La Syrie, l’UE et la « neutralité alignée »
Cet article est réalisé en partenariat avec l’organisation Pro Suisse.
L’association défend une Suisse indépendante et neutre.
Si vous avez appris à ne pas frapper un homme à terre, sachez que la règle vaut en morale, mais pas en politique. À la mi-décembre, la Suisse a annoncé de nouvelles sanctions visant la Syrie : en ligne de mire, trois pontes du gouvernement déchu de Bachar al-Assad. Au menu, du très classique : interdiction de passage sur le territoire et blocage des éventuels avoirs stockés dans notre pays, rappelle Blick. Et le média de préciser : « La Suisse suit ainsi une décision de l’UE. »
Suivre ou « s’aligner sur » les décisions de l’Europe », voilà un domaine où la Suisse excelle. D’ailleurs le jour-même, le Blick annonçait que cette posture serait aussi adoptée concernant 99 millions de francs bloqués dans nos banques. De fait, une consultation des mesures prises à l’encontre de la Syrie depuis 2011 livre un verdict très clair. Dans sa communication, la Confédération souligne presque toujours sa volonté de se rallier aux sanctions européennes voire, comme en 2014, d’adapter notre « dispositif de défense » à « l’arsenal mis en place par l’UE ».
Mais quel est ce pays neutre qui rampe après les décisions d’un voisin avec lequel il est lui-même en bisbille ? Europhile et progressiste, le Vice-président des Vert.e.s suisses Nicolas Walder nuance. L’alignement, rappelle-t-il, n’est pas systématique : « Par exemple vis-à-vis de la Russie la Suisse n’a pas repris, même si je le regrette, les sanctions de l’UE contre les chaines de propagande Russian TV et Spoutnik. Ensuite parce que notre neutralité est avant tout militaire. Il est aujourd’hui attendu de la Suisse qu’elle se positionne politiquement en faveur du respect du droit international, et c’est ce qu’elle fait en principe. » Ce qui ne l’empêche pas de soutenir les sanctions économiques : « Il est important que la Suisse ne se rende pas complice de criminels (au sens du droit international). Sans quoi la neutralité suisse serait perçue à juste titre comme purement opportuniste. »
Une loi qui commence à dater
Sur le fond, un contexte légal particulier mérite d’être rappelé : « Si l’on reprend tout ou partie des sanctions de l’UE c’est que notre législation (loi sur les Embargos) ne nous autorise pas à adopter nos propres sanctions, explique l’ancien du CICR. Le texte précise en effet que la Suisse peut reprendre celles de nos « principaux partenaires ». Nous avons voulu modifier cette loi au parlement il y a trois ans pour introduire la possibilité de sanctions autonomes mais sans succès face à la majorité (de droite) qui l’a refusée. »
Cette loi, souligne l’avocat et président de Ligue Vauoise Félicien Monnier, date effectivement de 2002. Quand elle a été adoptée, les Etats-Unis faisaient encore la pluie et le beau temps et l’Union Européenne ne criait pas bien fort lorsque les troupes de Georges W. Bush partaient apporter la démocratie et les droits de l’Homme dans des pays qui n’en demandaient pas tant. L’opposition, par exemple en France, était surtout venue de personnalités politiques comme Dominique de Villepin, qui avait frappé les esprits avec un discours mémorable aux Nations unies. « À partir de 2014, le monde a de nouveau évolué vers davantage de multipolarisation et c’est comme si nous ne nous rendions pas compte que nous avons changé de réalité géopolitique », observe le Vaudois. Le grand basculement, soutient-il, intervient en 2022 avec la reprise automatique des sanctions contre la Russie. « La loi sur les Embargos prévoit qu’on peut prendre des sanctions quand nos « principaux partenaires commerciaux » le font les premiers. Mais comme l’UE a pris une importance qu’elle n’avait pas encore en 2002, le maintien de cette loi dans son état actuel nous place dans une situation où nous institutionnalisons un lien de dépendance vis-à-vis de ce voisin. »
Dans le cas qui nous occupe, n’est-il de toute façon pas un peu ridicule de prendre des mesures contre des ministres d’un régime qui vient de s’effondrer ? « J’aurais aussi aimé que la Suisse soit plus critique et engagée contre le clan Assad durant les 50 dernières années, reconnaît Nicolas Walder. Malheureusement, notre pays a traditionnellement privilégié ses intérêts économiques sur la défense du droit et de ses valeurs. Je relève quand-même que des sanctions contre le gouvernement de Bashar el-Assad ont déjà été adoptées en 2011. Quant aux derniers officiels ajoutés par la Suisse ce mois à la liste, cela fait suite à la décision de l’UE en novembre 2024. Donc oui c’est tard mais comme dit l’adage : mieux vaut tard que jamais ! »
La grêle avec les vendanges
Plus bucolique, Félicien Monnier espère quant à lui que cette « grêle après les vendanges ne démontre pas la lenteur de l’Administration fédérale à s’adapter à la nouvelle donne géopolitique ». Les ministres syriens, Louai Emad El-Din al-Munajjid, Firas Hassan Qaddour et Ahmed Mohammad Bustaji, ont en effet tous été nommés en septembre…
Reste une question de fond : comme pays appelé à favoriser la paix dans le monde, nous incombe-t-il de choisir un camp à la fin d’une guerre civile ? « Je partage l’avis que la Suisse doit s’engager encore plus dans la promotion de la paix grâce à la coopération internationale et à ses bons offices, abonde Nicolas Walder. C’est pour cela qu’il ne faut pas réduire les budgets comme le veulent l’UDC et le PLR. Et pour promouvoir la paix, il faut aussi renoncer à financer les efforts de guerre des pays violant le droit international. C’est pourquoi il est important d’adopter des sanctions pour que les entreprises suisses ne financent pas ces crimes. » Il rappelle que notre pays « n’est pas le CICR », mais bien la 20ème économie mondiale et qu’il a, à ce titre, une responsabilité à ce que sa puissance ne soit pas engagée au service de guerres d’agression.
Priorité à la défense
Un « tout diplomatique » qui convainc fort peu Félicien Monnier : « Le Parlement a constaté qu’il y avait d’importants problèmes budgétaires à régler mais il a aussi observé, avec raison, que 30 ans de coupes budgétaires avaient laissé notre armée dans un état absolument critique. Actuellement, elle n’est pas du tout prête à faire face à la redistribution des cartes géopolitiques sur le plan mondial. Il est donc tout à fait logique de mettre l’accent sur elle pour assurer la sécurité du pays. »