Le Salut par le poulpe

Les égouts de notre société sont souvent moraux : un peu partout, des scènes inimaginables il y a encore vingt ou trente ans, comme la présence de drag-queens dans des bibliothèques publiques pour faire la lecture aux plus petits, sont non seulement promues, mais financées par de l’argent public. Deux intervenants, le philosophe Jean Romain et la politicien UDC Yohan Ziehli, en parlent mieux que nous ne saurions le faire dans notre édition. Alors que faire ? Combattre chaque nouvelle absurdité, comme un taureau devant lequel on agite un drapeau rouge ? Perpétuellement sonner le tocsin, au point de ne plus être entendu ? Au Peuple, nous tentons de résister à cette tentation en défendant la littérature comme contre-pouvoir.

Il y a une fatigue, en effet, à défendre le sens commun dans une société entièrement organisée pour détruire toute forme de vie intérieure. Qu’un élu du peuple (nous ne parlons pas du journal, mais bien du peuple qui élit ses représentants) demande des comptes aux plus hautes autorités politiques au sujet de telle ou telle dérive subventionnée, on lui rira gentiment au nez. Vous n’allez pas dans le sens de l’histoire, mon brave monsieur ! Quant à la société civile, elle réagit désormais comme sous tout bon régime totalitaire : on ose dire entre nous que nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec certaines choses, bien entendu, mais pas au point de sortir du rang pour ne plus laisser le mensonge passer par nous. Le déclin du courage annoncé par Soljenitsyne a eu raison de nous.

D’abord, admettre l’échec

Le rôle des politiciens consiste à trouver des solutions, celui des journalistes à dire le pays réel. Peut-être, après tout, devrions-nous simplement rechercher d’autres réalités et admettre que nous avons perdu la partie. À quoi bon se révolter ? La religion qui a fondé l’Europe est peu à peu supplantée par une autre, et nos proches en souffriront. Le sens de la liberté, ce bien si précieux, a déserté nos semblables, qui ne voient rien de bien grave dans la mise en place de plus en plus rapide d’un État maternant. Quant à l’effondrement de la langue française, la majorité des adultes sont eux-mêmes parvenus à un tel état d’abrutissement qu’ils ne savent même plus s’inquiéter de la disparition du « nous » ou des pronoms relatifs chez leurs enfants.

Depuis toujours, l’humanité a cherché à donner du sens à la présence du mal dans le monde. Les exemples classiques expliquaient que tel ou tel instrument, pour sonner juste, avait besoin d’une corde dont le son, isolément, faisait mal aux oreilles. D’autres y ont vu la volonté d’un Dieu tout-puissant, certes, mais respectueux de la liberté des hommes. Certains, enfin, ont fui ces questions, accepté le réel et se sont réfugiés dans une quête esthétique. La beauté, évidemment, ne suffit pas à elle seule à donner une clé de compréhension aux malheurs du genre humain. Elle aide toutefois à les supporter.

Tandis que la chaleur nous écrase, imaginons-nous un instant sur un port crétois, un ouzo à la main, quelques olives sur la table et un poulpe délicatement grillé dans une assiette. Voilà qui ne suffit assurément pas à accepter l’asservissement de notre condition de modernes, et c’est tant mieux. Contre l’État maternant ou pour une société digne et décente, les raisons de se battre ne manqueront jamais et il est sain de rester éternellement révolté. Mais le point de départ de tout engagement consiste à se rappeler que la vie est belle, que le premier miracle associé au Sauveur des chrétiens consiste à avoir changé l’eau en vin pour que tout le monde puisse se réjouir. Ainsi en va-t-il de notre civilisation : face au mystère du mal, elle a su s’appuyer sur la beauté pour nous rendre la vie plus humaine.

L’ouzo, le poulpe et les olives ne constituent certes pas une théodicée, mais déjà un premier pas vers le Salut.