Tout le monde veut un État palestinien, mais sans préciser lequel. Même les gouvernements qui reconnaissent ce pays avant qu’il ne soit advenu ne précisent pas de quel État il s’agit : démocratique, théocratique, kleptocratique, pro-Hamas, pro-Hezbollah, pro-Iran, pro-Poutine, du fleuve à la mer, de Gaza à la Cisjordanie (et comment), avec quelle capitale, quels citoyens, quels dirigeants ?
L’invitation du patron de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, par le parti socialiste vaudois, pour animer le 1er août lausannois, ne fait que rajouter du flou à ce paysage obscur au lieu de répondre à des questions simples : l’agence a-t-elle préservé sa neutralité humanitaire ou s’est-elle laissé piéger par des terroristes surarmés dans le contexte explosif d’une région dirigée par le Hamas ? Comment peut-on affirmer, en outre, que le choix de cet invité, qui a certes œuvré autant que possible pour soutenir les plus faibles vivant sous le joug du Hamas, n’a choqué que « la droite et les sionistes » ?
Il faut rappeler que les premiers protestataires étaient issus du Réseau laïque romand et d’un groupe de Suisses chrétiens et juifs, pas forcément tous « sionistes » ni tous « de droite ». Ces personnes ont reçu en effet le soutien du PLR. L’Association Suisse-Israël a protesté de son côté, ainsi que divers membres de la Communauté Israélite de Lausanne : nos compatriotes juifs ne sont pas tous de droite, ni tous pro-Netanyahou et il est important de le clarifier étant donné le flou ambiant. Le sionisme pourrait également être expliqué dans nos écoles vaudoises.
La Palestine verra le jour quand les Palestiniens auront donné à Israël des assurances claires au sujet de sa sécurité. Bien sûr, Gaza sous les bombardements israéliens et sous la domination du Hamas, la Cisjordanie déchirée et les haines décuplées par la séquence horrible déclenchée depuis le 7 octobre 2023 ne favorisent pas, du côté palestinien, la sérénité propre à envisager un État indépendant prêt à gouverner et à respecter son voisin israélien.
Dès lors, il incomberait d’abord aux pays démocratiques, dont la Suisse, de favoriser la clarté et la sérénité en exigeant à la fois la fin des bombardements et le respect d’Israël, violemment attaqué dans sa sécurité, comme aucun État donneur de leçons ne l’est depuis sa création même. Respecter Israël ce n’est pas l’accuser de « génocide » et autres folles affirmations portées jusqu’en Suisse, c’est traiter ce pays en ami, car seuls les amis auront la légitimité pour favoriser un jour la création d’un État palestinien.
Respecter Israël ce n’est pas reconnaître un État palestinien sans aucune précaution, c’est aider ce pays à rechercher le dialogue avec une Autorité palestinienne qui doit encore se montrer capable de gouverner de manière démocratique et pacifique. Respecter Israël, comme État juif, c’est rassurer les juifs du monde entier subissant un regain d’antisémitisme qui devrait nous pousser, toutes et tous, y compris un 1er août lausannois, à la prudence en nous abstenant de distribuer des leçons. Ceci, précisément, si nous voulons rester crédibles dans le processus qui mènera, après cette guerre, à une résolution – enfin – de ce long conflit arabo-israélien. N’est-ce pas cela la diplomatie ? N’est-ce pas cela œuvrer de manière humanitaire dans l’intérêt de toutes les populations ?
Nadine Richon / Réseau laïque romand
L’ambassadrice d’Israël en Suisse : « Nous ne menons pas une campagne de vengeance »
écrit par Raphaël Pomey | 9 juillet 2024
Madame l’ambassadrice, merci de nous accorder cet entretien. Au vu des démarches nécessaires à sa préparation, je me suis demandé si vous étiez en danger, même dans un pays neutre comme le nôtre ?
Ma situation personnelle importe peu, ce qui compte c’est l’Etat d’Israël, que je suis fier de représenter, mais qui traverse des moments difficiles. Par ailleurs, j’ai une confiance totale envers les professionnels suisses qui veillent à la sécurité de tous les diplomates et je connais l’efficacité de nos propres équipes de sécurité. Toutefois, le danger est flagrant à l’échelle mondiale : une énorme machine de propagande a été mise en marche le 7 octobre pour présenter notre pays comme l’agresseur et non plus comme la victime. En outre, le terrorisme mené par l’Iran constitue un danger pour les Israéliens dans le monde entier. Aujourd’hui, l’Iran et ses alliés constituent le principal danger pour la paix et la sécurité, non seulement du Proche-Orient, mais au-delà, jusqu’en Europe. Le Hamas n’est qu’un relais (ndlr, « proxy ») de l’Iran parmi d’autres.
J’aimerais ajouter que l’on observe une dangereuse dérive de la critique, légitime, de la politique israélienne. Aujourd’hui, elle déborde sur de l’antisémitisme caractérisé et met des vies en danger. Cette poussée des actes haineux s’observe dans toute l’Europe, mais aussi en Suisse. Elle doit être combattue à tous les échelons du système politique.
C’est ce climat qui explique que beaucoup de journaux refusent carrément de vous rencontrer ?
Je ne veux faire le procès de personne ni d’aucun secteur : de telles postures caractérisent aussi des acteurs du monde académique et même certains hommes politiques, par exemple, et pas seulement des journalistes. Mon hypothèse est qu’en général, les personnes qui refusent de me rencontrer ont déjà une opinion et ne souhaitent pas la confronter aux faits que je pourrais apporter. Mais pour tout dire, je ne comprends pas que des personnes actives dans l’enseignement, l’écriture ou le débat public en général puissent refuser le dialogue.
Vous avez le sentiment que nous ne croyons plus à la démocratie ?
Non, la réalité est bien plus grave : beaucoup de gens ne croient plus aux faits. Il y a cette idée que l’on peut choisir, en quelque sorte, la vérité qui nous arrange. J’en ai une perception aiguë depuis les attaques du 7 octobre : pensez, certaines personnes refusent même d’admettre qu’il s’est passé quoi que ce soit, ou prétendent que le Hamas a uniquement visé des militaires. Même si on leur montre les images horribles prises par les terroristes eux-mêmes, ils refusent d’admettre les faits.
Depuis des années, en Suisse romande, la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation(CICAD) mène une politique très agressive contre ses adversaires. Cela ne favorise-t-il pas ce genre de réactions ?
La CICAD est indépendante de l’État d’Israël et ne m’a pas donné de mandat pour parler en son nom. Elle a sa propre politique et réalise un travail important, mais séparé du mien. Cela dit, j’ai déjà entendu ces reproches. Je les rattache à un dilemme : que faut-il faire quand on observe le premier un péril ? Sur la base de l’histoire tragique de notre peuple, on peut comprendre la volonté de dire résolument et rapidement « stop » à tout phénomène qui permet la manifestation de la haine envers les Juifs, comme le sentiment d’impunité généré par Internet, par exemple. Mais chacun a son propre mode de fonctionnement et, encore une fois, il ne m’appartient pas de parler au nom de la CICAD.
Je crois aussi que certaines personnes sont surprises aujourd’hui de voir des réactions quand elles vont trop loin. Elles n’y étaient sans doute pas habituées jusque-là.
Vous avez le sentiment que l’on veut bien vous tolérer en tant que peuple, à condition que vous soyez dociles ?
En tout cas certains s’autorisent des déclarations officielles qui nous scandalisent en Israël. Je pense ici à certaines agences des Nations Unies et à des hauts fonctionnaires qui affirment, en substance, que nous n’avons pas le droit d’agir comme n’importe quelle autre démocratie qui aurait été agressée.
Imaginez – plaise à Dieu que cela n’arrive jamais – que la paisible Suisse se réveille un matin et découvre que plus d’un millier de ses citoyens ont été sauvagement assassinés. Ne prendriez-vous pas les mesures nécessaires pour protéger vos habitants ? Bien sûr que oui. Pourtant, quand c’est notre cas, cela nous vaut d’être traités en tant qu’agresseurs. Songez qu’on nous demande sans cesse d’arrêter une guerre que nous n’avons pas lancée !
Est-ce que vous pensez ici au secrétaire général des Nations unies, António Guterres qui a mis votre pays en garde contre un « cauchemar humanitaire » en cas de nouvelle opération armée dans le sud de Gaza ?
Je ne faisais pas référence à ce qu’il a dit hier (ndlr : le 7 février) : je suis moi aussi désolé de la misère et de la souffrance qui rongent la bande de Gaza. Le problème est que la responsabilité en incombe au Hamas, pas à Israël. Pensez aux tunnels que nous découvrons tous les jours, modernes, fortifiées, et bien plus longs que nous ne l’imaginions : l’argent nécessaire à leur construction n’aurait-il pas pu bénéficier aux habitants ? N’aurait-il pas pu servir à construire des écoles, des hôpitaux ou des places de jeux ? Malheureusement, là où nous faisons tout pour mettre nos citoyens en sécurité, le Hamas ne songe lui qu’à détruire son voisin et le peuple juif en général et met en danger sa propre population.
Ce qui nous a rendu furieux, en réalité, c’est quand António Guterresa affirmé que les attaques du 7 octobre n’avaient pas eu lieu dans le vide (ndlr, « in a vacuum »). Pour nous, cela venait justifier le crime le plus abominable commis contre des Juifs depuis la Seconde Guerre mondiale. Je ne m’étends même pas sur le fait que nous ayons quitté Gaza depuis 2005 car de toute façon, qu’est-ce qui pourrait bien excuser l’assassinat de bébés, d’enfants ou le kidnapping de grands-mères et de grands-pères en pyjama ?
Vous contestez l’idée que votre riposte soit disproportionnée depuis la fin de l’année dernière ?
Nous ne menons pas une campagne de vengeance parce que nous ne sommes pas des tueurs barbares comme le Hamas. Nous sommes un pays démocratique et pacifique qui prend des mesures conformément à son devoir de protéger son peuple. Nous n’intervenons pas avec la volonté de tuer des Palestiniens. Un simple exemple : nous annonçons nos attaques – en arabe – à la population à l’avance pour qu’elle puisse se mettre en sécurité. Quelle autre armée fait ça ?
Il faut aussi préciser que la guerre continue parce que le Hamas refuse d’abandonner la violence, de renoncer à ses capacités militaires et de restituer nos plus de 130 otages restants. S’il le faisait, le conflit s’arrêterait sur le champ.
Beaucoup de nos lecteurs sont chrétiens. Comment leur expliquez-vous le bombardement de l’église grecque orthodoxe Saint-Porphyre à Gaza, fin octobre, ou en décembre, la mort de deux femmes qui priaient au sein de la paroisse catholique de la Sainte-Famille de Gaza ?
Nous prenons tous ces cas très au sérieux et notre armée mène une enquête. Nous veillons à ne pas attaquer de sites religieux, et en particulier les églises. Malheureusement, dans l’intensité des combats, des erreurs surviennent parfois et il arrive par exemple aussi que nos propres soldats subissent un feu ami, et nous avons également abattu par erreur trois de nos otages. Mais nous ne visons pas les sites religieux, sauf si nous essuyons des tirs depuis ceux-ci ou s’ils ont été transformés en complexes militaires par les terroristes, comme c’est trop souvent le cas des mosquées.
Vous êtes en Suisse depuis août 2021. Est-ce que cela vous surprend toujours que certains élus affichent leur proximité avec des belligérants comme le Hamas ?
Je suis consciente de cette tension entre l’envie de garder de bons rapports avec tout le monde, dans l’espoir de permettre la résolution de conflits, d’un côté, et certaines décisions importantes comme reconnaître le Hamas comme organisation terroriste, de l’autre. Mais je crois qu’il y a des choix qu’un pays qui aime la paix, comme la Suisse, est obligé de faire même avec une tradition de neutralité, et qu’il n’est pas contradictoire de prendre clairement position contre le mal.