Vis ma vie près d’un camp de gitans

Photo: Max Frei.
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Tenir un petit magasin dans un quartier investi par les gens du voyage : pas toujours simple. Une commerçante se dit abandonnée par les autorités. Nous sommes allés la rencontrer.

À ma sortie du métro, c’est un quai désert qui s’offre à moi en ce matin pluvieux. L’accès menant au parking où se trouvent les caravanes d’un campement, majoritairement occupé par des Français, est condamné. Je traverse le carrefour pour me rapprocher de la zone. Il faut relever que la communauté est installée à un endroit particulièrement bruyant, et qui ne doit pas toujours être agréable pour elle. Les lieux se situent entre l’un des carrefours les plus empruntés du sud de la ville de Lausanne et l’autoroute. Au loin, j’aperçois un homme d’une trentaine d’années en train de s’éloigner des caravanes. Il jette un gobelet sous un véhicule stationné et monte dans une voiture immatriculée en Valais. La météo n’est pas clémente et les occasions de dialogue sont rares. J’aperçois seulement au loin quelques femmes ou enfants entrer ou sortir d’une caravane. Je fais alors un tour extérieur, et je réalise que tous les accès par la route sont obstrués sauf un. De gros blocs de bétons ou une porte verrouillée empêchent l’accès aux autres chemins. Seule une entrée est maintenue, mais réduite dans le but d’empêcher les véhicules plus larges qu’une voiture de pénétrer. 

Un sentiment d’abandon


Direction le quartier de la Bourdonnette à proprement parler, lequel est situé à quelques mètres. J’y rencontre un jeune et je lui explique que je viens pour un média. Il reprend immédiatement son chemin, sans dire un mot. Un homme un peu plus âgé lui succède mais, trop peu à l’aise en français, il ne parvient pas à me renseigner malgré son désir assez vif de communiquer. Je me dirige alors vers un magasin d’alimentation. L’échoppe est sacrément bien approvisionnée, et j’y trouve la gérante. Une dame très agréable, la cinquantaine, elle-même issue d’une minorité visible. Je lui explique les raisons de ma venue et son récit fuse. Nous sommes seuls dans la supérette. Elle m’explique que ce n’est pas facile au quotidien, depuis quelques semaines. Souvent des groupes d’enfants viennent du campement et la « harcèlent », selon ses termes, pour acheter des puffs, ces petites cigarettes électroniques jetables qui font fureur chez les jeunes. Elle ajoute que « parfois ils volent aussi quelques bonbons ». Quelques jours auparavant, un groupe de jeunes essayait d’acheter une de ces puffs quand des agents de police sont arrivés. Soulagée, la femme leur a expliqué la situation. Elle affirme qu’un des policiers lui a répondu « qu’il n’était pas là pour ça et qu’elle devait appeler le 117 s’il y avait un problème ». Cette réponse l’a blessée, d’autant plus qu’elle regrette le caractère très sporadique, à son goût, des passages des forces de l’ordre dans une zone visiblement sous tension. 

Elle se fait le relais d’une des colères des habitants du quartier : ces derniers ne trouvent pas juste que des bennes à ordures soient installées pour les gens du voyage, alors qu’eux-mêmes payent des sacs-poubelle taxés 2 francs pièce, comme tous les ménages vaudois. Et lorsque l’on aborde la situation de manière plus générale, elle me spécifie qu’elle ressent davantage de racisme dans le quartier depuis l’arrivée des gens du voyage. Ce qu’elle me dépeint témoigne d’une drôle d’atmosphère dans ce quartier hautement multiculturel. En ce lundi terne, le calme semble n’être que de façade. 

Le ras-le-bol est-il si général que cela dans le quartier ? Nous avons posé la question à un élu socialiste fin connaisseur des lieux. Mountazar Jaffar, dont la famille vit toujours sur place, explique « qu’il existait effectivement une légère appréhension dans le quartier à l’arrivée des gens du voyage ». Il indique avoir « privilégié le dialogue afin de lever les préjugés que certains pouvaient avoir » et observe une évolution de la situation qui lui paraît plutôt positive. Si « l’atmosphère globale semble acceptable », il admet « qu’il peut aussi y avoir quelques problèmes quand même, principalement entre les jeunes » sédentaires et voyageurs. 

Pour le glamour, on repassera.

Un parcours d’évitement des étrons

S’il y a un problème auquel le centre droit semble vouloir s’attaquer, de son côté, c’est celui des excréments qui jonchent le sol des environs du campement. Mardi soir, lors du Conseil communal de la ville, une question urgente a été posée par le parti PLR sur l’impunité dont jouissent les gens du voyage à ce sujet. Question urgente, on l’a dit, mais réponse un peu moins puisque l’objet sera traité dans deux semaines. Au moment de la séance, une nouvelle visite des lieux retournait les estomacs les plus accrochés. Chose significative, « un cheminement piétonnier attenant permettant d’éviter cette zone a été privilégié afin de garantir le meilleur passage possible », explique la police municipale. 

Pour le Capitaine Jean-Philippe Pittet, responsable communication, la situation n’est toutefois pas dramatique. Pour les questions de harcèlement dénoncées par la commerçante, il note qu’« une ou deux situations similaires nous ont été signalées au début, mais ces agissements ont cessé ». Quant au sentiment d’abandon, son appréciation est aussi bien différente : « Nos policières et policiers de proximité patrouillent quotidiennement dans ce secteur et sont particulièrement à l’écoute des doléances qui leur sont remontées ; ils sont donc les bons interlocuteurs pour des problèmes touchant à la sécurité des personnes habitant, travaillant ou passant dans le quartier ». Et de conclure : « La situation des personnes du voyage, notamment en matière de capacité d’accueil, dépasse largement le cadre des frontières lausannoises, s’agissant d’une compétence cantonale. Pour cette situation actuelle au sud de la ville, des solutions sont mises en œuvre afin que la présence de ces personnes se déroule dans des conditions acceptables. La police traite les doléances qui lui parviennent et chaque jour des échanges ont lieu avec les personnes habitant dans ce secteur ».

Max Frei

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