L’âme entre les lignes

Par-delà les marées houleuses de notre époque désenchantée, où l’homme moderne se perd dans les vapeurs viciées de l’indifférence, le pape François ose un pas de côté. Il invite à la redécouverte de ce sanctuaire méconnu et pourtant à portée de tout un chacun : la littérature. En cette période où les esprits semblent languir, captifs d’une frénésie technique, la parole papale s’élève, pleine de douceur mais ferme comme un phare au milieu de la tempête, pour nous rappeler que la quête de la Vérité et de l’Absolu trouve encore, et peut-être plus que jamais, une patrie dans les pages des grands livres. C’est, peut-être, au milieu des pages froissées d’un de ces vieux livres, que nous trouverons, sinon les réponses, du moins les bonnes questions.

Une expérience personnelle

Dans une lettre « Sur le rôle de la littérature dans la formation », publiée par le Vatican le 4 août, le pape François a déclaré qu’il avait initialement l’intention d’écrire une lettre sur l’importance pour les séminaristes de consacrer du temps à la lecture de romans et de poésie, mais il a décidé d’élargir sa portée parce que la lecture est importante pour « la formation de tous ceux qui sont engagés dans le travail pastoral, voire de tous les chrétiens ».

Le pape part de sa propre expérience en tant que professeur de littérature au lycée dans les années soixante ainsi que de son amour pour la littérature. Étonnant pape, autant il semble peu convaincant quand il se mêle d’écologie, de migration et de contenu de nos assiettes, autant avec ce document il élève l’âme vers ce qui est Bien, Beau et Bon.

Cette lettre souligne la valeur de la lecture d’œuvres littéraires dans le cheminement de chacun et comme moyen de lutter contre la toxicité, la superficialité et la violence qui dominent une grande partie de l’information de nos jours.

Un miroir de l’âme

Le pape François voit en la littérature un miroir dans lequel se reflètent les douleurs et les espérances de l’âme humaine. Il n’est pas anodin qu’il apprécie Dante Alighieri, ce poète qui fit descendre l’humanité aux enfers pour lui montrer les cimes du paradis. Dans une société où la superficialité et la rapidité sont devenues les idoles d’un nouveau paganisme, la littérature rappelle que la vérité est complexe, douloureuse et souvent cachée derrière des voiles que seul un esprit affûté par la foi peut espérer percer. Pour François, la littérature est donc un chemin, une via dolorosa, mais aussi une via lucis, où l’homme se retrouve face à face avec le mystère de sa propre existence, face à face avec le mystère du Dieu trois fois saint.

Une mystagogie de l’Esprit

Si l’on considère la littérature comme un sanctuaire, alors il n’est pas surprenant que le pape François en soit l’un des plus fervents défenseurs. Pour lui, lire n’est une simple distraction ni un passe-temps frivole. C’est une initiation. Oui, une initiation qui conduit l’âme par des sentiers obscurs et lumineux, à la rencontre du divin. François, dans sa sagesse patiente, voit dans les récits d’hommes et de femmes, dans leurs errances et leurs victoires, les échos lointains mais persistants de la Révélation. À la manière d’un mystagogue, il nous incite à lire avec le cœur autant qu’avec l’esprit, à voir au-delà des mots imprimés, pour atteindre cette vérité ineffable, qui se dérobe à ceux qui la cherchent avec trop de certitude.

Étonnant pape, autant il semble peu convaincant quand il se mêle d’écologie, de migration et de contenu de nos assiettes, autant avec ce document il élève l’âme vers ce qui est Bien, Beau et Bon.

Paul Sernine

Un dialogue avec l’autre

Dans ce grand théâtre des passions humaines qu’est la littérature, chacun peut trouver un reflet de ses propres luttes, de ses propres faiblesses. Le pape, avec une lucidité presque désarmante, nous exhorte à entrer dans ces mondes fictifs non pour nous perdre, mais pour y découvrir l’autre, celui qui, dans la différence, nous révèle quelque chose de nous-mêmes et du Créateur. La littérature, avec sa capacité à transporter le lecteur dans la peau d’un autre, est un antidote puissant contre l’individualisme et le narcissisme de notre époque.

Ne nous trompons pas, ce dialogue littéraire prend souvent les allures d’un combat : un combat contre l’égoïsme, contre l’indifférence à la souffrance d’autrui. La littérature devient alors un moyen de « connaître l’autre » dans toute sa complexité, de découvrir dans ses luttes et ses triomphes les reflets de nos propres tourments spirituels.

François, en exhortant les chrétiens à s’ouvrir à des lectures qui élargissent l’âme, rejoint ce souci de ne pas se replier sur soi-même. La littérature est une ouverture vers l’inconnu, un pont entre les âmes, un dialogue combattif qui, s’il est empreint de charité, peut mener à une compréhension plus profonde de la foi.

Une école de bonté

Quand l’évêque de Rome évoque des auteurs, il ne s’agit pas simplement de rendre hommage à un génie de la plume tels que Marcel Proust, Jean Cocteau, Jorge Luis Borges ou Clives Staples Lewis. Non, il s’agit de voir comment l’exploration des méandres de l’âme humaine par un écrivain éclaire notre propre chemin de croix. François nous rappelle que la bonté chrétienne, ce n’est pas seulement pleurer avec ceux qui pleurent, mais c’est aussi lire avec ceux qui lisent, aimer avec ceux qui souffrent et espérer avec ceux qui cherchent.

Une prière

Enfin, au cœur de cette vision papale de la littérature, il y a l’idée que chaque livre est une prière, chaque phrase un pas vers l’inconnu. François semble nous dire que la littérature est ce dialogue intérieur qui se perpétue, cette recherche incessante de sens qui pousse l’homme à ne jamais se satisfaire de réponses simplistes. En ce sens, la littérature ne devient pas un substitut à la foi, mais sa complice, son écho. Lire, c’est prier. Écrire, c’est confesser. Et vivre, c’est interpréter.

Bibliographie :

Florilège

  • « Dans la lecture, nous plongeons dans les personnages, les préoccupations, les drames, les dangers, les peurs des personnes qui ont finalement surmonté les défis de la vie. »
  • « Voici une définition de la littérature que j’aime beaucoup : écouter la voix de quelqu’un. Et n’oubliez pas combien il est dangereux de cesser d’écouter la voix de l’autre qui nous interpelle. »
  • « L’acte de lire est alors comme un acte de “discernement” grâce auquel le lecteur est impliqué en première personne comme “sujet” de lecture et en même temps comme “objet” de ce qu’il lit. »
  • « Quand on lit une histoire, grâce à la vision de l’auteur, chacun imagine à sa manière les pleurs d’une fille abandonnée, la vieille femme qui couvre le corps de son petit-fils endormi, la passion d’un petit entrepreneur qui tente d’avancer malgré les difficultés, l’humiliation de celui qui se sent critiqué par tous, le jeune qui rêve comme unique issue à la douleur d’une vie misérable et violente. »