La tyrannie du tofu

« Sexe, animaux, météo, crime et bouffe » : d’après les consignes d’un rédacteur en chef de nos jeunes années, telles étaient les « mamelles du journalisme » auxquelles nous étions appelés à téter pour réussir une belle carrière. Cynique, drôle, parfois génial, cet original aujourd’hui recyclé dans la communication aimait nous provoquer pour faire naître en nous un désir de liberté, de rébellion même.
Yoav Aziz/Unsplash
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Mais un cœur rebelle ne se commande pas. Et déjà, à vingt ans, quelque chose en nous rêvait d’une destinée plus haute : rejoindre Ernst Jünger dans les tranchées de 14-18, Sylvain Tesson au sommet de l’Himalaya, Jean Raspail quelque part au loin, très loin, dans une Patagonie crépusculaire.

Bien sûr, il nous fallait tout de même remplir notre canard et nous acceptions de traiter de sujets absurdes, des absences de Miss Suisse en cours, des balbutiements de Facebook ou encore des actions des premiers militants vegans. Ces derniers ne menaçaient du reste pas grand-monde, à l’époque. À la fin d’un entretien, certains avouaient même craquer de temps en temps pour un bout de fromage, sur le ton de la confidence. Telles étaient nos vies de jeunes journalistes : nous rigolions, nous finissions le boulot très tard et nous remettions chaque soir les Orages d’acier au lendemain.

Quelque quinze ans plus tard, notre Verdun de l’esprit se fait toujours attendre. Les raisons de rester rebelles, en revanche, ne manquent pas. Dans ce numéro, nous vous présentons le combat du diacre fribourgeois Daniel Pittet contre les abus sexuels, qui ont détruit tant de destins dans l’Église et ailleurs. Mais nous évoquons aussi l’un des étranges produits de notre époque : un curieux progressisme autoritaire, qui colonise jusqu’aux assiettes des étudiants de l’Université de Neuchâtel. En ces lieux, plus question en effet de manger autre chose que du tempeh ou du tofu, bref des mets végétaliens, dans les cafétérias. Parce que tel est visiblement le sens de l’histoire.

Bien sûr, voilà une affaire qui sonne moins dramatique que le bruit des schrapnels dans une

bataille en Lorraine ou les vies brisées par des pervers. Ne sous-estimons toutefois pas la portée du symbole : d’autorité, voici un lieu dédié aux études – bon nombre de futurs journalistes y sont d’ailleurs formés – qui décide pour toute une population ce qu’elle peut moralement se permettre de manger. Comment imaginer qu’elle se privera de dire demain à ces gens ce qu’ils ont le droit de penser ?

Une paresse terrible pousse le camp conservateur à voir du wokisme partout. C’est une erreur car on ne sait pas bien au juste ce que renferme cette notion, la plupart du temps inopérante. Ce qui nous menace, c’est un autoritarisme qui ne se cache même plus, et que l’odeur du progrès ne suffit plus à rendre désirable.

Le tofu n’est pas un aliment désagréable. Il se périme toutefois vite, comme les idéologies sorties d’un chapeau progressiste. Mais frit et nappé d’une sauce aromatique – on peut penser à la préparation « général Tao » – voici un mets qui peut se révéler agréable. Pour peu évidemment qu’il ne nous soit pas imposé.

Pour peu, aussi, qu’il ne s’impose pas comme le symbole d’une époque désespérément sans saveur.

Ernst Jünger vers 1920. Guerrier héroïque, anarchiste conservateur, écologiste avant l’heure.

Voir aussi

  • Réservé aux abonnés Pour en finir avec le wokisme (qui n’existe pas)

  • Réservé aux abonnés Nous, « plumes de droite »

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