Plaidoyer pour les vacances en Suisse
« Quand j’étais enfant, le glacier d’Aletsch remontait encore jusqu’au lac de Märjelen », lance un sexagénaire alerte, entouré de ses petits-enfants, tout près de la sortie du tunnel du Tälligrat, sur les hauts de Fiesch (VS). Alors que le grésil sévissait encore la veille, il fait bon en ce jeudi de la fin du mois de juillet, et les VTT électriques ne se privent pas de faire régner leur loi sur les chemins pédestres. Au risque, parfois, d’emporter un jeune garçon remuant ou une grand-mère trop pensive aux yeux des nouveaux caïds sur deux roues.
Dans ces lieux peut-être davantage propices à la contemplation, le fun sévit comme partout, et la technologie poursuit son œuvre sinistre. Transformés en aventuriers, les adeptes des sensations fortes passent à côté de tout, mais ne voient plus grand-chose. Peu importe ! Dans vingt minutes, deux jeunes enfants, sept et dix ans, découvriront le plus grand glacier des Alpes, juste après avoir longé son petit frère de Fiesch dans une vallée parallèle durant deux premières heures de randonnée. Moraines, névés, pierriers… Tout un vocabulaire s’imprime dans leurs esprits, soudainement très éloignés des transformations de Pokémons. Pikachu se trouve assurément très loin, mais si la famille monte à l’Eggishorn, plus tard dans la journée, une figure autrement plus mythique fera son apparition : le Cervin, que le ciel dégagé permettra d’admirer dans toute sa majesté. Pour l’heure, on se contentera de s’amuser de l’interminable séance photo d’un couple d’amoureux déterminés à inonder les réseaux sociaux d’un bonheur reconnaissable à des poses aussi grandiloquentes qu’un slogan des Jeunes Socialistes Suisses.
Le sens de l’émerveillement
Tout au plus un peu de tristesse s’impose sur les visages lorsque l’ainé des enfants s’interroge sur l’étrange ligne qui indique l’endroit que touchait jadis le glacier sur la montagne en face. Que voulez-vous ? Sur cette autoroute à vacanciers, on vient voir un chef-d’œuvre de la nature, mais il faut bien avouer que l’on a parfois aussi l’impression de se trouver au chevet d’un mourant. Est-ce à dire que des vacances en famille près d’un glacier incitent forcément à basculer dans la vision la plus autoritaire de l’écologie ? Ce serait rendre politique une chose qui doit en être préservée : le sens de l’émerveillement. Ce précieux sens de l’émerveillement qu’il s’agit de transmettre aux enfants pour qu’ils décident librement du genre de vie qu’ils veulent adopter à l’âge de raison. Le propos peut sembler très général, d’accord, mais n’est-il pas plus à même de transmettre un souci environnemental que la mise en scène de 600 figurants nus naguère organisée en ces lieux par Greenpeace ?
Certains militants climatiques bloquent des routes puis prennent l’avion pour aller au Mexique. D’autres s’arrêtent devant un glacier et ne savent honnêtement plus quel serait le bon dosage entre respect des libertés individuelles et défense de la Création. Comment trancher ? Des vacances dans son propre pays ne donnent ni la solution ni une position de surplomb moral. Mais elles permettent de comprendre ce que les étrangers viennent trouver chez nous : une Suisse fière et protectrice de ses richesses naturelles, une Suisse qui n’a pas honte de ses dialectes ou de son patrimoine culturel et religieux. Partir en vacances dans son propre pays, par choix ou par contrainte, c’est redécouvrir un style de vie qui faisait la joie de nos anciens : gravir des cols, traverser des vallées, visiter des chapelles qui, à trois heures de train de chez soi, font partie de nos âmes.
À trente minutes en train de Fiesch, un ossuaire – celui de Naters – annonce :« Was ihr seid, das waren wir / Was wir sind, das werdet ihr ».« Ce que vous êtes, nous l’étions / Ce que nous sommes, vous le serez ». Surmontant des milliers de crânes, la devise peut sembler terrible ; nous la trouvons pleine d’espérance. Quelques heures de rail nous ont permis de redécouvrir un lien avec des personnes reposant en ces lieux depuis 500 ans, et pour l’éternité.
Des vacances toutes bêtes, auxquelles on aurait d’abord préféré la dégustation d’un poulpe grillé sur une plage de Crète, nous ont rappelé que nous vivons dans un beau pays. Et qu’il faut, en trouvant un compromis entre nos diverses sensibilités, en préserver la grandeur.