Les auditeurs d’Europe 1 auront peut-être perçu un fulgurant chef-d’œuvre de poésie contemporaine, au début du mois. Dans un extrait encore visible sur YouTube, un chroniqueur de On marche sur la tête, l’émission du délicieux Cyril Hanouna, s’indigne d’un tweet « pas au niveau », signé Emmanuel Macron. Le gourou transgénique de la France qui gagne venait, comme à son habitude, de s’approprier le succès sportif d’autrui en célébrant la victoire du PSG. L’objet du scandale ? Un tweet débutant par un suave : « Champion mon frère ».
« Style wesh un peu relâché » (Goldnadel, dans Le Figaro), clin d’œil aux Frères musulmans, ou charabia adolescent — tout y est passé. La petite phrase (en réalité une citation d’un joueur — on a les maîtres à penser qu’on peut) a déchaîné des torrents d’indignation, tandis que, dans la rue, le pays réel se consumait. Mais ce qui mérite attention, c’est surtout ceci : dans la France telle qu’elle ne va pas, c’est à un chroniqueur d’Hanouna, Gauthier Le Bret, qu’il revient de juger les élégances présidentielles. Il fut un temps où une scène si surréaliste aurait pu figurer dans Un chien andalou.
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Macron est-il à la hauteur de sa fonction, en écrivant « les frères » dans la foulée d’un match de ballon rond ? Évidemment non — pas plus qu’il ne l’était en envoyant la police tirer dans les yeux des Gilets jaunes, ou matraquer des lycéens dans leur bahut. Mais que peut-on attendre d’un président qui se déhanche sur Elton John pendant que les émeutes embrasaient le pays au lendemain de la mort de Nahel ?
Ces considérations dérangent sans doute la droite CNews. Mais elles gênent aussi la gauche du capital. Ainsi, Libérationnous a appris que l’insoumis Manuel Bompard — visiblement peu insoumis à la doxa — regrettait surtout un mot qui ne visibilisait pas les femmes fans de foot. « Bienheureuses êtes-vous, si votre passion du football est invisibilisée, car grande sera votre récompense auprès de Dieu-e », serait-on tenté de répondre.
L’affaire est déjà oubliée. Comme l’a été le non français à la constitution européenne en 2005, le « casse-toi pauv’ con » de Sarkozy ou les virées romantiques en scooter de François Hollande. Macron, comme ses prédécesseurs, joue en effet parfaitement son rôle : enfumeur de démocratie — ou, pour reprendre Philippe Muray, « évaporateur du réel ». En 2003, dans Le Figaro Magazine, l’écrivain notait : « Le réel multiple dont le débat prétend débattre s’efface au rythme même où il est débattu. » Les débats inutiles qui rythment la journée télévisuelle du quidam de droite ou de gauche ne sont plus guère que les rites nouveaux du monde d’après la foi. L’affaire « mon frère » en aura constitué une brève liturgie de la parole.
Quant au foot français, il n’existe plus guère au plus haut niveau : rappelons que le PSG appartient au Qatar. De « frères », il n’y en a pas davantage. Les hommages des supporters à la « fraternité » de la devise républicaine ont laissé deux morts, des centaines de blessés et près de 600 arrestations dans les rues de Paris.
Et de président ? Il n’en reste peut-être pas davantage. Juste un gentil sociopathe en quête d’acceptation.