Du Covid aux pénuries, l’autoritarisme mou

Pour amorcer une rentrée marquée par la crainte de pénuries, le Conseil fédéral a lancé une campagne d’économies «volontaires», mais sous menaces d’interdictions. Cela ne vous rappelle rien?
Infantilisation et décisions forcées, les deux mamelles de la nouvelle gestion des crises. Unsplash
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La stratégie «de la carotte et du bâton». C’est ainsi que nos confrères de 24 heures, au début du mois, ont synthétisé l’ensemble des mesures proposées par Berne, avec le soutien d’une large coalition d’acteurs économiques et politiques, pour faire face aux menaces de pénuries d’énergie. Au menu, des «recommandations» aussi basiques que remplir complètement le lave-vaisselle avant de l’utiliser, bien essorer le linge ou – nous citons – «aérer intelligemment» sa demeure.

Pas peur du ridicule

Autant de bons conseils qui nous forcent à faire un constat clair: face aux enjeux de taille, les dirigeants ne craignent plus d’assumer un certain ridicule en se substituant aux cadres familiaux, où se passaient naguère ces savoirs. «Ces conseils me font rire dans la mesure où les plus généraux invitent à faire ce que les vieux de mon genre font, s’amuse d’ailleurs Suzette Sandoz, ancienne Conseillère nationale libérale. Cuire avec un couvercle, faire bouillir l’eau dans une bouilloire plutôt que dans une casserole, éteindre la lumière systématiquement, se doucher plutôt que se baigner.» Là où l’affaire devient moins amusante, c’est quand Berne menace de manier le bâton, pardon, de faire recours à un «appel plus pressant», dans le langage du Conseiller fédéral Guy Parmelin. Il est ainsi prévu que, si le volontarisme ne suffit pas, les Cantons se muent en policiers de la consommation d’énergie dans les ménages, pour éviter notamment que ces derniers soient chauffés au-delà de 19 degrés. «Ce qui est sûr, c’est qu’une surveillance dans les maisons individuelles serait irréalisable, conclut Suzette Sandoz. Ce sont les éventuels modes de surveillance qui m’inquièteront.»

Un héritage en question

Co-fondateur du Mouvement Fédératif Romand, né de l’opposition à la loi Covid, Daniel Rousseau va encore plus loin. Pour lui, cette façon d’agiter la carotte et le bâton est un héritage clair de la gestion de la pandémie: «La recette est assez simple: il faut agiter le drapeau de la peur sur nos libertés en décrivant le pire. Dans un second temps, on annonce au peuple que c’est moins pire que prévu pour le convaincre qu’il doit accepter aujourd’hui ce qu’il aurait refusé hier. Ce concept s’appelle ʻla soumission librement consentieʼ et il est largement utilisé dans la vente.» Une illusion démocratique qui le conduit à la question suivante: «La manipulation psychologique pour le bien commun est-elle justifiée?»

«Ces conseils me font rire dans la mesure où les plus généraux invitent à faire ce que les vieux de mon genre font.»

Suzette Sandoz, ancienne Conseillère nationale libérale


Président du groupe Ensemble à Gauche au Conseil communal de Lausanne, Johann Dupuis tempère: certes, l’approche a été utilisée pour le Covid, mais non, elle n’a pas été inventée pour lui. Il s’agirait en réalité d’un héritage néolibéral de l’ère Thatcher-Reagan, dans les années 80: «L’état ne doit plus réglementer ni même réguler, mais informer, conseiller voire tout au plus inciter à». Une posture qui le pousse à invoquer la possibilité d’interdictions uniquement en cas de crise grave, ou «comme une espèce d’épée de Damoclès qui interviendrait seulement pour venir trancher une main invisible éventuellement égarée».
Un nouveau mode de «management» des peuples qui, quelle que soit son origine, laisse ouverte une question fondamentale: combien de temps un peuple unifié par le désir de liberté acceptera-t-il de se laisser mener avec une carotte et un bâton, à la manière des ânes?

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