Il y a quelques années, un professeur d’université n’hésitait pas à affirmer que «c’est la pensée de l’historien qui crée le fait historique». L’éminent homme voulait faire comprendre à ses étudiants que l’histoire est une construction et non un fait. Il en va de même dans l’enseignement obligatoire, où les élèves doivent «construire» l’histoire, non sans l’avoir «déconstruite» au préalable, à l’aide de «situations problèmes». Est-ce étonnant ? Non, l’histoire est davantage devenue le lieu du «mémoriel». Comme l’écrivait déjà Dom Guéranger en 1858: «Le grand malheur de l’historien serait de prendre pour règle d’appréciation les idées du jour, et de les transposer dans ses jugements sur le passé.»
Mais qu’est-ce que l’histoire ? Pour l’historien et paléographe Charles Samaran (1879-1982), l’histoire est une «connaissance du passé humain fondée sur le témoignage». De plus, il n’y a «pas d’histoire sans documents, le mot document étant pris au sens le plus large: document écrit, figuré, transmis par le son, l’image ou toute autre manière.» Enfin, «il n’y a pas d’histoire sans érudition, c’est-à-dire sans critique préalable des témoignages.» Connaissance du passé, documents et érudition, mais où est «le devoir de mémoire» si cher à nos contemporains? Dans son brillant essai sur l’histoire des Européens, Dominique Venner (1935-2013) éclaire notre lanterne à ce sujet: «Bien que le domaine de l’histoire soit le mémorable, la «mémoire», tant invoquée à la fin du XXe siècle, se distingue de l’histoire. L’histoire est factuelle et philosophique alors que la mémoire est mythique et fondatrice.»
Fondateur du Grapo
Pio Moa illustre très bien cette démarche. Né en 1948, activiste antifranquiste, membre fondateur du mouvement terroriste GRAPO (l’aile armée du parti communiste espagnol), il se retire de l’action politique au début des années huitante. De 1988 à 1990, il dirige deux revues historiques espagnoles et devient bibliothécaire de l’Ateneo de Madrid. C’est en cette qualité qu’il a pu avoir accès aux archives de la Fondation socialiste Pablo Iglesias. Il vit là son chemin de Damas. Après une étude minutieuse des documents, il arrive à la conclusion que les responsabilités de la guerre civile incombent à la gauche. Il n’est plus question de «mémoire» mais de faits.
Outre une substantielle introduction pour le lecteur francophone, rédigée par Arnaud Imatz qui replace l’ouvrage dans son contexte, le livre se divise en deux parties. Dans la première partie, l’auteur présente les différents personnages politiques qui interviennent dans cette marche vers la guerre. Il clôt cette galerie de portraits par d’intéressantes considérations sur les causes de la guerre civile. La deuxième partie, quant à elle, répond à différentes questions précises telles que: «L’or envoyé à Moscou, un mythe franquiste?», «La plus grande persécution religieuse de l’histoire», «L’énigme Franco», etc.
L’ouvrage de Pio Moa nous rappelle que le mot d’ordre de l’historien n’est pas de juger mais de comprendre. Il est commode de condamner mais il est plus difficile de comprendre. L’autre, celui qui ne pense pas comme nous, ne doit pas devenir nécessairement un suspect, un ennemi ou pire un monstre. Une fois de plus, il nous faut rencontrer l’humain dans toute son épaisseur, ses paradoxes et ses contradictions. En ce sens, l’histoire devient une compréhension méditative, j’oserais même dire contemplative du passé. A rebours de tout prêt-à-penser, l’histoire peut enfin être source d’identité, de sagesse ainsi qu’une aide pour supporter le présent.