L’absentéisme ravage l’administration genevoise

Des collaborateurs en mauvaise santé, surmenés et parfois maltraités par une hiérarchie elle-même dépassée par la tâche... Travailler dans la fonction publique n’est plus le havre de quiétude envié par les travailleurs du secteur privé.
Chaque jour, mille fonctionnaires cantonaux genevois sont en arrêt maladie. WIKICOMMON
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Le personnel du mammouth (67 000 employés) croule sous les lois, les règlements et autres ordonnances. Cette glu administrative multiplie le travail, les rendez-vous médicaux et complique les relations humaines. Selon un récent communiqué de presse du Conseil d’État, chaque jour, mille fonctionnaires sont en arrêt maladie : ils ne répondront pas à votre appel téléphonique ni à votre courrier, leur guichet sera fermé et votre rendez-vous reporté.

Ils ne sont donc pas à leur travail. Ils sont «pas bien» comme on dit à Genève. Principalement pour des raisons de maladie. Le taux moyen d’abstentionnisme en Suisse se situe à 3%, ce chiffre pouvant varier d’une branche à l’autre. Il est le double dans l’administration genevoise et bien supérieur pour quelques services. Un résultat récurrent pour ce canton en comparaison nationale, que l’on parle d’absentéisme ou de chômage, de mobilité, de surpopulation, de dette astronomique, etc.

Nathalie Fontanet veut s’attaquer au problème

Ces absences trop nombreuses font mal au porte-monnaie de l’État, donc des contribuables. Les pertes dues aux absences atteignent la modique somme de 100 millions de francs par an. La cheffe des finances Nathalie Fontanet s’est donc saisie du problème. Elle vient d’annoncer son envie de «renforcer le dispositif actuel» et de «l’améliorer par des mesures complémentaires». Les quatre axes de son dispositif sont les suivants : mieux prévenir les absences, améliorer leur suivi, lutter contre celles qui paraissent injustifiées, et entourer les présents. Au total: vingt-sept mesures concrètes. Va-t-elle faire mieux que ses prédécesseurs, David Hiler, Micheline Calmy-Rey ou Martine Brunschwig Graf ? En leur temps, ces barons de la politique cantonale, et parfois fédérale, n’avaient pas manifesté beaucoup d’intérêt face à un problème qui n’a fait qu’empirer.

Mais au moins semble-t-il que la magistrate ait écouté les députés de la commission des finances qui, depuis 25 ans, se plaignent de ce dossier. C’est ce que confirme Boris Calame, député vert. Pour lui, Nathalie Fontanet empoigne correctement ce dossier. Avec un bémol: le communiqué du département des finances est trop orienté sur le coût des absences. Pour l’élu, celles-ci relèvent d’un réel mal-être, hormis les absences «perlées», ces absences trop nombreuses voire parfois régulières. «Souvent, on trouve à la base un problème relationnel. Il faut donc rencontrer, comprendre et accompagner ces personnes, y compris dans leur retour à l’emploi».
Thomas Bläsi, député UDC, tient un discours semblable. «Dans ce taux d’absentéisme incroyable, il y a les vrais malades mais aussi ceux qui n’ont pas trop envie de bosser ou ceux qui souffrent de contraintes professionnelles excessives.» Pour lui, l’attribution d’un poste de travail doit tenir compte des spécificités d’un employé pour maintenir sa motivation intacte.

Quant à Cyril Aellen, député PLR, fidèle à la ligne politique de son parti, il estime que la lutte de l’État contre l’absentéisme devrait aller de pair avec la conclusion d’une assurance perte de gain externe et la réforme du statut de la fonction publique. Et de conclure: «A défaut, c’est beaucoup d’énergie pour des chances de succès modestes».

Les députés inquiets de longue date

La lecture des questions écrites déposées depuis près de vingt ans par les députés et les réponses du Conseil d’État éclairent d’une lumière pour le moins tamisée la volonté réelle de l’exécutif d’empoigner la question. Retour en 2004, avec une intervention du député libéral Pierre Weiss : il y dénonçait déjà «un révélateur de dysfonctionnement dans la gestion du personnel» et indiquait que «certains indicateurs parcellaires», dont la commission des finances avait eu connaissance, montraient que l’absentéisme pouvait atteindre des hauteurs inquiétantes à l’État de Genève. L’exécutif avait rétorqué que les mesures en vigueur maintenaient le taux d’absentéisme dans des marges comparables à celui des autres cantons.

Boris Calame s’était penché à son tour sur ce problème en 2020. Le Conseil d’État, toujours aussi serein, lui avait répondu que l’Office du personnel ne disposait pas «des données détaillées des structures publiques autonomes du Grand État», à savoir les transports publics, les hôpitaux universitaires ou l’aéroport, par exemple (50’000 employés). Pour le «Petit État», soit l’administration publique au sens strict (18’000 employés), l’exécutif pouvait se targuer d’un suivi plus fin avec une alarme déclenchant une analyse de cas à partir d’un taux de 5% d’absentéisme, et une approche globale de la structure dès 7%.

Cet immobilisme a toutefois connu une exception notable : l’audit contre le management de Pierre Maudet au plus fort de la crise déclenchée par son voyage à Abu Dhabi. Le seul depuis le début de la législature, en 2018, à en croire une réponse adressée par l’État à une question posée l’an dernier par le MCG Patrick Dimier.

Commentaire

Nathalie Fontanet ne s’attaque pas seulement à l’absentéisme, elle s’attaque aussi aux mauvaises habitudes du gouvernement cantonal qui a laissé s’installer cette situation. Et aussi à celles prises par les Ressources Humaines (RH), ces imaginatifs services de l’État qui complexifient avec volupté les processus d’engagement mais n’ont pas trouvé la parade pour lutter contre un absentéisme massif. Les certificats maladies pleuvent, et pas seulement pour une mauvaise grippe. Burn-out, surmenages et autre dépressions nerveuses sont bien réels dans le paysage public sans être désignés comme tels. Le plus gros employeur du canton doit revoir en profondeur ses codes de travail, y compris ses RH et ses cadres pas tous à leur place.

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