Ensauvagement du haut, ensauvagement du bas

(crédit photo: nsey-benajah/Unsplash)

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Lundi 25 août, la population romande se réveille avec une immense gueule de bois. Dans le quartier de Prélaz, à Lausanne, des émeutes ont suivi le décès d’un jeune qui fuyait la police à scooter. « Ça devient comme en France », alertent les internautes, comme s’il y avait une certaine jubilation à voir sombrer notre pays selon l’exemple du grand frère voisin. Fascistes ou antifascistes, tous sont aux anges.

Ça devient « comme en France », oui, mais pas que là. 

Ça devient « comme en France », aussi, quand on découvre, lors d’une conférence de presse organisée quelques heures plus tard, qu’une part significative des policiers eux-mêmes ont du mal à respecter la population – souvent d’origine immigrée à Lausanne – qu’ils sont censés servir.  Des blagues abominables sont partagées sur des groupes WhatsApp, taclant autant les Noirs que les trisomiques ou le petit Aylan, mort à trois ans sur une plage.

Ça devient « comme en France » quand un gouvernement cantonal, celui du canton de Vaud, décide sans consultation de rogner dans les budgets des hôpitaux régionaux pour améliorer ses comptes. Les gueux des campagnes, après tout, peuvent bien prendre la voiture deux heures pour aller se faire soigner en ville – entre deux émeutes.

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Ça devient « comme en France » quand, au plus haut niveau de la Confédération, on s’assoit sur la volonté du peuple (lointains souvenirs d’un âpre débat sur la régulation de l’immigration de masse, il y a plus de dix ans), ou quand on le fait voter l’achat de nouveaux avions de combat sur la base de fausses promesses.  

Interrompons ici notre litanie pour affirmer ceci : Oui, il y a l’ensauvagement du bas – et la droite est intarissable à son sujet. Mais il y a aussi l’ensauvagement du haut : celui des élites et des représentants de l’ordre. Un sain conservatisme ne saurait dénoncer l’un et pratiquer la cécité volontaire à propos de l’autre.

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Avec les taxes douanières décidées par Trump, la Suisse est entrée dans la vallée du doute, dès le début de ce mois. Mais on peut bien dénoncer la brutalité du président américain tant que l’on veut, l’actualité régionale et fédérale nous a rappelé toutes ces dernières semaines que si notre modèle vacille, c’est parce que les vertus nécessaires au maintien d’une démocratie directe digne de ce nom s’éteignent autant chez le gosse qui met le feu à un bus que chez des élus fédéraux qui mènent leur pays sur le chemin de la soumission.

C’est le hasard du calendrier qui a voulu que nous sortions dans cette édition le portrait consacré au général Guisan, à l’occasion des 80 ans de la fin de son service. L’imagine-t-on, à notre époque, envoyer des blagues sur les trisomiques à ses collègues pour « décompresser » ? L’imagine-t-on, aussi, vanter les vertus du « vivre-ensemble » au lieu d’inspecter le terrain, prendre le pouls de sa troupe, s’adresser à ses responsables politiques pour leur rappeler leur mission ?Des heures sombres du siècle dernier, puisse son auguste figure nous rappeler ce que cela signifie d’être Suisses, et conservateurs : non pas un blanc-seing pour se laisser aller à n’importe quelle outrance, pourvu qu’elle frappe une minorité, mais au contraire retrouver le sens de la responsabilité.

Pour que la Suisse reste la Suisse, il est temps de recommencer à parler de « vertus civiques ». Ce ne sont pas les experts, en effet, qui font l’âme d’un peuple, pas plus que des élus qui, de plus en plus, s’engagent dans la chose publique par carriérisme. 

Non, s’il reste un fond moral sur lequel une saine démocratie peut renaître, elle se trouve chez nous, le peuple.

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