Nous avons le doigt d’y croire

La sensibilité conservatrice, dont ce journal se revendique ouvertement, souffre de cette tendance qui consiste à chercher dans l’actualité les signes d’un irrémédiable déclin. Parce qu’il a souvent le travers d’oublier que l’existence est belle, et l’absinthe délicieuse, le « droitardé » (comme disent les jeunes) se complaira dans la pose de celui qui décèle avant tout le monde les signes de l’effondrement final. Il le fait parfois avec style, souvent en se montrant relativement amusant. Le problème, avec cette disposition d’esprit, c’est qu’elle ne rend service ni à celui qui impose sa mauvaise humeur permanente, ni à l’entourage ou aux lecteurs qu’elle serait censée édifier. Une analyse lucide implique toujours de constater d’abord qu’il est bon de vivre à l’époque où nous rendons l’âme à 70 ans et non pas à 30, où le taux de mortalité infantile n’est pas d’un sur quatre, et où la guerre civile ne ravage pas le pays.
Détail de la fameuse Création d’Adam de Michelangelo. (Wikimedia Commons)
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Des raisons de désespérer, l’actualité nous en propose cependant en abondance. En Suisse, les scènes pathétiques se sont d’ailleurs multipliées ces dernières semaines : c’était par exemple le fameux doigt d’honneur adressé au drapeau rouge et blanc par une jeune militante socialiste valaisanne, issue de bonne famille, à l’occasion de notre Fête fédérale (oui, nous disons bien fédérale !). C’étaient aussi les singeries d’Alain Berset, président de la Confédération, sur une love mobile à la Street Parade : signe de cornes avec ses mains, Heineken tiède, cigare au bec et boa autour du cou…  Qu’aurait-on dit s’il s’était agi de Trump ? Mais parce que nous n’avons pas d’œillères, il nous faut ajouter que nous n’avons guère goûté le nouveau clip de campagne, douloureux à regarder d’une traite, qui nous montre les élus UDC se déhancher en boîte de nuit. Aura-t-on davantage envie de voter pour tel ou tel représentant parce qu’il nous montre sa capacité à faire la fête, sombrer dans la vulgarité et en rire publiquement ? Ce serait là un signe assez dramatique de déclin du sens démocratique dans ce pays, au même titre que l’abstention.

Et pourtant, la reprise nous permet déjà de croire aux premiers signes d’un renouveau helvétique. Parce que les préoccupations portent plus sur les fins de mois que sur le sexe des anges (non binaires), des personnalités de gauche osent de plus en plus fréquemment dénoncer des thèmes de campagne qui, dans leur propre camp, se trouvent à des années-lumière des préoccupations de la population. À l’heure où nous rédigeons ce texte, la démission de chez les Vert-e-s du député vaudois au Grand Conseil Andreas Wüthrich en est le symbole éclatant. Pour rappel, l’élu a motivé sa décision par l’obsession de son parti pour les questions dites « sociétales », qui laissent la défense de l’environnement au second plan. Doit-on rappeler qu’en mars, des témoignages nous faisaient déjà part d’un malaise grandissant au sein du parti autour de l’omniprésence de ces sujets ? Et que dire de Vincent Keller, député popiste au Grand Conseil vaudois, chef du groupe réunissant toute l’extrême-gauche : « Ce ne sont pas des chiottes non genrées qui paieront les factures des classes POPulaires », tonne l’élu sur Twitter ! Il fut un temps où des antifas vous agressaient pour moins que ça. Dans cette édition elle-même, la présence d’une chronique du socialiste Pierre Dessemontet, pourtant très hostile à nos positions, indique bien qu’une certaine gauche semble vouloir reprendre le dialogue avec des personnes souvent caricaturées jusque-là.

Diantre ! Le Peuple aurait-il viré sa cuti ? Le portrait laudateur de Jaurès – immense socialiste devant l’Éternel – qui figure dans la présente édition pourrait le laisser croire. En réalité, ce semblant de « virage à gauche » s’inscrit dans la continuité des valeurs que nous prônons depuis le début. Voici les derniers mots de notre charte, que vous retrouvez traditionnellement à la fin de nos éditions : « Se voulant à la fois combatif et bienveillant, et entendant favoriser une authentique culture du débat, Le Peuple met un point d’honneur à traiter avec professionnalisme et intégrité les positions qu’il critique. »

Il ne s’agit pas simplement d’une ligne éditoriale, mais d’une ligne de conduite pour l’existence en général. Nul besoin de se trouver plus ou moins à gauche de l’échiquier pour défendre l’art de la controverse argumentée, fondement de la démocratie directe. Quitter l’entre-soi idéologique, sans jamais se renier, cela s’appelle la maturité. Nous espérons y parvenir grâce à votre fidélité.

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