Le cirque politique

Année d’élection oblige, le landernau politique s’agite et s’amuse. Peut-on vraiment encore parler de politique ?
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Un décor de boîte de nuit, des danseurs et chanteurs qui se trémoussent ou grimacent sur un air qui ressemble à « We Are Family » du groupe Sister Sledge. Je ne regarde pas « Danse avec les stars », « Incroyables talents » ou « 52 minutes ». Je suis devant le clip de campagne de l’UDC suisse qui s’intitule « Das isch d’SVP ». Il faut dire que d’autres formations politiques ne sont pas en reste : trois candidats PLR au Conseil national ont produit une chanson « Original Liberal » et les Jeunes Verts vaudois ont intégré le fringant conseiller d’État Vassilis Venizelos dans le groupe rock « Relax Chill Pépère ». Bien plus, le cirque et les clowns ont envahi le Palais fédéral pour le 175e anniversaire de la Constitution.  

Attention, c’est dur.

Au Pays des Merveilles, on s’agite, on s’amuse, on fait parler de soi et l’on semble satisfait.

Ne nous y trompons pas, le cirque politique est le signe d’une perte de sens mortifère pour notre société, dont les conséquences peuvent lui être fatales.

Une distinction fondamentale

Julien Freund (1921-1993), philosophe et sociologue français, pose une distinction fondamentale entre la politique et le politique. « La politique, écrit-il, est une essence, au double sens où il est, d’une part, l’une des catégories fondamentales, constantes et indéracinables de la nature et de l’existence humaines et, d’autre part, une réalité qui reste identique à elle-même malgré les variations de la puissance et des régimes et le changement des frontières sur la surface de la terre. » (L’essence du politique, 1965)

La politique est donc l’activité concrète, conjoncturelle et variable de la vie d’un État (son régime, les partis, le gouvernement, les élections, etc.). Le politique, quant à lui, relève d’une dimension plus abstraite. Il s’agit de réfléchir sur les concepts de pouvoir, de gouvernement et de prise de décision. Normalement le politique est supérieur et donne forme à la politique. Il semble que ce ne soit plus le cas au Pays des Merveilles.

Ça a l’air bien.

Vers une société impolitique

Le politique, qui est le cadre de la politique, « n’obéit pas aux désirs et aux fantaisies de l’homme, qui ne peut pas qu’il ne soit pas ou bien qu’il soit autre chose que ce qu’il est » (Julien Freund, L’essence du politique, 1965). 

En oubliant le politique, on dénature la politique qui est « l’activité sociale qui se propose d’assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure d’une unité politique particulière, en garantissant l’ordre au milieu des luttes qui naissent de la diversité et de la divergence des opinions » (idem). 

Chemin faisant, on ouvre la porte à toutes les musiques et à tous les délires et l’on s’achemine vers l’impolitique. Avec Julien Freund, on peut considérer qu’est impolitique tout ce qui nie ou se soustrait à la politique. L’impolitique couvre un vaste panel d’attitudes allant de la passivité à la violence en passant par le cynisme, l’amusement et la légèreté. Notre spectacle quotidien en somme.

La variante PLR.

Ne nous méprenons pas. En sapant l’autorité politique, les différentes attitudes impolitiques portent en elles le germe de l’instabilité sociale qui peuvent mener à des tensions et des violences sociales dangereuses.

La nature ayant horreur du vide, celui engendré par l’impolitique devra être comblé. La question est de savoir par qui ou par quoi.

À bon entendeur, salut !

Paul Sernine

Poursuivre la réflexion :

– Julien Freund, L’essence du politique, Dalloz, 2004.
– Julien Freund, La décadence, Le Cerf, 2023.

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