Cher policier anonyme,

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Cher ami, pardonne-moi de ne pas t’appeler par ton nom, mais je pense que ce ne serait pas dans ton intérêt. Et de toute façon, même si cette lettre t’est adressée, elle pourrait l’être à l’immense majorité de tes collègues.

Nous nous sommes croisés brièvement hier soir, mercredi 4 décembre, après la victoire d’Yverdon Sport — le club de ma ville — contre le Lausanne Sport. Avec ce beau succès en coupe, je sortais d’une très belle soirée : une ration obscène de cevaps dans un bistrot balkanique, un tout petit peu de bière (je conduisais), et la victoire du club des prolos contre celui de la capitale. Comme disent les jeunes, ça m’avait « mis bien ».

Vivre.

Je ne suis pas un supporter « hardcore », mais j’avoue avoir peut-être crié deux ou trois vacheries pendant le match, et même poussé quelques chants pas très élégants. C’est le folklore. À la sortie, je me suis vite éloigné pour éviter les pyros et les affrontements potentiels. J’ai 42 ans, des enfants, et pas besoin de rajouter ce genre de frisson à mon existence. On savait depuis longtemps que ça allait chauffer — et ça n’a pas manqué.

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Minuit sur un rond-point vaudois

Cher policier anonyme, tu as peut-être le même âge que moi, et peut-être aussi des gosses. Mais lorsque nous avons échangé quelques mots, autour de minuit, toi tu étais dehors pour travailler, pas pour chanter des airs un peu gaillards dans une tribune. La scène a marqué mes copains : tu étais en tenue anti-émeute, et les fans de Lausanne avançaient dans notre direction, manifestement pas pour discuter des relations réelles non réciproques dans la philosophie de Saint-Thomas d’Aquin. Et pourtant, dans ce désordre latent, tu as retiré ton gant, tu es venu me serrer la main et tu m’as remercié pour mon travail. Fais gaffe à ne pas le perdre, d’ailleurs, viendra un jour où vous risquez de devoir aller acheter vous-mêmes vos gants chez Jumbo, au rythme où vont les choses. En tout cas, ta phrase a marqué un de mes potes : « Je dois te saluer, tu es le seul qui nous soutient dans les médias. » Ce copain — un conservateur d’extrême-gauche — a parlé d’une scène d’un « chadisme absolu ».

Le 1er Août a eu du retard cette année.

Si je t’écris, à toi et à tous tes collègues, c’est parce que votre profession encaisse depuis des mois. Et pourtant, que voit-on ? Malgré la politique budgétaire du Gouvernement vaudois — qui va certainement amputer ton salaire de 0,7 %, comme celui des autres employés de l’État — tu étais dehors à minuit, prêt à protéger des façades, des voitures, des passants. Je ne dis pas cela pour rabaisser les autres fonctionnaires : je connais des profs qui, déclarés grévistes donc non payés, continuent quand même d’assurer devant leurs élèves. Ces mêmes classes où il n’y a même plus de poubelles, pour cause d’économies, tandis que nos zélites se rendent à Davos en limousines.

L’État rogne, le policier tient

Comme je ne suis pas physionomiste, et comme il faisait nuit quand nous nous sommes serré la pogne, je ne t’ai pas reconnu. Peut-être es-tu un ancien collègue, peut-être m’as-tu simplement croisé dans un article ou une vidéo. Mais je voulais te dire une chose : l’autre jour, dans Le Matin Dimanche, j’ai vu une étude montrant que la population garde une large confiance envers la police — et se méfie beaucoup des médias, qui lui font pourtant la morale depuis des mois. En te voyant, toi et tes collègues, debout dans le froid de la nuit, je me suis dit que cette confiance, vous la méritiez.

Avec toute ma reconnaissance,
Raphaël

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