« Tout pouvoir, même cantonal, a besoin d’un garde-fou » 

Yannick Escher, syndic d'Henniez, lors de la soirée qui lancé le mouvement de contestation du projet de loi sur les communes, le 5 mars dernier. (crédit photo: Le Sensorialiste - Henniez)

Dans les petites communes de la Broye – et bien au-delà – souffle un vent de fronde. Mise en consultation ces dernières semaines, une révision de la loi sur les communes entend remodeler en profondeur le paysage politique vaudois. Fondamentalement étatiste et paternaliste, le projet suscite une levée de boucliers dans les villages. Syndic d’Henniez, Yannick Escher a décidé de monter au front. Il nous explique pourquoi.

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Yannick Escher, en mars, vous êtes monté au front contre le projet de réforme de la loi sur les communes. Cette loi a pourtant 70 ans : n’est-il pas temps de tourner la page ?

Eh bien, laissez-moi vous dire que l’âge d’une loi n’est pas le seul critère qui détermine sa justesse ou son utilité. Ce qui compte avant tout, c’est la vigueur de ses principes et la flamme de liberté qu’elle entretient dans le cœur de nos communes. Lorsque j’ai élevé la voix, ce n’était pas pour balayer toute réforme d’un revers de main, mais pour défendre l’autonomie locale contre ce que je perçois comme un excès de centralisation.

Nos conseils généraux et communaux représentent une véritable pépinière de démocratie. J’entends bien l’argument selon lequel une loi qui a sept décennies mérite d’être reconsidérée ; je ne suis pas hostile au renouveau. Mais, dans notre hâte à “tourner la page”, ne brisons pas l’élan vital qui anime la vie municipale. Il faut rénover, certes, mais sans jamais perdre de vue la sève qui nourrit depuis longtemps ces racines démocratiques.

En somme, réformons avec prudence et passion, préservons l’esprit d’initiative et la fierté de chaque commune. Car le progrès véritable ne consiste pas seulement à faire du neuf ; il s’agit de bâtir sur ce qui a fait la force et la dignité des générations passées. Et c’est là, à mes yeux, la meilleure voie pour conjuguer tradition et modernité au service du bien commun.

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On sent une ambiance de fronde dans votre mouvement, alors qu’il ne s’agit que d’une consultation sur un avant-projet. Votre réaction n’est-elle pas un peu excessive ?

Permettez-moi d’affirmer qu’il ne s’agit pas simplement d’un avant-projet : ce qui est en jeu, c’est le souffle même de nos libertés locales. Tant qu’on n’a pas la certitude que cette réforme respecte pleinement la vitalité de nos communes, nous devons rester vigilants et défendre nos droits avec passion.

Le fait que ce soit un « avant-projet » n’empêche pas qu’il contienne déjà des principes qui pourraient éroder l’autonomie de base. C’est justement lorsque la flamme de la démocratie locale est menacée, même faiblement, qu’il faut lui apporter tout notre souffle. Sans cette détermination, le danger est de voir nos législatifs relégués au second plan par un excès de centralisation.

Alors, certes, je ne nie pas que c’est l’étape initiale d’un processus. Mais si le tronc d’un arbre est mal taillé dès le départ, pourquoi attendrions-nous qu’il dépérisse pour réagir ? Mieux vaut prêter une oreille attentive aux avertissements, afin d’éviter de graves frustrations à l’heure où la loi s’appliquera réellement. Défendre avec force ce qui nous est cher n’est pas de la fronde, c’est la plus noble expression de la vigilance démocratique.

Derrière les propositions du Canton se cache une volonté de “professionnaliser” l’administration des communes. L’amateurisme serait-il au contraire une vertu à vos yeux ?

Loin de moi l’idée de réclamer l’amateurisme comme étendard ! Ce que je défends, c’est la sève authentique de la démocratie locale, où l’on se rassemble non pas parce qu’on est “expert”, mais parce qu’on est citoyen engagé. Appelez cela « amateurisme » si vous le voulez, mais je crois fermement que la proximité, la générosité, l’esprit d’initiative et la connaissance concrète du terrain valent bien des diplômes.

La “professionnalisation” n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais gardons-nous de croire qu’une administration plus technocratique garantira à coup sûr un meilleur service au public. Si nous perdons ce feu d’enthousiasme qui anime les élus locaux – souvent des bénévoles qui donnent de leur temps et de leur énergie à leur commune –, nous risquons de faire taire les mille voix d’une population qui, précisément, font la force vive de la démocratie.

En somme, oui à la compétence, mais non à la bureaucratie qui étouffe l’intuition et la liberté d’action. Ce qui se joue ici, c’est la préservation d’une dynamique humaine, où la passion et la compréhension intime des besoins de nos concitoyens priment sur les procédures standardisées. Voilà, à mes yeux, la vertu essentielle qui doit guider nos communes.

Pourquoi tenir à des villages de 500 âmes quand nos élites rêvent d’entités de 3000 habitants ?

Laissez-moi vous dire que ce n’est ni par nostalgie ni par défi puéril que je m’attache aux petites communes. Je m’y attache parce que c’est là que la flamme de l’engagement citoyen brille avec le plus d’intensité. Une communauté de 500 habitants, c’est le lieu où chacun se connaît et se sent responsable du bien commun.

Peut-être certains voient-ils dans des regroupements plus vastes la promesse d’une efficacité de gestion. Mais le danger, c’est de faire naître des institutions trop éloignées des réalités humaines : l’ancrage concret, la solidarité de voisinage, l’échange direct entre élus et concitoyens – tout cela se dilue lorsqu’on homogénéise à outrance.

La taille d’une commune ne doit pas être imposée de haut, elle doit naître d’un consentement libre et éclairé.

Après le cafouillage de l’affaire Dittli, est-ce le moment de dire à Christelle Luisier de revoir sa copie, plutôt que de vouloir gérer les communes à votre place ?

En démocratie, nul n’est infaillible : si un incident comme l’affaire Dittli jette la lumière sur des dysfonctionnements, il doit aussi nous rappeler que tout pouvoir, même cantonal, a besoin d’un garde-fou. Ce n’est pas un appel au conflit ; c’est plutôt la conviction qu’avant d’imposer davantage de règles ou de tutelles aux communes, l’exécutif cantonal ferait bien de prouver sa propre capacité à gérer efficacement ses affaires.

Dans chaque village, on saura vous dire que la prudence et la transparence valent mieux qu’une précipitation désordonnée. Alors, si Mme Luisier souhaite vraiment insuffler une réforme de nos communes, il serait sage qu’elle montre l’exemple, qu’elle prenne le temps de la réflexion et s’assure que ses propositions respectent l’âme même de la démocratie locale. Reconnaissons, dans ce cafouillage, un signal d’alarme : avant de vouloir corriger les pratiques d’autrui, il faut veiller à la solidité de son propre édifice.

https://www.autonomie-communale.ch

Photo principale: Yannick Escher, syndic d’Henniez, lors de la soirée qui lancé le mouvement de contestation du projet de loi sur les communes, le 5 mars dernier. (crédit photo: Le Sensorialiste – Henniez)


La déclaration (signée par une cinquantaine de communes vaudoises) contre le projet de révision de la loi.

Il faut sauver la démocratie de proximité

Les autorités cantonales menacent l’autonomie des communes vaudoises en leur imposant des exigences irréalistes. Sous couvert de professionnalisation, leur projet de réforme multiplie les contraintes qui, à terme, forceront de nombreuses communes à fusionner. Cette logique insidieuse, contraire à la tradition politique vaudoise, affaiblira la démocratie locale et gommera la diversité politique du canton.

Le 3 février dernier, en présentant son avant-projet de loi sur les communes, le Canton a appelé à une consultation à grande échelle des autorités locales. Prenant cette invitation au sérieux, une large coalition d’élus s’est formée pour exprimer ses inquiétudes face à un texte qui, selon nous, menace l’équilibre et la vitalité de notre paysage politique.

Face à « l’évolution démographique et à la complexification des tâches communales », le Canton estime que la loi de 1956, malgré ses nombreuses adaptations, est devenue obsolète. Il prône désormais une « professionnalisation » des administrations locales. Faut-il en conclure que, jusqu’ici, les communes vaudoises auraient survécu sous la houlette d’amateurs ? Certes, des crises de la collégialité ont éclaté ces dernières années, mais elles ont principalement concerné des grandes villes, bien plus que des petites communes, que cette réforme vise pourtant en priorité.

Ce texte ne prétend pas analyser chaque détail du projet, mais tous, ici, refusent une réforme qui imposerait des taux d’occupation minimaux pour des fonctions essentielles – boursier, secrétaire municipal –, ou imposant encore des collaborations internes ou externes en matière d’urbanisme, condamnant ainsi de nombreuses communes à la fusion, faute de ressources. Le Conseil d’État ne cache d’ailleurs qu’à peine son intention lorsqu’il ironise sur le fait que le canton « comprend (encore[1]) 300 communes ».

Le climat de défiance envers les élus de milice ne s’arrête pas là, la figure du syndic est délibérément affaiblie, réduite à un simple rôle de coordination, ce qui constitue une attaque incompréhensible contre la syndicature. L’exigence d’un programme de législature, avec des objectifs fixés par l’État, renforcerait encore cette mise sous tutelle. Quant à l’obligation de disposer d’un service de l’urbanisme, elle serait tout simplement irréaliste pour des communes de moins de 1’000 ou de 2’000 habitants. Cerise sur le gâteau, des règles d’incompatibilité complexifieront encore le recrutement de miliciens dans des communes où la population est une grande famille

Ces pressions s’accompagnent d’un durcissement des règles comptables. Déjà soumises aux normes strictes du nouveau modèle comptable harmonisé de deuxième génération (MCH2), les communes perdraient tout contrôle sur la gestion de leurs finances, désormais dictée par l’État, que ce soit dans les principes comptables, les procédures ou même la gestion de la bourse. Cette mise sous tutelle systématique émanant de fonctionnaires cantonaux non élus, et donc, dépourvus de toute légitimité démocratique, est inacceptable.

Pire encore, l’avant-projet de loi place les petites communes dans une instabilité permanente. L’État s’arrogerait le pouvoir d’imposer des collaborations intercommunales sous prétexte d’« intérêt public prépondérant ». Il entend aussi empêcher les communes de déléguer certaines tâches à des prestataires privés, notamment les services techniques. Quel avenir propose-t-on alors aux petites communes ? Doivent-elles se résigner à devenir des satellites sans autonomie, ou disparaître au profit d’agglomérations artificielles ?

L’État a certes pour mission d’assurer l’efficacité de la gestion publique. Mais en poursuivant cette uniformisation – au point d’exiger que les Communes lui soumettent leur programme de législature ! – il porte un coup sévère aux principes mêmes de pluralisme, de solidarité enracinée et de respect des identités locales. Ce projet trahit l’esprit de milice qui a toujours fait la force de notre démocratie communale et s’inscrit en contradiction avec l’histoire politique du Canton.

Nous le rejetons avec détermination et appelons à préserver l’autonomie et la diversité de nos communes. Ce dont les élus locaux ont besoin aujourd’hui, ce ne sont pas de contraintes supplémentaires, mais bien plutôt de confiance et de respect, notamment de la part de l’État.

[1] Nous soulignons.

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