Le malaise grandissant des jeunes chrétiens
«L’exclusion et la dévalorisation des personnes appartenant au spectre LGBTIAQ+ sont également rejetées comme contraires à l’Évangile et à la foi vécue.» Ces mots sont tirés du Rapport synodal suisse 2022, publié par la Conférence des évêques suisses. Résultat d’une consultation ayant eu lieu dans tous les diocèses catholiques suisses, il sera envoyé au Vatican en vue du Synode sur la synodalité, une réunion d’évêques du monde entier qui se tiendra en 2023, à la demande du pape François.
Force est de constater que le document recèle des revendications à connotation souvent très progressiste: il faudrait mettre fin au «rejet des personnes issues de la mouvance LGBTIAQ+» comme celui des personnes «queers»; les «étroitesses cléricales» doivent être combattues, une «adaptation des normes liturgiques [aux] contextes culturels» est nécessaire, «l’exclusion des femmes de l’ordination» est perçue comme «incompatible avec l’Évangile et l’action de Jésus»; il faut promouvoir une Église du dialogue contre «une culture cléricale étriquée dépassée» qui accorde trop d’importance à la hiérarchie, etc.
L’Église catholique, à la réputation pourtant conservatrice, semble – dans ses discours du moins – se calquer de plus en plus sur certaines évolutions de la société actuelle. Un simple tour sur des médias comme cath.ch permet d’en avoir la certitude. Edward Mezger, un Fribourgeois de 20 ans ayant participé aux discussions synodales dans sa paroisse, se dit perplexe à la lecture du rapport: «J’ai l’impression qu’on a perdu le sens premier de la religion, qui est de partir d’un donné commun – la révélation et l’enseignement de l’Église – et d’essayer de cheminer avec ça. Beaucoup de personnes ayant participé aux discussions ont pensé qu’on leur demandait simplement leur avis, mais l’Église n’est pas une assemblée législative et démocratique.»
«Quand je vais à l’Église ou que j’écoute le Pape, je ne veux pas entendre parler de CO2 ou de personnes à l’orientation sexuelle peu conventionnelle. J’en entends déjà parler partout autour de moi.»
Marie, paroissienne bulloise de 20 ans
Face à une Église au discours de plus en plus aligné sur les revendications sociétales actuelle, Marie, 20 ans, déplore que la foi se mêle sans cesse de politique: «On oublie que l’Église doit d’abord et avant tout aider les fidèles dans leur vie spirituelle qui doit les mener au salut, et que cela passe par les sacrements, l’enseignement, etc. Pourtant, on se mêle toujours plus de politique, partout: il faut prendre position sur ceci ou cela, défendre telle ou telle cause qui ne nous concerne pas!», et la paroissienne bulloise de continuer: «Quand je vais à l’église ou que j’écoute le pape, je ne veux pas entendre parler de CO2 ou de personnes à l’orientation sexuelle peu conventionnelle. J’en entends déjà parler partout autour de moi.» Quant à savoir s’il faut réformer l’Église, ordonner des femmes prêtres ou encore démanteler une hiérarchie trop sclérosée, Marie est sans appel: «Ce sont des revendications de boomers qui ont mal digéré leurs racines soixante-huitardes. Cela dit, il y a de très graves dysfonctionnements dans l’institution de l’Église, à tous les niveaux, mais on ne les réglera pas en se calquant sur la marche du monde d’aujourd’hui.»
Un œcuménisme dans le malaise
Même agacement du côté réformé, quand l’Église se mêle de politique: Sébastien Mercier, un jeune réformé vaudois, nous a confié son énervement face à une «Église qui pense qu’elle attirera du monde en reprenant à son compte le discours progressiste ambiant, alors que manifestement cette tactique est infructueuse: les temples sont vides!» Et le jeune homme de poursuivre: «C’est agaçant de voir l’Église réformée vaudoise, par exemple, afficher systématiquement des positionnements politiques là où on s’en fout qu’elle donne son avis. Quand on affiche ʻOui aux multinationales responsablesʼ dans des églises, c’est extrêmement choquant, et ça fait fuir de nombreux protestants chez les évangéliques, entre autres.»
Chez les catholiques, comme chez les protestants, deux visions plutôt contradictoires semblent donc s’affronter: d’un côté un élan réformiste et poussant vers une certaine politisation, de l’autre un mouvement conservateur rétif à toute idée d’alignement avec la société actuelle. Selon un sociologue que nous avons pu contacter, observateur de la démarche synodale catholique en Suisse romande, il ne faut pas sous-estimer la dimension générationnelle de ces clivages: «Ce que je constate, c’est que les revendications les plus progressistes émanent la plupart du temps de personnes âgées, alors que les propositions les plus conservatrices émanent de jeunes entre 25 et 35 ans. Ces jeunes, continue-t-il, ont la particularité d’avoir un engagement religieux beaucoup plus fort que leurs aînés, et ils souhaitent rompre avec une Église qui fait des compromis avec le contexte culturel dans lequel elle évolue.» Le sociologue observe des mouvements similaires chez les réformés, même si, selon lui, il n’y a pas symétrie exacte: «Il ne faut pas oublier, dit-il, que l’ADN des réformés est plutôt libéral et progressiste. On peut remonter pour cela au Kulturkampf qui a modelé la Suisse d’aujourd’hui, où les catholiques incarnaient plutôt le conservatisme face aux protestants libéraux. Les jeunes réformés conservateurs rompent donc avec l’identité réformée telle qu’elle s’est construite depuis deux siècles et se rapprochent plutôt des piétistes ou des évangéliques.»