La religion confisquée

À l’heure où la France se crispe autour de l’islam, de l’Église et du sens même de la communauté nationale, Éric Zemmour publie La messe n’est pas dite comme on lance une offensive. Rien de spirituel dans ce geste : seulement la volonté d’enrôler le christianisme dans la bataille du moment, d’en faire une arme identitaire de plus. Un livre de circonstance qui dit moins la foi que l’époque — et ses dérives.
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Il existe des livres qui ne cherchent pas à éclairer : ils cherchent à utiliser. On les lit avec cette sensation sourde que quelque chose d’essentiel a été déplacé sans scrupule. La messe n’est pas dite appartient à cette catégorie. On y parle beaucoup de foi, de civilisation, d’héritage chrétien ; on n’y parle jamais de ce qu’un homme vit réellement lorsqu’il se tient devant Dieu. La distance saute aux yeux. Le spirituel y devient un langage, pas une vérité.

Ce livre fait le reproche à l’Église d’aimer trop largement, de parler trop universellement, de s’ouvrir trop facilement. On y traite la miséricorde comme une erreur, la patience comme une faute, l’accueil comme un renoncement. On demande au christianisme de cesser d’être chrétien — et à l’Église de cesser d’être Église — pour redevenir un bastion. Cette demande n’a rien de théologique. Elle dit surtout l’impatience d’un auteur qui voudrait une religion plus docile, plus performative, plus conforme à son récit, et qui supporte mal la dimension intérieure qui l’empêche d’être un instrument.

Puis vient l’islam. Non pas l’islam réel, celui que l’on croise dans la vie ordinaire — celui des familles, des travailleurs, des élèves, des voisins — mais un islam réservoir, un islam concept, un islam taillé pour remplir la fonction dramatique qu’on lui assigne. Un islam qui ne vit pas : il sert. Ce geste ne révèle pas une analyse religieuse sérieuse ; il révèle le besoin d’un adversaire suffisamment massif pour durcir la démonstration. Rien dans cette utilisation ne vient d’un effort pour comprendre : tout vient de la volonté de s’opposer.

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Un vernis spirituel

Ce schéma rappelle une vieille tentation française : la tentation maurrassienne. Maurras, au moins, jouait cartes sur table. Il ne croyait pas. Il ne s’intéressait pas au Christ, mais à l’institution. L’Église représentait pour lui un ordre, une tenue, une tradition stabilisatrice. Il la respectait comme on respecte un pilier. Sa position avait la clarté de l’agnostique qui reconnaît une utilité. Le livre de Zemmour reprend cette architecture, mais en la couchant sous un vernis spirituel dont il n’assume pas la fragilité. Le résultat sonne plus faux : une façade religieuse sans intériorité, un vocabulaire sacré sans souffle.

Tout ce qui touche au spirituel, dans ces pages, se retrouve utilisé à l’envers. La foi ne console pas, elle justifie. La liturgie ne transforme pas, elle structure. Le Christ n’appelle pas, il arme. Rien ne passe par le cœur ; tout passe par le calcul. On ne cherche pas la vérité intérieure — on cherche l’efficacité extérieure. Le christianisme devient un protocole de cohésion ; l’islam devient un bloc d’opposition ; la France, un théâtre d’affrontements. Et l’homme, dans tout cela, disparaît.

Je lis ce livre en pensant à ceux que j’enseigne, à ceux que je croise comme syndic, à ceux qui cherchent encore un lieu où vivre autrement que dans la peur ou l’excitation permanente. Dans leurs vies, la religion n’est jamais un instrument. Elle est une question, une blessure, une attente, un appel. Elle n’entre pas dans les stratégies. Elle entre dans les consciences. Elle n’impose rien ; elle transforme tout. 

Le plus troublant, dans La messe n’est pas dite, tient à l’absence totale de cette dimension humaine. On n’y entend pas une seule respiration intérieure. Pas un doute. Pas un combat. Pas un silence. Pas une parole adressée à Dieu. On n’y trouve que des lignes droites, des blocs, des injonctions. Un monde simplifié jusqu’à la caricature pour permettre à un récit préfabriqué de tenir debout.

Je referme ce livre avec la conviction que la religion ne sort jamais indemne de ce type d’usage. Dès qu’elle sert, elle se vide. Dès qu’on l’emploie, elle se dégrade. Dès qu’on la détourne de sa source, elle perd sa lumière. L’islam n’y est pas compris ; le christianisme n’y est pas vécu ; l’Église n’y est pas respectée.

Il y a des discours qui prétendent sauver. Celui-ci cherche surtout à posséder.

Et rien n’est plus étranger à la foi que ce désir-là.

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