[Tribune] 5000 usines à gaz en Suisse…

Prêts pour l’enfumage éolien ?
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Vous vous souvenez des « avions renifleurs » de Valéry Giscard d’Estaing ? Repérer des gisements pétroliers en survolant plaines, jungles et escarpements hostiles : telle était la belle promesse de deux habiles escrocs dans les années 1970. Quel rapport avec les parcs industriels éoliens ?

Le contexte énergétique d’abord

Ces miraculeux aéronefs ont décollé en période de crise pétrolière majeure, mais aussi de néocolonialisme. De saugrenus émirs verrouillent le robinet pétrolier, haussent le prix de l’or noir, annoncent l’épuisement des gisements ? Pas de panique ! Prenons de la hauteur ! Survolons les contrées déshéritées et localisons de nouvelles ressources, abordons ces peuplades misérables et incultes, faisons tinter quelque menue monnaie et luire mille promesses. Et surtout ne changeons rien aux Trente Glorieuses ! Vive la vie industrielle et l’avenir radieux ! Sans quoi, ce sera encore la misère ! C’est ce qui vient de se passer dans le Jura romand.

L’affaire des avions renifleurs. Texte intégral du rapport de la Cour des Comptes, paru dans « Libération » du 4 janvier 1984.

Les années 1970 n’étaient en effet que le prolégomène de 2020. Les avions renifleurs n’ont jamais flairé que les crédules, les naïfs et surtout les opportunistes tôt levés parmi les politiciens et les industriels. La leçon de l’histoire devrait avoir porté et nous épargner ça. Les éoliennes montrent qu’il n’en est rien. Parce que la psychose devant la nécessité d’un changement est toujours prête à faire trembler le citoyen lambda devant les urnes et parce que les consortiums en tous genres ont compris que l’on ne faisait désormais du profit qu’avec l’assentiment de l’émotion collective.

Le dilemme politique, ensuite

Le citoyen a eu peur du nucléaire ; les doux yeux de Doris Leuthard (ndlr ancienne conseillère fédérale démocrate-chrétienne) l’ont convaincu qu’il fallait interdire l’atome pour se sentir aimable. À peine la souriante Argovienne disparaît-elle des écrans que Greta Thunberg la remplace et soulève la jeunesse contre les émissions de CO2. Le tsunami vert déferle sur les calicots (en vidant les écoles tous les vendredis), dans les urnes, et aux rayons de la Coopé. Skolstrejk, flygskam : on apprend deux mots de suédois et on convoite des sièges ni à l’école, ni dans les avions, mais au parlement. 

Pendant ce temps, l’Allemagne ferme vertueusement ses centrales nucléaires et érige 28 000 éoliennes. Mâts gigantesques, hélices paresseuses, son et lumière garantis toute la nuit ! Tout comme dans les pays nordiques et au long de la côte atlantique. Ces machines, malgré leur nombre accablant, malgré des régimes de vent plutôt optimaux en plaine et en bord d’océan, peinent à dépasser 20 % de rendement et surtout échouent à satisfaire les besoins énergétiques réels. Car le vent ne souffle pas en permanence ! On le savait depuis toujours, mais le sénateur moyen est un animal d’intérieur qui pense que les statistiques et les powerpoint comportent un supplément de réalité et jettent les bases d’un monde neuf et frais, tiré par lui de son chaos ordinaire.

Le parc expérimental éolien offshore « Alpha ventus » en mer du Nord. Martina Nolte/Creative Commons

Enfin, l’addiction à la consommation

Comment permettre au Strasbourgeois de recharger son portable, sa tondeuse à gazon, sa Zoé ou sa Tesla ? Et sans plus toucher au nucléaire, hein ? En réactivant les usines thermiques, pardi ! Ah, en plus, il vaudrait mieux ne pas consommer du gaz russe ! Alors réchauffons les usines à charbon ! N’est-ce pas dans les vieilles marmites que l’on fait la meilleure soupe ? Et ne disons rien de ces monstres tousseux qui rejettent à pleines bouffées du CO2 et de la suie dans l’atmosphère ! Dame, les Chinois se gênent-ils ? Produire plein pot, ne rien dire, enfumer au propre et au figuré. Et se pâmer devant ces blanches et indolentes déesses surplombant de leur geste circulaire des paysages « renouvelés » qui ne semblaient attendre qu’elles !

Bref, l’échec éolien est constant dans les pays qui s’y sont lancés tête baissée. Pourtant la Suisse l’ignore obstinément. Conversez avec quelques députés vaudois. Vous les savez intelligents, amoureux de leurs concitoyens et de leur terroir. Ils vous répondent texto : « Moi, les éoliennes, je trouve ça beau ! ». Le parlementaire vaudois est un esthète, il a pour credo les goûts et les couleurs. D’ailleurs son parti est assez vert quand il ne l’est pas complètement. Et les dents de Mme Isabelle Chevalley sont blanches et longues, signe évident de vertu.

D’aucuns pensaient pourtant que le mandat politique vous plongeait dans des lectures, vous muait en vérificateur, en comparateur, en visionnaire critique et informé. Eh bien non ! Il semble que l’on puisse laisser parler ses goûts, son cœur, ses élans. Après « J’aime la beauté de l’éolienne !», on portera sans doute son dévolu d’élu sur les lignes pures et luisantes d’une culasse, on chérira le style dépouillé des courriers fiscaux, on frémira devant l’architecture sobre et digne des pénitenciers sur laquelle l’ombre du fer barbelé ajoute, en contrepoint, un je-ne-sais-quoi de baroque, ma chère !

Or si l’on vérifie les chiffres, le rendement des éoliennes est pitoyable, la force des vents mesurés s’affaisse, l’irrémédiable atteinte à la biodiversité alarmerait le meilleur actionnaire de Monsanto. Si l’on compare le bilan énergétique suisse avec celui des pays voisins, on découvre qu’il est parmi les meilleurs tandis que l’Allemagne et les autres pays éoliens affichent des résultats scandaleux. Si l’on évalue méthodiquement les solutions envisagées, on découvre, ébahi, que pour avoir les 5000 éoliennes nécessaires aux objectifs de 2035, il faudrait en planter une par jour alors que le secteur est en rupture de stock et que Siemens est en faillite. On notera encore que le démantèlement est estimé à 100 000 francs par les promoteurs (en 2050 !); tout le reste sera à charge du propriétaire de parcelle et probablement (même si tout cela est dangereusement vague) de la commune, du canton, de la Confédération. Si l’on projette une vision à long terme et qu’on la soumet à une réflexion critique, on réalise que l’une des seules ressources naturelles de cette Suisse citadine très densément peuplée tient en ses sites naturels, ses paysages, ses espaces de ressourcement. On se souvient d’ailleurs que le peuple s’est clairement prononcé en 2008 contre le mitage du territoire et que créer des parcs industriels ou photovoltaïques en altitude bafoue cette volonté démocratiquement exprimée. 

Ce qui brûle, ce sont les hectolitres d’huile de lubrification. D’ordinaire, ils se répandent en gouttelettes dans les environs.

Alors comment expliquer que l’on persiste à enfumer le public et à s’enivrer de l’illusion éolo-solaire ? Parce qu’on n’a rien d’autre sous la main en matière de politiquement correct ! Parce que la pression médiatique réclame aux élus des réponses immédiates qui les empêchent de faire un travail de fond ou de consulter des ONG sérieuses et indépendantes comme A Rocha, qui élaborent des solutions globales « aussi vite que possible et aussi lentement que nécessaire ». Mais plus affligeant, parce que l’action évidente, immédiate qui consiste à équiper de panneaux solaires tous les toits des bâtiments publics, puis les murs anti-bruit des bords d’autoroute semble plus difficile à réaliser que de semer des zones industrielles dans les hautes contrées inviolées de notre pays. Peut-être parce que les promoteurs avancent avec de gros budgets, parce que la planification fédérale confiée à l’Office fédéralde l’énergie sponsorise largement Suisse-Eole qui agit au profit des consortiums privés et supra-nationaux.

Peut-être encore parce que la panique climatique nécessite un sacrifice : chaque socle d’éolienne exige que l’on abatte des arbres, que l’on défonce des terrains restés dans leur état millénaire. Le promoteur éolien tient, avec la tronçonneuse et la pelleteuse – les coutelas sacrificiels d’aujourd’hui. Une fois la nature terrassée, on éprouve le sentiment profond qu’elle se calmera car elle aura vu que l’humain a fait tout ce qu’il a pu. Planter sur le Chasseron un peuple vrombissant d’éoliennes, c’est reprendre le chemin ancestral, archaïque des autels paléochrétiens que les archéologues ont mis au jour. L’aveugle admiration, la prosternation tremblante devant ces titans de métal et de fibres synthétiques sont liées à une pensée religieuse et magique fondée dans la mise à mort de ce qui sera leur environnement – et ne sera plus le nôtre. Nous précipiterons-nous à leurs pieds ?

Aussi vite que possible et aussi lentement que nécessaire… Il est urgent non pas d’attendre mais de ralentir, de pondérer, de discerner. Il est urgent de mesurer la valeur inestimable de la nature suisse. Il est urgent et surtout indispensable de décroître.

Il est urgent de résister.
Jean-Daniel Rousseil
Militant de la décroissance, ancien enseignant au gymnase, Jean-Daniel Rousseil préside l’association VOLauVENT.

Illustration principale: Photo montage de l’assoc. Des Gittaz, sur ce site opposé aux éoliennes. Vue place de la gare de Sainte-Croix

Les hélices ne sont pas encore arrivée que déjà, les pylônes confèrent quelque chose d’inquiétant à l’atmosphère de Sainte-Croix. DR/LP

Voir aussi

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  • L’invitation ubuesque du Bureau de l’égalité

  • Droit d’aînesse

  • Réservé aux abonnés L’observatoire du progrès // Avril 2024