La question que tout le monde se pose

Duel au sommet entre la journaliste Apolline de Malherbe et la Première ministre Elisabeth Borne, fin septembre sur BFM TV.
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Ceux parmi nos lecteurs qui ont la suprême audace de posséder une télévision se souviennent peut-être du face-à-face, en 2001, entre Thierry Ardisson et feu l’ancien Premier ministre français Michel Rocard. Dans son style caractéristique, l’homme en noir (Ardisson, donc, pas Johnny Cash) avait demandé au socialiste si, nous citons, «sucer c’est tromper». L’interview, lors de laquelle le socialiste nous avait livré des détails sur ses préférences sexuelles, avait suscité bien des réactions outrées, certains estimant qu’il s’agissait là d’une attaque sans précédent contre la majesté inhérente à la chose politique. Un peu comme lorsque madame Calmy-Rey, alors à Berne, avait chanté «Les Trois Cloches» en playback sur le plateau d’Alain Morisod.

Quelque vingt ans plus tard, l’on ne demande plus ses préférences sexuelles à la Première ministre en place, Elisabeth Borne, mais plus personne ne semble s’émouvoir de la voir questionnée sur des objets particulièrement privés. Comme par exemple la température à Matignon: «Cet été nous ne mettions pas la climatisation et nous allons être attentifs à ne pas chauffer trop tôt», a jugé nécessaire de répondre la cheffe du gouvernement. Et de préciser: «La règle, c’est de chauffer à 19°C donc s’il fait 15°C, naturellement vous pouvez allumer votre chauffage».

Pourquoi le rapprochement entre l’interview de Michel Rocard et celui de son successeur? Parce que finalement, le premier n’est pas forcément le plus indigne des deux. En livrant des détails sur sa vie privée, l’ancien souffre-douleur de François Mitterrand ne semblait pas participer à un test grandeur nature dont nous serions les souris. Il s’agissait de propos de fin de soirée, ambiance «beauf pride» bon enfant. Là où la geste malherbienne doit nous interroger, c’est à propos du sens du métier de journaliste aujourd’hui. Informer, guider les âmes, participer à une vaste entreprise de soumission? Un peu tout cela à la fois, et qu’il nous soit permis, ici, de nous interroger sur l’évolution des démocraties au sein desquelles allumer le chauffage ou prendre un bain devient un geste dissident.

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