« Nous disons neutralité, nous pratiquons OTAN »

Déjà torpillée sur le plan diplomatique, la posture traditionnelle de la Suisse est désormais affaiblie par des coopérations inédites sur le plan militaire.
La participation de l'armée suisse à l'exercice « Locked Shields 2024 » illustre la drôle de neutralité de notre pays. Crédit Photo: © VBS/DDPS | Andreas Müller
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Cet article est réalisé en partenariat avec l’organisation Pro Suisse.
L’association défend une Suisse indépendante et neutre.

« La Suisse en passe d’abandonner sa neutralité historique et rejoindre l’OTAN. » Non, ce n’est pas le cri de colère d’un élu UDC à Berne, mais bien le titre d’un article de l’Humanité, journal communiste français. Consacrée à l’ouverture d’un bureau de liaison de l’organisation atlantiste à Genève, cette enquête publiée à la fin du mois d’août est révélatrice du changement de perception de notre pays à l’étranger. Et autant dire qu’elle en inquiète plus d’un !

La dérive s’intensifie

Depuis des mois, l’attitude pro-ukrainienne de la Suisse n’a plus rien d’un mystère. Entre drapeaux jaunes et bleus sur les hôtels de ville, réceptions triomphales de Volodymyr Zelensky et conférence sur la paix organisée sans invitation à la Russie, comment ne pas voir l’évidence ? Mais un pas semble avoir été franchi sur le plan de la coopération militaire : déjà, en avril, l’Armée suisse se félicitait de participer à l’exercice « Locked Shields 2024 », consacré à la cybersécurité. Mis en ligne à ce moment-là, un communiqué du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) mentionnait pudiquement qu’il était organisé « en collaboration avec divers partenaires nationaux et internationaux. » En réalité, relevait Le Temps, des cyber-soldats ukrainiens participaient aussi à ce fameux exercice coordonné à partir de Tallinn, en Estonie, sous l’égide du Centre d’excellence pour la cyberdéfense en coopération de l’OTAN. Des militaires suisses en treillis aux côtés de combattants engagés dans un conflit majeur : surprenant…

Surprenant, mais un avant-goût des décisions à venir du côté du Conseil fédéral. Le 21 août dernier, ce dernier a encore accepté la participation de la Suisse à deux projets de la «Permanent Structured Cooperation (PESCO)» de l’Union européenne. Baptisés «Military Mobility» et «Cyber Ranges Federation», ils « permettent d’élargir les possibilités de coopération internationale entre forces armées, renforçant ainsi la capacité de défense nationale de la Suisse », promet un communiqué. Dans les faits, « Military Mobility » vise à favoriser les déplacements militaires sur le continent grâce à des processus administratifs standardisés. Un Schengen des forces armées, nous promet-on avec gourmandise. Outre les pays membres de l’UE, le Canada, la Norvège et les États-Unis participent en qualité d’États tiers. Quant au second projet, il vise à renforcer la coopération internationale en matière de cybersécurité. Mais cette fois, « la Suisse ne participera pas à des exercices avec des pays en guerre », promet le DDPS.

Un intérêt opérationnel, mais une faute diplomatique


Doit-on condamner sans réserve ces initiatives ? Un observateur avisé, tenu à un anonymat strict, nuance : « Il faut distinguer la plus-value technique et le volet politique. Il est intéressant de former nos soldats aux meilleures écoles, d’apprendre du front, etc. En revanche, l’association à un camp déterminé de façon ouverte et répétée doit être dénoncée. Nous disons neutralité, nous pratiquons OTAN. » Et de préciser que le domaine cybernétique est actuellement le seul où nous sommes menacés, ce qui ne justifie donc aucunement des rapprochements sur d’autres plans, comme la mobilité des soldats sur notre territoire. Il rappelle qu’une véritable purge est mené à l’interne de l’Armée, les avis divergents n’étant plus guère tolérés selon lui.

Et si la voie bilatérale était, dans le domaine militaire, une piste plus enviable ? C’est ce qu’il suggère : « Les grands exercices ont toujours une plus-value certaine pour le Haut commandement, moins évidente aux échelons subordonnés. Souvent tu n’as pas la vue d’ensemble et apprends lors du débriefing final ce qui s’est passé. On entraîne donc surtout la conduite et la coordination (ici l’OTAN). On est déjà dans une forme de coopération, même si elle est vendue comme une formation. En fait, s’il s’agissait de nous renforcer individuellement, il faudrait former nos gars aux meilleures écoles, ce qui doit plutôt se faire avec des accords bilatéraux. »

Un manque de courage qui va se payer


Conseiller national UDC, le Vaudois Yvan Pahud ne cache pour sa part pas une colère assez totale. A ses yeux, un problème de neutralité se pose déjà dans le fait de collaborer avec l’OTAN sans en être membre. « Quand, de plus, on fait équipe avec un pays en guerre comme l’Ukraine, on touche à la crédibilité de la Suisse sur le plan diplomatique. Comment peut-on imaginer que la Russie ou les pays du BRICS en général nous voient comme un pays capable d’organiser des réunions de paix neutres ? » Il relève qu’il ne viendrait jamais à l’idée du DDPS de lancer une coopération avec les Russes dans le domaine la cybersécurité, mais que cette frilosité ne s’applique pas à l’Ukraine, bien qu’elle soit fortement soupçonnée d’avoir saboté le gazoduc allemand. Une posture unilatérale porteuse de dangers : « À cause de notre prise de position, les cyberattaques probablement russes contre la Suisse sont en augmentation. Et que va-t-on faire ? On va s’entraîner avec leurs adversaires ! Mais il n’y a pas mieux pour provoquer des représailles. »

Le conseiller national Yvan Pahud dénonce une attitude de plus en plus unilatérale.



Et l’élu de conclure : « Notre neutralité nous a préservé de conflit et de nuisances financières pendant des décennies. Elle nous a aussi permis d’être reconnus pour notre tradition de bons offices. Aujourd’hui, on se crée des problèmes : on va subir des attaques, des pannes électriques et informatique. Tout ça va nous coûter des millions, simplement parce que nous avons peur de paraître trop neutres… »


Commentaire : Osons être nous-mêmes !

Une drôle de maladie frappe nos élites politiques : la peur de paraître trop suisses ! Voici un petit pays au cœur de l’Europe qui participe à des exercices militaires aux côtés d’un belligérant, affiche sa sympathie pour ledit belligérant, et organise un sommet pour la paix sans son adversaire : ce pays, c’est le nôtre depuis le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine.

De façon amusante, ses dirigeants cherchent encore à nous faire croire qu’il est resté neutre. Oui d’accord, on entre dans un programme qui facilitera le passage de soldats étrangers sur notre territoire, mais ce sont ceux du camp du Bien, donc pas d’inquiétude. Oui c’est vrai, on participe à des exercices aux côté des Ukrainiens, mais ce n’est pas une coopération directe, donc la Russie ne le prendra pas mal. On déroule constamment le tapis rouge à Zelensky, mais vraiment, rien n’a changé dans notre posture…  

Le calcul est désastreux : à vouloir à tout prix nous fondre dans la masse, nous disparaissons de la scène internationale. Oui, pour un petit pays comme le nôtre, la seule façon d’exister consiste à rester différent, n’en déplaise aux trouillards et aux va-t’en guerre : le monde a besoin d’apaisement, et donc de pays qui accueillent, écoutent, et se taisent… C’est sans doute moins vendeur que de grands engagements internationaux (accompagnés de purges au sein de notre armée), mais ça sert bien plus l’intérêt de notre pays, et des populations qui souffrent.

RP

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