses productions peuvent venir heurter leurs valeurs et elles les évitent donc », souligne quoi qu’il en soit Laurence Gammuto. 

5% de bible et 95% de talents

À l’heure du micro-trottoir, par contraste, plusieurs d’entre elles en tous cas, nous font part spontanément de la révolte et du dégoût que leur avait inspiré « La vie de J.C. » (2021), série parodique, il est vrai assez médiocre, de la RTS. « Cette production, financé avec de l’argent public, tirait les gens vers le bas dans les rires gras. Avec The Chosen, au contraire, le spectateur est susceptible de s’élever en questionnant ou approfondissant sa Foi et sa vision de Jésus », explique le couple de retraité Dominique et Jean-Marie Etter, qui furent pourtant journalistes à la… RTS. Dominique confie apprécier le regard et le visage de Jonathan Roumie, l’acteur catholique interprétant avec beaucoup de charisme Jésus, mais s’en trouver aussi tiraillée. « Car je ne m’imaginais pas le Christ ainsi… », précise-t-elle. D’autres s’étonnent un peu de voir un Joseph chevelu arborer des sortes de dreadlocks un brin anachroniques…

Marie Meyer et sa maman Marie-Anne sont venues ensemble déguster ces épisodes 3 et 4 de la saison 3. Lors du premier, Jésus révèle sa nature divine à ceux qui l’ont vu grandir et a la confirmation que nul n’est prophète et encore moins Messie en son pays sous peine d’encourir la mort… Cette séquence est le point d’orgue de la soirée pour beaucoup. Mère et filles ont été touchées. Mais la première est une évangélique convaincue pour qui « le Christ est le centre, le chemin, la vérité et la vie ». Alors que la seconde a pris ses distances avec cette vision même si sa Foi a grandement contribué à la guérir de sa toxicomanie dans la vingtaine. « On a l’impression d’y être. Tout est assez crédible », s’émerveille-t-elle. La projection est prétexte pour les deux femmes d’échanger sur leur spiritualité respectives et de se rapprocher.

Lors du temps d’échange, qu’une dizaine de spectateurs esquivent en sortant de la salle pendant le long générique, ceux qui le souhaitent sont invités à répondre à trois questions rituelles : Qu’est-ce que je retiens de ces épisodes  ? Qu’est ce qui m’a touché ? En quoi cela nourrit ma Foi ?  Une personne explique ainsi avoir été émue par la scène dans laquelle Jésus enfant échange avec son père. Une autre se demande ce qui est fidèle au texte et ce qui est romancé. Le théologien Shafique Keshavjee, qui co-anime certaines de ces soirées, rappelle que la trame narrative se base principalement sur l’Evangile de Saint Jean. « Au final, 5% est grosso modo basé sur les textes et le reste est habilement brodé autour », ajoute l’Abbé Lafargue. L’ensemble donne en tous cas une impression de grande cohérence. Puis tout le monde prend rendez-vous pour la suite le mois suivant. Quelques bonnes graines semblent avoir à nouveau été semées ce soir dans les cœurs… 

www.millenium-production.ch

  • Des épisodes de la saison 3 de la série The Chosen seront encore diffusés le 17 avril à 20h30 au Rex 1 de Vevey, le 24 avril à 20h30 au Cosmo I d’Aigle, le 2 mai à 19h30 l’Urba I d’Orbe et les 10 avril et 8 mai à 18h au Corso de Martigny.



« Il faut aider les pédophiles abstinents à le rester ! »

Son regard respire la douceur et gagne en sérénité avec les années. Daniel Pittet aime se définir comme « un homme debout ». Et c’est effectivement ce qu’il est. Ce Fribourgeois de 65 ans est debout mais claudiquant aussi. Il le sait, l’affirme et l’affiche même. Sur l’avant-bras droit de ce bibliothécaire de métier, un tatouage indique d’ailleurs cette évidence : « Fragile ». Mais la force véritable ne consiste-t-elle pas à regarder ses fragilités en face pour ne pas s’enfermer derrière une carapace, coupé de soi et des autres, ou pire, dans le confort malsain mais rassurant d’une identité d’éternelle victime ? Pour Pittet, ne pas tomber dans ces travers est le défi d’une vie. Ce père de six enfants, resté fervent catholique, a fait du traumatisme subi enfant une sorte de carburant pour générer du bien autour de lui. Un funeste dimanche de 1968, Joël Allaz, un prêtre capucin indigne et pédocriminel en série, l’abuse sexuellement après la messe alors qu’il n’était qu’un enfant de chœur de 9 ans. Cet enfer, fait de manipulations, de non-dits et de rapports de pouvoir, dure quatre ans. 

Daniel Pittet vient d’une famille dysfonctionnelle, pauvre et très catholique. Il a grandi sans père et était une proie idéale pour un pervers. À l’époque des faits, contre toute attente, il a choisi de pardonner. « Et j’ai construit ma vie sur ce pardon », rappelle-t-il souvent. En 2017, une biographie raconte son calvaire et invite les victimes à briser le silence. Préfacée par le Pape François et traduite en huit langues, elle s’est écoulée à 40’000 exemplaires rien qu’en Suisse. Ce livre a suscité de nombreuses réactions de la part de victimes, mais pas seulement… Ce sont essentiellement ces retours chocs qui ont fait naître en Daniel Pittet l’envie de signer un autre ouvrage, plus didactique, à paraître au printemps prochain. Nous l’avons lu en avant-première. Lui aussi pourrait faire grand bruit… Ses titres de travail : « Chut, c’est un secret ! » ou « Viols en famille »… Le Fribourgeois, qui connaît les casseroles de bien des pervers en Romandie, y pose un regard inattendu sur les pédophiles eux-mêmes. Interview à son domicile de Rossens (FR) entre une icône de saint Joseph et une photo originale inédite du Padre Pio, dans la présence rassurante de son épouse Valérie et celle lumineuse et joviale d’Anne-Léa, leur petite dernière trisomique.

Pourquoi ce nouveau livre ?

Depuis la sortie de Mon Père, je vous pardonne (Éditions Philippe Rey), je n’arrêtais pas d’être contacté par des victimes d’abus sexuels, essentiellement d’ordre pédophile. J’ai pleinement pris conscience que rien qu’en Suisse, 800’000 personnes auraient été abusées sexuellement. J’ai compris aussi à quel point sortir du silence est difficile et à quel point mon témoignage sans filtre y aidait. C’est incroyablement libérateur, à condition d’être bien accompagné dans ce processus. L’écrasante majorité ne sort jamais du silence et vit cassée. Et le grand drame est que si la chose reste cachée, ces abus pédophiles continuent de se propager au fil du temps comme un virus selon une obscure mécanique.

Daniel Pittet, sur une photo prise par son violeur à l’époque des faits.


Plusieurs exemples l’illustrent dans votre ouvrage…

J’ai rencontré personnellement environ un millier de victimes. Voici celui qui l’illustre peut-être le plus tristement : à la suite de la lecture de mon livre, une vieille dame m’a convoqué sur son lit de mort pour me confier que son père l’avait violée. Elle voulait aussi en parler à ses filles et m’avait demandé d’être présent à ce moment-là pour l’aider. Une fois mises au courant, ces dernières, en larmes, lui ont révélé à leur tour qu’elles avaient toutes elles-mêmes été victimes de viols de la part de leur père. Quel choc ! Il y a comme une perpétuation du malheur. Le 80% des abus a lieu au sein des familles. Le plus étrange est qu’une fois adultes, certaines victimes vont jusqu’à confier leurs propres enfants à leur père violeur convaincu contre toute raison qu’il n’osera pas récidiver. Et notons aussi que le violé devient malheureusement violeur lui-même dans environ 60% des cas ! Moi, j’ai eu la chance incroyable d’être dans les 40% restants.

Comment expliquer ces surprenants phénomènes ?

Une victime aura beaucoup de risque d’attirer un conjoint dysfonctionnel qui, consciemment ou non, sentira en elle une faille à la source de laquelle nourrir sa propre souffrance ou son désir. Selon le même mécanisme psychologique, les pédophiles, hors milieu familial, identifient intuitivement immédiatement à quel enfant ils peuvent s’attaquer sans risque. Plusieurs d’entre eux me l’ont confirmé ! Leurs victimes conservent elles aussi cette espèce de « radar à souffrance ». Moi-même, si je passe devant une cour de récréation et que je vois interagir un enfant avec un adulte, je vois immédiatement si le second abuse l’autre ou non. C’est une capacité assez désarçonnante.

Comment briser ce cercle vicieux de la reproduction de la souffrance ?

En brisant l’omerta et/ou en pardonnant à son bourreau. Plusieurs victimes m’ont demandé comment pardonner à leur violeur. L’une d’elles, une jeune femme, m’a dit récemment : « Je veux tourner la page pour devenir mère de famille. » Elle avait compris que le pardon briserait le lien avec son bourreau. En effet, j’ai constaté que cela tranche ce lien invisible entre lui et soi. Mais cela ne se fait évidemment pas sur commande. Il faut être mûr pour cela et tout le monde n’a pas besoin de pardonner pour avancer. En revanche, sortir du silence et de la honte est indispensable pour cela. Car si tu ne parles pas, des abus se reproduiront dans ton entourage direct… Notons que bien souvent le violeur ne reçoit pas le pardon mais cela n’est pas indispensable pour que ce pardon soit guérisseur. Ces criminels sont enfermés dans le déni ou ne prennent pas pleinement conscience du mal qu’ils ont fait. 

Vous avez longuement échangé avec des dizaines de pédophiles abuseurs. Que venaient-ils chercher auprès de vous ?

J’ai rencontré 34 pédophiles âgés de 23 à 86 ans. Ils peuvent être professeurs, industriels ou médecins, comme simples ouvriers. Le dernier avait 24 ans. Il était étudiant, beau garçon ayant du succès avec les filles et semblait même sympathique. Quasiment tous avaient eux-mêmes été abusés dans l’enfance. Le premier m’a causé un grand choc. Il m’a révélé ses penchants pédophiles et ses abus après de longues minutes de discussion dans un bistrot alors qu’il m’était déjà sympathique. Sa manière de me prendre ainsi au piège soulignait son caractère manipulateur. Et ces prédateurs le sont tous. Mais ils sont à divers degrés cassés eux aussi d’avoir violé. Cela dit, je parle ici de ceux que j’ai rencontrés et qui sont si j’ose dire « la crème des pédophiles ». Eux aimeraient bien pouvoir rembobiner le film. Ils sont taraudés par leur attirance pour les enfants et ne se l’expliquent pas. Ils viennent vers moi chercher par procuration un pardon que je ne peux leur accorder même si je ne les juge pas. Face à eux, je me dis à chaque fois : « Mais quelle chance que je sois une victime. J’aurais pu être un violeur moi aussi ! Mais quelle cochonnerie ! Quelle saloperie ! Tu casses des vies. C’est de la merde. » Les pédophiles pervers comme Joël Allaz sont en revanche presque irrécupérables. Lui avait osé par exemple me dire tout naturellement lorsque j’étais allé à sa rencontre en 2017 : « Mais tu n’as jamais dit non c’est que tu avais du plaisir ! » À la fin, il pleurait un peu mais surtout sur lui-même…

Cette remarque souligne implicitement la puissance du « non ! », lequel n’est pourtant malheureusement presque jamais prononcé par les victimes…

Oui. J’ai même édité une carte de prévention, qui a été massivement distribuée dans les écoles, et sur laquelle était écrit ce « non » dans les trois langues nationales. L’idée était que les gamins l’aient sur eux et la sortent s’ils avaient affaire à un pervers. Cela peut sembler simpliste mais ça ne l’est pas. Tous les pédophiles abuseurs que j’ai rencontrés m’ont confirmé qu’ils auraient arrêté immédiatement si leur victime avait prononcé ce simple « non ». « J’aurai eu trop peur », m’a dit l’un d’eux. Et en effet, tous sont morts de trouille d’être découverts et de finir en prison. Mais les victimes sont presque toujours muettes et tétanisées. Tous les parents doivent donc apprendre à leurs enfants à dire « NON !’ ». Et ce dès le plus jeune âge. Ainsi, les pédophiles ne pourront plus continuer à miser sur la sidération. 

Simple, mais efficace.

Vous rêvez désormais que la prévention se penche sur les pédophiles eux-mêmes…

Oui. J’aimerais qu’un jour, ils puissent dire ouvertement « je suis pédophile » comme on arrive parfois à dire aujourd’hui « j’ai un cancer ». Cet aveu les aidera à ne pas passer à l’acte et à être cadrés par une sorte de contrôle social. Il faut aider les pédophiles abstinents à le rester ! C’est le grand défi des années à venir car c’est un levier puissant pour éviter des abus. Une victime en moins implique la suppression de tant de souffrances pour elle puis pour tant d’autres en cascade. Une victime sera cassée à vie et coûtera énormément à la société rien qu’en matière de coûts de santé. En Suisse, l’association lausannoise « Dis No » est précurseur sur ce terrain délicat. Elle offre un espace de parole aux pédophiles n’étant jamais passés à l’acte et à leurs proches. C’est un travail difficile et précieux auquel le grand public n’est pas encore prêt car dans notre société, le pédophile est le Diable en personne. C’est d’ailleurs ce biais qui fait qu’on ne se méfiera pas de personnes qui ne portent pas leur désorientation sexuelle sur le visage… Ce sont des manipulateurs hors pair intelligents et sympathiques, capables de longuement tisser leur toile en douceur. Même ceux qui les ont côtoyés longtemps tombent souvent des nues lorsqu’ils prennent conscience de la vérité. Beaucoup de proches restent d’ailleurs dans le déni. Pour eux, regarder la vérité en face serait trop dévastateur alors ils se mentent pour préserver leur monde intérieur et le clan.

En septembre, vous avez été ordonné Diacre à Fribourg. Entre-temps, de multiples scandales sexuels ont précisément éclaboussé l’Église catholique romande. N’êtes-vous pas dégoûté par cette institution millénaire ?

Ces révélations ne m’ont pas appris grand-chose. Je poursuis ma mission de Diacre notamment auprès des exclus. Je bénis, je baptise, je marie, je donne la Sainte communion. C’est une grande joie. La vérité est que les prêtres déviants restent une minorité. Et puis l’Église pour moi, ce n’est pas seulement les religieux consacrés, c’est aussi et surtout le Christ et tous ceux qui croient en lui…


Un mutirécidiviste des projets caritativo-spirituels

Daniel Pittet est un multirécidiviste des succès à visée caritative et spirituelle ! En 1994, il vendait 12’000 exemplaires du livre Rencontres au monastère, un livre de témoignages. Rebelote en 1996 avec Ascende huc, CD de chants grégoriens devenu disque d’or. En 2016, Aimer, c’est tout donner, le livre de témoignages de religieux dont il avait eu l’idée, s’est écoulé carrément à 2 millions d’exemplaires en 24 langues ! Même gros succès pour sa bio Mon Père, je vous pardonne dont les bénéfices avaient entièrement été reversés à une association luttant contre la pédocriminalité. Enfin, depuis 2020, Daniel Pittet et son épouse Valérie ont réussi à écouler 450’000 petites croix, chapelets et cœurs en bois d’olivier de Terre Sainte. Les dons ainsi générés – allant de 5 fr. à 150’000 fr. (!!!) – ont été reversés aux artisans chrétiens de Bethléem à qui avaient été commandés ces objets, artisans mis en grande difficulté par le confinement et qui le sont encore avec la guerre qui ensanglante Gaza. À Bethléem, seules 600 familles chrétiennes locales survivent péniblement, et ce chiffre diminue même chaque année.

Le pape François recevant une croix en bois d’olivier de Terre Sainte en 2021. DR.

TEXTE ET PHOTOS Laurent Grabet




« Ni les émeutes de Nahel ni l’assassinat de Thomas ne m’ont surpris…»


Il porte un nom à particule, une chevalière aux armes de sa famille à l’annulaire, un scapulaire discrètement posé sur son torse et un chapelet toujours à portée de main et de prières. Henri d’Anselme a du sang bleu dans les veines. Celui d’une famille catholique française de la noblesse d’épée qui n’a pas honte de qui elle est ni ne s’en vante. Mais la noblesse du jeune diplômé en philosophie et management de 25 ans est avant tout de cœur et de courage. Fin juin dernier, une journée durant, j’avais eu le privilège d’accompagner « le héros d’Annecy » sur son Tour de France des Cathédrales. C’était du côté de l’Abbaye d’Hautecombe, splendide nécropole néogothique des Comtes de Savoie, érigée sur les bords du lac du Bourget au XIIe.  

Ce fut une belle occasion de constater l’immense popularité dont jouissait déjà celui qui, avec son sac à dos Eastpack pour seule arme, venait de s’illustrer en faisant fuir Abdalmasih H, empêchant ainsi ce requérant d’asile syrien chrétien de 31 ans à la dérive, de faire plus de victimes encore lors de sa folle et sanglante attaque au couteau le 8 juin dernier sur une place de jeux des bords du lac d’Annecy en Haute-Savoie voisine. Par miracle, ses victimes, Ennio, 2 ans, Alba, 2 ans, Ettie, 3 ans, Peter, 22 mois, Youssouf, 78 ans et Manuel, 62 ans, avaient toutes survécu. Mais l’anonymat d’Henri, lui, avait succombé ce jour-là.

Promu héros national malgré lui, interviewé en boucle sur les grandes chaines de télévision, le jeune catholique, originaire de Le Pecq dans les Yvelines, y avait déployé avec calme, intelligence et sincérité un argumentaire clair, précis et rassembleur. Soit en résumé : « Chaque Français est capable d’agir comme je l’ai fait. S’il y a bien une leçon à retenir de cette histoire, c’est qu’il faut arrêter de rester passif face à de telles attaques. Il faut se nourrir de ce qu’il y a de grand et de beau dans notre pays et notre Histoire, relever la tête et décider d’arrêter de subir. » Ou encore, comme il nous l’avait confié lors de notre rencontre : «Mon message est en réalité hautement politique, mais au sens noble du terme: pour retrouver une société unie autour de la recherche du bien commun, il faut se nourrir du Beau, du Bien et du Vrai. Si un jour mes petits-enfants me demandent ce que j’ai défendu durant ma vie, je ne veux pas leur répondre que je me suis battu pour La France insoumise ou pour Les Républicains. Ces combats seront si vite totalement dépassés. Je leur préfère de loin la défense des grandes valeurs universelles et immuables » !

Ce discours avait touché juste, soufflant sur les braises d’une fierté nationale mise à rude épreuve ces dernières années par les repentances historiques à répétition et les déclassements économiques et géopolitiques notamment. Et cet admirateur de Jeanne d’Arc était ainsi devenu à son corps défendant un symbole de la résistance tricolore au mal. Sa bravoure avait été récompensée d’une légion d’honneur, ce qui l’avait beaucoup gêné, lui dont le « grand père général l’avait vraiment méritée ». Cette médaille lui avait d’ailleurs valu d’être reçu par « Manu » Macron, un Président anormal, plus à un ‘’coup de com‘’ ni à un ‘’en même-temps’’ près, et dont Henri ne pense pas forcément que du bien.

En même temps, cette bravoure et ce discours en avaient dérangé certains du côté gauche de l’échiquier politico-activiste hexagonal. Une petite partie de la « grande » Presse française avait ainsi cru déceler dans le passé scout d’Henri, dans les messes en latin auxquelles il assiste parfois et dans son expérience de journaliste au sein du magazine catho conservateur « L’Homme Nouveau » des relents d’ « ultra droite ». le ridicule de cette étiquette en forme de néologisme orwellien censée discréditer le héros, assorti à la hargne de ces journalistes, qu’on imagine assez mal dégainer un Eastpack en invoquant Arnaud Beltrame et la Vierge Marie pour parer des coups de couteau d’un fou furieux, n’ont très majoritairement suscité que du mépris chez les Français.

Tout ça et bien d’autre choses nous ont donné envie de revenir vers Henri d’Anselme, à moi le premier, qui suis Suisse d’adoption mais Français de nationalité et qui plus est originaire d’Annecy… Car à l’heure où notre grand voisin s’enfonce à vue d’œil dans l’ensauvagement et les compromissions, il semble qu’un peu de la droiture du « héros au sac », même dégustée avec recul et par interview interposée, pouvait se révéler un brin salutaire. Entretien :

Bonjour Henri. Comment se sont passés les six mois nous séparant de l’attaque au couteau d’Annecy, au cours de laquelle vous vous étiez illustré par écrans interposés jusqu’en Suisse romande ?

Très bien. Il m’a fallu accepter mon nouveau statut. Lequel ne m’a pas empêché de continuer à me déplacer en partie en auto stop. Je suis monté vers le Jura, les Vosges puis le Grand Est. Souvent mais moins qu’au début, je suis reconnu dans la rue. Les gens m’abordent avec beaucoup de bienveillance et me félicitent. Avec le recul, je me suis rendu compte que mon message a porté plus que mon geste. J’en suis ravi car tel était mon souhait. Je suis passé de 12’000 followers sur mon instagram avant l’attaque d’Annecy à près de 142’000 aujourd’hui…

Sur votre chemin, vous dites avoir compris aussi pourquoi les Français sont des râleurs, une réputation d’ailleurs bien vivace ici en Suisse… Alors pourquoi le sont-ils donc ?

(Rires) Car les vrais Français sont des gens qui ne supportent pas la médiocrité quand bien même sont-ils eux-mêmes parfois médiocres par moment. Dans son héritage et son environnement immédiat, le Français perçoit tant de grandeur que la petitesse lui devient forcément insupportable !

Les médias continuent-ils de s’intéresser à vous aujourd’hui?

Je viens de donner une interview dans la Croix. Un documentaire en quatre épisodes centré sur mon tour de France des cathédrales, tourné sur quatre semaines d’août à novembre dernier pour la chaine télé C8, y sera diffusé début 2024. Ces professionnels ont découvert avec moi un peu à leurs dépens le monde des cathédrales (Rire). Et leur œil neuf m’a poussé dans mes retranchements en m’obligeant à vulgariser de mon mieux. En parallèle, j’ai ciselé des pastilles vidéo de 1mn30 pour CNews. Au total, 25 seront diffusées. Si je fais ça, c’est que cela a du sens. Mon intention n’a jamais été de surfer sur la popularité pour nourrir mon égo ou mon compte en banque mais de faire partager au plus grand nombre la beauté de nos cathédrales. Je bosse aussi sur un livre dans le même esprit à paraître l’année prochaine chez un grand éditeur français…

Mais en quoi transmettre la beauté de ce patrimoine architectural, artistique, historique et religieux serait-il donc si important ?

Mon tour de France répondait d’emblée à une triple dimension à laquelle je suis resté fidèle : aventure – découverte, pèlerinage et transmission. Mon envie est de transmettre une beauté qui est notre héritage dans l’idée qu’elle nous élève et pose les bases de l’unité dans le contexte d’une société très divisée. Toute société se construit autour de valeurs communes. On parle souvent de Fraternité et du « vivre-ensemble » mais ce sont finalement des concepts assez creux dans lesquels certains injectent de généreuses doses d’idéologie. Moi, je veux valoriser des valeurs communes réelles ! La France a peut-être le plus beau patrimoine construit au monde, des paysages époustouflants et divers, compte le plus grands nombres de Saints avec l’Italie… Quelle richesse ! Ma démarche relève de la Politique avec un grand P. Je ne m’inscris pas dans une fiction rousseauiste du contrat social qui se pique d’inventer l’unité. La véritable unité s’ancre dans le concret…

Certaines des personnes que vous croisez sur votre route rejettent-elles cette vision ?

Bien sûr, mais pas souvent et en général de façon idéologique. On m’a dit plusieurs fois : « Je ne suis pas dans la religion », une expression qui en réalité ne veut pas dire grand-chose. Mais ces même personnes me disent aussi : « Je rentre parfois dans une église car je sais que c’est beau et que ça nous appartient ». Les gens sont touchés par la gratuité de cet héritage. Une cathédrale, ça ne sert à rien au fond. C’est un trou financier pour l’état et les communes mais c’est très beau et ce n’est pas l’utilité matérielle qui est importante. Ce beau gratuit touche nos âmes. Nos ancêtres se sont inscrits dans le temps long pour ériger ces chefs d’œuvres. Certaines pierres ont exigé douze jours de travail à deux compagnons. Le comprendre donne de la densité au temps. Cela nous ramène à l’échelle d’une cathédrale, soit un bâtiment qui sera là 500 ans voire à jamais. Cela invite à privilégier la qualité sur la quantité. Le beau sur l’utile.  

Le jeune homme prend le temps et du plaisir à échanger d’égal à égal avec tous ceux qui l’abordent.

Lors de votre entrevue avec le Président Macron en juin, il vous avait invité à l’inauguration de Notre Dame de Paris dans sa version restaurée. Irez-vous ?

Evidemment. La catastrophe de Notre Dame est intéressante. Notre Dame qui brûle, c’est symboliquement la civilisation chrétienne qui brûle… Si ce drame a tant touché les Français, croyants ou non pour la plupart, c’est qu’ils ont senti intuitivement que c’était leur héritage profond qui avait été touché. Ce bâtiment a 800 ans et sa charpente datait du moyen-âge. Sa destruction par les flammes a ému le monde entier. Même des Américains sont venus pour la restaurer ! J’honorerai donc l’invitation du Président. Ce sera le 8 décembre 2024. Après l’incendie, il avait promis de reconstruire en cinq ans. On avait besoin de cette promesse et elle sera tenue. C’est fort ! Pour lui, c’était évidemment aussi un coup de com mais pas que. Je crois qu’Emmanuel Macron, quoique peu croyant, a senti intuitivement ce que cet évènement représentait, tout comme aurait su le faire De Gaulle en son temps.

Que vous ont inspiré les émeutes ayant embrasé la France en juin suite à la mort du jeune Nahel tué par un policier alors qu’il tentait de se soustraire à un contrôle ? Et l’assassinat en novembre du jeune Thomas par une bande de délinquants venus de banlieue avec des couteaux pour s’incruster à une fête de village à Crépol dans la Drôme ?

De la tristesse peut-être. Tout sauf de la surprise en tous cas. Car cela fait des années que je vois venir ce genre d’évènements. Cela fait des années aussi que les politiciens n’apportent aucune solution à la hauteur de ces enjeux. Le rôle d’une véritable politique, c’est pourtant de proposer un idéal aux gens pour bâtir dessus un projet. Aucun parti ne le fait. À droite, on ne voit que des références à une grandeur passée et à gauche des projections imaginaires sur un hypothétique futur fait de  progressisme voire de transhumanisme. Mais nulle part, je ne vois d’idéal ancré dans le réel et permettant de réinventer un vrai futur ensemble. Que certains s’étonnent encore que le ministre de l’intérieur Darmanin ait tenté de cacher les prénoms à consonance maghrébine des assassins, c’est plutôt ça qui m’étonne ! Je n’attends plus rien de ces « élites » mais il est difficile pour moi d’en dire davantage sans sortir du rôle que je me suis fixé et qui est de contribuer à rassembler. Mon premier réflexe, c’est peut-être de dire : ok, ça existe ! Ok on vit dans un pays où ça existe ! Mais comment va-t-on s’en nourrir pour s’élever, se transcender et pouvoir agir ?

Et quelle est votre réponse à cette grande question ?

Ma réponse est qu’il faut relever la tête, arrêter de subir et que pour ça, on doit se recentrer sur ce qu’on a de beau et de grand dans notre pays et chez nous. Il y a des jeunes français qui sont « plantés ». Des bébés aussi à Annecy. Et nous n’avons pas le droit d’accepter cette fatalité ni de nous y soumettre. Mais en même temps, on n’a pas le droit non plus de s’en servir pour attiser le chaos ! L’urgence c’est de reconstruire une unité autour de notre héritage et lorsque ce sera fait, toutes ces affaires vont nous devenir plus insupportables encore. Mais nous serons alors armés pour proposer quelque chose de plus beau et de plus grand et pour avoir infiniment plus de résilience. Cela dit, la colère est légitime et elle est juste aussi. Moi aussi, je suis en colère et c’est même pour ça que je fais le tour de France des cathédrales…

L’immigration est-elle encore « une chance pour la France », comme le clamait le politicien Bernard Stasi ?  Voilà en substance la question que se posent de plus en plus ouvertement nombre de vos compatriotes.  Cette question est-elle légitime ? Quelle réponse lui donnez-vous ?

Oui évidemment qu’elle est légitime mais pour l’instant ce n’est pas du tout mon rôle de donner mon avis là-dessus… Si on accueille des migrants en France, il faut qu’ils puissent être abreuvés à la grandeur française et ainsi en mesure de suivre un idéal qui les élèvera aussi. Ce constat d’ailleurs est valable pour tout Français. Car ces dernières décennies,  beaucoup de mes concitoyens ont été comme amputés de leur passé, notamment via une éducation nationale défaillante, et je pense que ce fut en partie un mouvement volontaire que je juge d’ailleurs criminel. Ce n’est pas pour rien si les écoles libres (ndlr : catholiques) ont tant de succès aujourd’hui. J’ai eu la chance de passer par là moi-même et ce fut édifiant car ces structures ont été fondées par des gens nourris à la grandeur française et qui ne pouvaient donc que la transmettre à leurs enfants.

En Suisse comme en France, de sordides affaires d’abus sexuels dans l’église sont mis en lumière. Qu’est ce que cela vous inspire ?

Il est bon que ces histoires émergent. Cela permet une purification de l’Église. Un chrétien n’a rien à cacher. Il ne peut qu’être heureux de voir la vérité émerger. La vérité est toujours bonne à dire pour lui. Seuls les crétins se gargarisent de ces scandales. Ils sont ravis de tirer sur l’ambulance sans comprendre qu’ils le font comme des jeunes de cités caillassant le camion de pompiers qui venait précisément chez eux éteindre un incendie … La nature a horreur du vide. Or la déchristianisation de nos sociétés en a creusé un béant. S’est immiscé dedans le choc des civilisations entre notre christianisme dépressif et un Islam conquérant. Ce n’est pas criminel de le dire. Cela relève du constat. La chrétienté a été l’une des plus grandes civilisations du monde. Pour qu’elle redevienne grande, il faut qu’elle redevienne la Chrétienté. Et c’est là qu’il faudra se poser la question de la vocation de la France qui est d’être « fille aînée de l’église », comme le rappelait en son temps le Pape Jean-Paul II. Elle fut en effet le premier pays institutionnellement chrétien, avec l’Arménie mais à une tout autre échelle.

Quel est votre avis sur le Pape François ?

(Sourire) Par souci de respect filial, je ne vous le donnerai pas. Ce serait trop facile de le critiquer et ce n’est pas mon rôle. Je ne suis pas un expert. Je dirais des bêtises et puis ça reste le pape…

En septembre, vous avez participé à la soirée des éveilleurs, une association conservatrice née de « La Manif pour tous ». Vous avez aussi tenu plusieurs chroniques patrimoniales dans Valeurs Actuelles, hebdomadaire conservateur à succès que ses détracteurs se plaisent à enfermer à l’extrême droite. Ne craignez-vous pas que ces collaborations aillent à l’encontre de votre volonté de rassembler ?

Je me fiche de me mettre des gens à dos tant que mon discours reste en adéquation avec mon rôle de rassembleurqui ne veut pas non plus rassembler à tout prix… Cette collaboration dans « VA » m’a valu autant de nuits blanches que de chroniques et je l’ai donc abandonnée faute de temps… Mais là, ça va mieux et j’ai bien envie de la reprendre tiens…

L’ensauvagement ne concerne pas que certains jeunes de banlieue. Il semble rampant un peu partout. En tant que Chrétien, voyez-vous là un élément du combat eschatologique?

Un peu oui mais cela ne me fait pas peur. On a déjà gagné la grande guerre entre l’ombre et la lumière. Le Christ est mort sur la croix pour ça. Quand on a compris ça en tant que chrétiens, on a compris qu’on n’a plus rien à perdre. Notre génération est condamnée à l’héroïsme et pour ceux qui sont chrétiens à la sainteté. Soit on décide de se battre et nos descendants nous béniront soit on ne le fait pas et ils nous maudiront. Qu’a-t-on à perdre ? Notre confort bourgeois ? Notre civilisation chrétienne est déjà morte mais renaitra autrement. Un vrai chrétien devrait penser et réagir comme ça. Tout juger à l’aune de la Vie éternelle, c’est là toute la radicalité de la sainteté…

TEXTE ET PHOTOS Laurent Grabet




Moi Laurent K*, « vrai pédophile » et vrai chanoine

Confession d’un prêtre pédophile… Voilà comment pourrait s’intituler cette longue lettre dactylographiée que nous avons pu nous procurer. Ce document exceptionnel est signé à la main « Je t’embrasse et je t’aime » par un ancien Chanoine de l’Abbaye de Saint-Maurice (VS) : un certain Laurent K*. Dans cette missive, le quadragénaire avoue à une amie qu’il est pédophile et analyse 11 pages durant la genèse de cette perversion. Né en 1952 à Neuchâtel, aîné d’une fratrie de trois et décédé soixante ans plus tard à l’hôpital de Monthey, Laurent K avait enseigné presque dix années durant au sein du prestigieux Collège de Saint-Maurice, rattaché à l’Abbaye locale. Un haut lieu du catholicisme actuellement dans la tourmente : à la suite de la publication mi-septembre dernier d’un rapport de l’Uni de Zurich consacré aux abus sexuels ayant eu lieu dans l’Église catholique suisse, son numéro 1, le père-abbé Jean Scarcella a décidé de se relever lui-même de ses fonctions jusqu’à la fin de l’enquête dont il fait l’objet. Or dimanche 19 novembre, rebelote : Mise au Point, l’émission phare de la RTS, a révélé son successeur ad interim, le prieur Roland Jacquenoud, a été mis en cause pour des abus sexuels au sein de la congrégation. Une nouvelle tuile pour ce haut lieu du catholicisme valaisan, pépinière de futures élites, où furent notamment scolarisés le conseiller fédéral Pascal Couchepin, l’écrivain Maurice Chappaz ou l’ancien président de la BNS Jean-Pierre Roth…

SURRÉALISTE Dans le « Nouvelliste » du 21 avril 1980, de retour de leur tour du monde, Sylvain** et Laurent K* (à dr. avec son accordéon) chantaient les mérites de leur assurance. Laquelle les avait sauvés d’une mésaventure en Thaïlande, pays où l’instituteur pédophile de Boudry (NE) avait violé plusieurs enfants…

Reste qu’à Saint-Maurice, Laurent K n’aurait fait aucune victime connue. Tout au moins, l’enquête pénale n’avait pu en mettre à jour aucune… Cela avait été relevé lors de son procès à l’automne 1998 à Martigny. Le 6 octobre de cette année-là, le Neuchâtelois de 46 ans écopait de quinze mois de prison avec sursis avec délai de mise à l’épreuve de quatre ans pour des faits qui s’étaient déroulés deux ans plus tôt dans une chambre d’hôtel de Bratislava.

Lors d’une semaine de congé en Slovaquie, le pédocriminel y avait consommé des relations sexuelles avec deux enfants de sexe masculin. Et ce contre rémunération. Et c’était malheureusement loin d’être une première pour lui… La Justice reprochait également au pervers d’avoir importé d’Amsterdam et de Berlin du matériel pédopornographique mettant en scène des enfants abusés. À la suite de la dénonciation d’une femme de ménage, les enquêteurs avaient ainsi retrouvé quelque 300 cassettes vidéo pédophiles dans la chambre que le religieux occupait à l’Abbaye de Saint-Maurice. Les policiers avaient également mis la main sur le récit détaillé en 23 pages dactylographiées dans lesquelles le quadragénaire avait consigné dans une sorte de journal intime sa semaine à Bratislava. L’enquête avait été instruite par le juge instructeur Dominique Lovey, frère de l’actuel évêque de Sion Monseigneur Jean-Marie Lovey. Il s’était tenu à huis-clos sur proposition du procureur et avait donc rencontré très peu d’écho médiatique à l’époque. Seule une dépêche de l’agence de presse internationale catholique et quelques articles dans Le Nouvelliste en avaient témoigné. Avant sa condamnation, dont la clémence peut surprendre avec le recul des années, Laurent K avait trouvé refuge plusieurs mois durant dans la célèbre Abbaye cistercienne d’Hauterive (FR) sur décision de l’Abbé de Saint Maurice de l’époque Mgr Henri Salina. Et ce bien qu’il ait été réduit à l’état laïc par le Vatican et déchu de son titre de Chanoine en raison de ses crimes, là encore en toute discrétion.

Autres temps, autres mœurs ?

À sa décharge, notons que l’homme avait tout de même purgé plusieurs mois en détention préventive avant son procès. Lors de celui-ci, feu le Procureur Jean-François Gross avait surpris par sa clémence puisqu’il avait requis dix-huit mois de prison, sans toutefois s’opposer « catégoriquement » à l’octroi du sursis, chose assez inhabituelle dans des affaires de cette gravité. Relevons encore que Jean-François Gross était le cousin de Dominique Gross et le neveu de Raphaël Gross, tous deux Chanoines à l’Abbaye de St Maurice… L’expertise psychiatrique diligentée sur Laurent K avait conclu à « une responsabilité diminuée » tout en décelant en lui un développement psycho affectif incomplet et des traits paranoïaques. Le délinquant sexuel avait été interdit d’exercer une activité avec des enfants ou des adolescents, mis dans l’obligation de continuer à suivre une thérapie ambulatoire et soumis à un patronage. Notons que le frère cadet du pervers est pour sa part encore Chanoine mais au sein de la Congrégation du Grand St Bernard. Contacté, il n’a pas donné suite à notre demande d’interview.

Signature manuscrite de la lettre que nous analysons dans la suite de cet article.

Genèse d’une pédérastie

La lettre de Laurent K adressée à son amie, mais aussi transmise à quelques autres personnes, est datée de mars 1998. Soit de la période précédant son procès mais suivant son passage en prison. « On a à faire à quelqu’un qui s’écoute écrire et tire du plaisir à rédiger une lettre bien léchée. Un narcissique encapsulé sur lui-même et un peu condescendant qui joue avec sa propre intelligence au point d’agacer… », analyse pour nous Philip Jaffé, psychologue spécialisé en criminologie et psychopathie. Dès la seconde page, l’auteur révèle à son interlocutrice quelle est sa désorientation sexuelle. « Je suis un pédophile. Un vrai pédophile. Le mot exact serait plutôt pédéraste, car je n’aime que les garçons. Mais qu’est-ce qu’un pédéraste ? Comment le devient-on, et que veut dire aimer ? » s’interroge Laurent K avant de tenter avec complaisance mais sincérité d’analyser la genèse de sa perversion.

« Amitiés particulières »…

Dès l’âge de 8 ans, le jeune garçon rêve de devenir religieux. Vers 13 ans, alors qu’il est collégien à Besançon (F) chez les Frères des écoles chrétiennes, il tombe amoureux d’un camarade. Cette passion interdite finira par l’obliger à quitter le collège. Elle ancre surtout en lui « une solitude si douloureuse que je ne puis en dire un seul mot » et fixe dans sa psyché et son corps ce qui deviendra de l’éphébophilie à l’âge adulte. « Il est clair que l’auteur est un pédophile fixé à savoir qu’il a toujours été attiré par les jeunes garçons », confirme le Dr Jaffé. Plus loin, l’intéressé révèle : « J’ai essayé d’aimer quelques filles, histoire d’apaiser un peu mon désir et mon immense besoin d’affectivité. Ces tentatives ont toutes avorté. Je sentais en moi mon impuissance radicale à tomber amoureux, la place étant déjà prise. »

Pédophile et instituteur

Vers 23 ans, alors qu’il vit toujours chez ses parents, Laurent K se lance dans un projet de tour du monde avec Sylvain**, un ami de son âge. À l’époque, il travaille comme instituteur à Neuchâtel. Dans son courrier, il exprime comme une évidence un point de vue qui fera frémir nombre de parents : « Il y a aussi des pédophiles qui sont d’excellents instituteurs et qui n’ont jamais fait de mal à un enfant dont ils avaient la charge. » Le tout juste après avoir plaint de manière surréaliste un ami pédophile: « Nous avons échangé des cassettes. Il s’est fait arrêter presque en même temps que moi… Je n’ai aucune nouvelle. C’est tragique. Il allait passer son diplôme d’instituteur. Que va-t-il devenir ? ».

Première expérience avec une femme

Peu avant son départ autour du monde de 1977, Laurent K couche avec une fille membre du chœur mixte de l’Eglise de Boudry qu’il dirige alors. « Disons que j’aimais être aimé, car je suis aussi un très grand égoïste, et je n’ai pas stoppé son ardeur envers moi. Je me suis retrouvé dans son lit… C’était la première fois que je couchais avec une fille, et je n’avais jamais couché avec un garçon », révèle-t-il dans sa correspondance. Étrangement, il en tire un certain plaisir ce qui le pousse à se qualifier d’ « heureux jouisseur égoïste ». Le 20 août 1977 marque la fin de cette aventure et le début d’une autre qui ressemblera à une longue descente aux enfers.

Premiers crimes pédophiles à Bangkok et Manille

« Pendant notre voyage, je pus enfin coucher avec de jeunes garçons à Bangkok et à Manille. Dix ans de tension et de désirs poussés à leur paroxysme trouvaient enfin un assouvissement. Ce fut l’extase et le bonheur », écrit le pédocriminel. Son compagnon de voyage n’aurait pas partagé pas ces attirances malsaines mais les connaissait. « Il avait très bien accepté et compris », affirmait Laurent K. En juin 1979, les deux amis rentrent en Suisse. Laurent K est perdu. À 27 ans il ne sait pas quoi faire de sa vie. « J’avais deux possibilités : rester célibataire, instituteur, gagner du fric et courir le monde après les beaux garçons. Cette tentation fut profonde comme l’océan. L’autre : rester fidèle à la vocation de mes 8 ans et me consacrer à Dieu. J’ai choisi la seconde… »

La prêtrise comme refuge et comme fuite

En 1980, Laurent K intègre donc l’Abbaye millénaire de Saint Maurice. Avant cela, il brûle de manière un peu théâtrale sa collection de revues et vidéos pédophiles en présence de son ami Sylvain, dit-il. « On trouvait ce genre de matériel assez facilement à l’époque », relève celui qui avait alors 28 ans. Mais sa « conversion totale et sincère un peu comme celle de saint Augustin » n’est pas suffisamment lumineuse pour éteindre ses noirceurs. En 1985, il fait ses vœux comme chanoine. En 1987, il est ordonné prêtre et ce sans que sa totale immaturité sexuelle et affective ne soit jamais détectée et n’écarte sa candidature, comme l’aurait pourtant exigé le droit canon. « Ici comme souvent en pareil cas, la prêtrise semble une sorte de prêtrise pédophilique où le rôle religieux s’apparente à une membrane protectrice dans laquelle la personne a l’illusion de pouvoir rester à l’abri du monde et de ses pulsions. Et si en plus ça fait plaisir à maman… », souligne Philip Jaffé en découvrant ces lignes.

Une collection de vidéo fatale

Laurent K reprend : « J’ai recommencé à enseigner et mes problèmes ont recommencé. Je ne les avais en fait que refoulés de façon inconsciente », constate-t-il avec une certaine naïveté. Bien vite, il se remet en effet, « au prix de difficultés inouïes », à reconstituer une funeste collection pédopornographique « aussi gigantesque que le Titanic ». En avril 1997, la police met la main dessus lors d’une perquisition à l’Abbaye. « Et moi, j’ai coulé au fond d’une cellule de prison », image Laurent K. Le chanoine indigne confesse avoir beaucoup souffert de sa double vie à l’Abbaye. « J’étais déchiré. Je ne pouvais rien faire et je ne savais que faire. D’un côté, j’étais un ‘’super chanoine’’ et de l’autre ‘’un monstre’’ », confie-t-il dans sa missive.

Un « Détraqué » au grand cœur ?

À l’époque, Laurent K suit une « thérapie enrichissante mais très éprouvante » avec une psychiatre de la région de Lentigny (Fr). Et ce avec une question lancinante et centrale en tête : « Pourquoi je suis pédophile ? ». Jusqu’alors, sa réponse simpliste et confortable avait seulement été : « Parce que je suis tombé amoureux d’un joli garçon et que par la suite j’ai fait une fixation ». Son suivi psychologique l’oblige à se plonger plus en profondeur sur les raisons de sa déviance. « Je dois tirer au clair mon passé et plonger dans mon ombre », assène celui qui se qualifie volontiers de « fou », de « malade », de « détraqué » et de « paumé dont le cœur s’émeut devant les personnes qui ont souffert »…

Une mère étouffante

Le quadragénaire pointe du doigt sa relation avec sa mère, « l’origine de pas mal de mes problèmes », constate-t-il. « Le cordon ombilical qui me relie à elle n’a pas été encore coupé… c’est trop douloureux. Cela m’empêche de grandir. Pas étonnant que je sois resté dans le monde des enfants… Incapable d’avoir des relations sociales mûres et adultes avec des hommes de mon âge. » Philip Jaffé commente : « Qu’est-ce que ça semblait compliqué pour lui d’entrer en relations normales avec les autres ! Dès lors, on peut comprendre qu’il recherchait des situations beaucoup plus simples avec des jeunes garçons là où il a un ascendant naturel de par son âge. » Laurent K s’agace ensuite de l’omniprésence doucereuse de cette mère très croyante tout en la qualifiant plus loin de « sainte femme » jusqu’à la comparer à la Vierge Marie et au passage de se rêver en Christ.

L’avis de l’expert: « Il est clair que l’auteur est un pédophile fixé à savoir qu’il a toujours été attiré par les jeunes garçons », confirme le Dr Jaffé. Crédit photo: Patrick Gilliéron Lopreno / Ville de Genève

Une indignation stupéfiante…

Finalement, le pervers résume efficacement l’essence de sa problématique : « L’amour pédophile est dans la plupart des cas un amour essentiellement narcissique. Dans le jeune garçon, le pédophile s’aime lui-même, il aime l’enfant qu’il veut rester ou a été. » Ce qui frappe, c’est que jamais il ne se penche sur le poison de souffrances qu’il a injecté dans ses victimes. « On le sent assez authentique par rapport à son vécu mais tout tourne autour du débat intérieur sans aucune conscience pour les dégâts causés », constate Philip Jaffé. Cette tournure d’esprit est soulignée par cette indignation totalement déplacée: « J’ai décrit ma semaine passée à Bratislava en 23 pages dactylographiées. La Police m’a tout piqué… les vaches ! Où est la liberté d’expression ? C’était mon journal privé. Ils n’ont pas le droit. Où donc y a-t-il une justice dans ce monde ? Existe-t-il quelqu’un au monde qui ne soit pas victime ? »… Pour Philip Jaffé, ce passage est « typique de la non prise de responsabilité » du pédocriminel. « On sent que son état d’esprit était un peu : ‘’ Tant qu’on ne se fait pas attraper, tout cela n’est pas aussi grave que cela en a l’air…’’ », déplore le spécialiste. Vu son profil, il me semble assez peu probable qu’il n’ait pas eu au moins des attitudes malsaines vis-à-vis de ses élèves de sexe masculin au Collège de Saint-Maurice… »

« Hermétique à tout regret véritable »

Après sa condamnation, l’ex-prêtre s’est installé à Leysin. À la demande d’une de ses proches, un religieux très apprécié dans la région pour sa qualité d’écoute et sa hauteur de vue était monté à sa rencontre. « Nos échanges ont été sympathiques mais finalement superficiels. Laurent K était out. Complètement autocentré. Tellement engoncé dans sa complaisance narcissique vis-à-vis de lui-même qu’il était hermétique à tout regret véritable et bien incapable de laisser émerger en lui la conscience des souffrances infligées à ses victimes », nous confie cet homme. Lequel déplore que le pédophile partît chaque été en Asie, terre appréciée des pédophiles, sans que sa hiérarchie ne s’en offusque. Il est vrai qu’à l’époque le recteur du Collège était un Chanoine dont des sources croisées nous confirment qu’il était bien connu pour faire subir impunément son homosexualité à certains élèves. Quoi qu’il en soit, la justice n’a malheureusement jamais pu se pencher sur les voyages asiatiques de Laurent K.

Il rêvait d’écrire une autobiographie

Au fil des pages, on apprend aussi que le pédocriminel rêve de se raconter dans un livre. « Et de lui donner peut-être le titre de “Confession d’un prêtre pédophile’’. Je trouve que ce qui m’arrive est injuste. J’ai tellement souffert que la tentation de la révolte peut parfois gronder très fort. J’aimerais expliquer ma vie, d’abord peut-être pour aider beaucoup de personnes, et j’aimerais faire le récit que “les gens, le monde’’ comprennent ce qui s’est passé et ne me considèrent pas comme un “Vilain Monsieur’’. L’enfant qui sommeille en moi dans son innocence ne le supporte pas… » En un sens, sa lettre ressurgie des limbes du passé jusque dans nos colonnes, vient exaucer cette étrange « prière ».

Enquête réalisée par Laurent Grabet
Illustration principale: le portrait de Laurent K sur son avis de décès, surmonté d’extraits de sa lettre.

*  Véritable nom connu de la rédaction
** Prénom d’emprunt