Vous serez surpris de l’apprendre, mais j’ai envie de vous faire un très gros câlin. Cette semaine, j’ai lu votre tribune dans Blick, laquelle fait état de « l’épuisement militant » des « personnes racisées (…) qui s’engagent en première ligne pour dénoncer les injustices, défendre la diversité et exiger une véritable inclusivité. »
Message important !
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J’extrapole peut-être un peu, mais je me demande si, derrière les traits vertueux de ces héros romantiques, vous ne composez pas une sorte d’autoportrait. Vous cumulez en effet, si j’en crois votre compte LinkedIn, plusieurs fonctions dans le domaine de la lutte contre les discriminations : parmi celles-ci, citons votre rôle prestigieux de vice-président de la Commission fédérale contre le racisme, de coordinateur « lutte contre les discriminations et le racisme » au CSP Vaud, ou encore de membre de la Chambre cantonale consultative des immigrés (CCCI). En résumé, vous êtes rémunéré par l’État — donc par les contribuables — pour mener cette lutte dont vous nous expliquez à quel point elle est dure. Autrement dit, vous vivez de l’argent public, et vous utilisez cette position pour dénoncer l’ingratitude de ceux-là mêmes qui le versent.
Quand la souffrance se fait fonction
D’après votre tribune, un engagement comme le vôtre est « constant, épuisant et chargé d’attentes ». Pire, « il suppose une vigilance permanente, une exposition répétée à la violence symbolique, sociale et institutionnelle, et une mobilisation émotionnelle intense. » Que vous êtes courageux de ne pas quitter le navire ! Notez qu’une hyperspécialisation sur les questions de gestion de la diversité vous empêche peut-être de tenir un autre gouvernail…
Parlons-en, d’ailleurs, de trajectoire professionnelle : s’il est légitime de se battre contre les injustices, il devient indécent de présenter comme un acte de survie ce qui relève aussi, dans votre cas, d’une carrière au sein d’un système que vous critiquez, mais dont vous tirez bénéfice. Ceux qui, selon moi, « n’en peuvent plus » ne signent pas de tribunes dans Blick ou 24 heures, comme vous. Ils rentrent de nuit du boulot, paient des impôts (eux ne vivent pas des impôts), et ne peuvent pas s’offrir le luxe d’un statut de victime médiatique. Ils n’ont pas de titre, pas de fonction, pas de tribune. Juste le silence, parfois la colère. Pensez-vous qu’ils seront très sensibles à vos complaintes ?

Vous n’êtes pas un héros, mais un membre de l’élite
Cher Monsieur Yemane, une crainte m’assaille : voici en effet que je crains d’ajouter une nouvelle brique à votre « charge mentale » ! Avec cette lettre ouverte, peut-être que je participe moi-même à cette « pression constante à la retenue » que vous dénoncez. Mais permettez que j’assume une position farouchement libérale-conservatrice, pour l’occasion : quand on a décidé de faire du militantisme sa carrière, quand on aspire à passer toute sa vie professionnelle — dans le militantisme comme à Berne, où, qui sait, vous poursuivrez votre trajectoire politique — toujours à vivre de l’argent des gens, eh bien oui, on se retient.
On se retient parce qu’il existe des mères célibataires, des caissières, des ouvriers, des poissonnières, des coiffeuses, bref, des gens du peuple autrement plus invisibilisés que vous, qui n’ont pas le luxe de nous jeter leurs souffrances au visage.
Je vais vous surprendre, sans doute, mais un souverainiste comme moi croit aussi que la lutte contre le racisme est nécessaire. Mais elle mérite d’être menée avec un minimum de décence, c’est-à-dire sans transformer en héroïsme ce qui, dans bien des cas, est un simple emploi de bureau.
Je vous adresse mes salutations sincères, et l’espoir que vous retrouverez la frite — sans avoir à la facturer au contribuable.
Raphaël