Un Trump avant l’heure ?

Tête de Pisistrate par Jean Auguste Dominique Ingres.
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Mercredi 6 novembre au matin : surprise, stupéfaction, consternation, enthousiasme, défaite, victoire… C’est selon ! Toujours est-il que Donald Trump deviendra le 20 janvier 2025 le 47e président des Etats-Unis d’Amérique. Il donne l’impression d’un homme fort, d’un « mâle alpha ». Son retour aux affaires est qualifié d’extraordinaire. Pourtant, rien de nouveau sous le soleil : la prise de pouvoir d’un homme plébiscité par le peuple au détriment des « élites » a connu un précédent dans l’Antiquité, à Athènes plus précisément. Tentons un parallèle.

Athènes, 565 avant J.-C., le polémarque – chef de guerre ou général en bon français – Pisistrate s’empare du port de Mégare et devient un héros dans sa cité. Ce n’est pas n’importe qui : il prétend descendre de Nestor, le vieux sage de la guerre de Troie. Né en 600, il est âgé de 35 ans et se trouve donc, selon les critères de l’époque, dans la plénitude de l’âge. Athènes est alors régie selon les réformes de Solon. La société est répartie en quatre classes fondées non sur l’hérédité mais sur la richesse. Les neuf archontes dirigeant l’exécutif ne peuvent être élus que parmi les citoyens les plus riches. Les plus pauvres n’ont quasiment rien à dire. Nous sommes donc loin d’une démocratie. Notons au passage qu’en Amérique mieux vaut être milliardaire que chômeur pour pouvoir se présenter à la présidentielle. Solon a aussi aboli l’esclavage pour dette, chose admirable, mais qui qui a eu pour conséquence de grossir de façon notable la dernière classe des défavorisés. Ces derniers se plaignent d’être des laissés-pour compte de la politique, des méprisés de l’élite riche. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelques commentaires récents sur l’élection américaine ? Bref, Athènes est profondément divisée.

Bien que fort riche, Pisistrate est admiré par les classes populaires et devient leur défenseur. Est-il sincère ? On ne le sait pas, ou plutôt on ne veut pas le savoir. En 561, un incident domestique va bouleverser l’ordre politique. L’esclave chargé de le raser lui fait une profonde entaille et le sang coule abondamment. Pisistrate montre son état à des témoins et la rumeur court aussitôt qu’il a échappé à une tentative d’assassinat. Le peuple gronde… et les autorités, pour faire baisser la tension, lui accordent le droit d’avoir une garde personnelle armée non pas d’épées, mais de gourdins. Qu’à cela ne tienne ! Pisistrate l’utilise pour s’emparer de force de l’Acropole – le Capitole athénien – et se proclame tyran. Notons tout de même que ce mot n’a pas le sens péjoratif d’aujourd’hui. Il signifie simplement que la personne n’a pas été élue légalement. Première prise de pouvoir, mais qui dure peu de temps, son assise populaire n’étant pas assez assurée. Il est exilé. 

En 555, Pisistrate le premier retour ! Il s’allie à l’homme fort d’Athènes Mégaglès et use d’un stratagème que nous conte le « père de l’histoire » Hérodote : « Mégaclès, assailli de toutes parts par la faction contraire, fit proposer par un héraut à Pisistrate de le rétablir, s’il voulait épouser sa fille. Pisistrate accepta ses offres ; et, s’étant engagé à remplir cette condition, il imagina, de concert avec Mégaclès, pour son rétablissement, un moyen d’autant plus ridicule, à mon avis, que dès la plus haute antiquité les Hellènes ont été distingués des barbares comme plus adroits et plus éloignés d’une sotte crédulité, et que les auteurs de cette trame avaient affaire aux Athéniens, peuple qui a la réputation d’être le plus spirituel de la Grèce. Il y avait à Pæonia, bourgade de l’Attique, une certaine femme, nommée Phya, qui avait quatre coudées de haut moins trois doigts (environ 1,74 m, taille considérable pour l’époque), et d’ailleurs d’une grande beauté. Ils armèrent cette femme de pied en cap ; et, l’ayant fait monter sur un char, après lui avoir appris l’air et le maintien qu’elle devait prendre, ils la conduisirent dans la ville. Ils étaient précédés de hérauts qui, à leur arrivée, se mirent à crier, suivant les ordres qu’ils avaient reçus : « Athéniens, recevez favorablement Pisistrate ; Athéna, qui l’honore plus que tous les autres hommes, le ramène elle-même dans sa citadelle. » Les hérauts allaient ainsi de côté et d’autre, répétant la même proclamation. Aussitôt le bruit se répand qu’Athéna ramenait Pisistrate ; et les habitants de la ville, persuadés que cette femme était réellement Athéna, se prosternèrent pour l’adorer et accueillirent Pisistrate. Pisistrate, ayant ainsi recouvré la puissance souveraine, épousa la fille de Mégaclès. »

Buste de Pisistrate (Statens Museum for Kunst).

Pisistrate a donc recouvré le pouvoir grâce à une « opération de com » que n’aurait pas reniée un certain Elon Musk ! Malheureusement pour lui, Mégaclès est lui aussi un « mâle alpha » et leur alliance ne dure pas. Deuxième exil d’une durée de dix ans. Pisistrate en profite pour reconstituer sa fortune et surtout pour lever une force armée. Depuis son exil, il manœuvre habilement pour rallier les classes défavorisées à Athènes même. En 546, il débarque à Marathon et aussitôt de nombreux Athéniens se rallient à lui. Grâce à ces partisans et surtout à ses mercenaires, il reconquiert le pouvoir. Mégaclès et à son tour exilé.

Ce troisième retour est le bon. Pisistrate redevient « tyran » et le reste jusqu’à sa mort survenue en 527 après 19 ans de règne. Il gouverne avec modération et bienveillance. Il crée un impôt sur la richesse qu’il redistribue aux plus pauvres. Il développe le commerce du vin, de l’huile et surtout de la poterie et fait d’Athènes une plaque tournante du commerce grec. Il fait construire des routes permettant ainsi aux campagnes de se rapprocher de la ville principale. Il assure aussi l’approvisionnement en eau de la cité et il embellit la cité de nouveaux bâtiments. Et enfin il organise des concours littéraires qui permettent de fixer de manière stable les poèmes homériques. 

En résumé, il fut un admirable homme d’état. C’est lui qui fit d’Athènes l’une des principales cités de la Grèce antique, précurseur de Périclès. Sa mort fut vécue comme une catastrophe par les Athéniens. Quel parallèle avec Donald Trump ? On retrouve bien des éléments semblables : hommes à forte personnalité, admiration ou détestation, champions des classes populaires, retours au pouvoir, charisme hors du commun etc. Reste une question encore sans réponse : le 47e président des Etats-Unis sera-t-il un bon tyran pleuré de tous à son départ ? Seul l’avenir nous le dira. 

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