« Killers of the Flower Moon » : une idylle entachée par le crime et la culpabilité

Le réalisateur Martin Scorsese réalise son 26ème film, un western à la croisée des genres. Décryptage d’une épopée américaine sanglante.
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Le cinéaste new-yorkais, contemporain de Steven Spielberg et autre artiste notoire de ce qu’on appelle aujourd’hui le « Nouvel Hollywood », a enchanté son public depuis les années 1970 avec des films comme Mean Streets (1973), Taxi Driver (1976), Casino (1995), ou encore Gangs of New York (2002) pour ne citer que quelques œuvres célèbres.

L’histoire de Killers of the Flower Moon (titre poétiquement macabre) nous amène dans l’Amérique des années 1920 : un vétéran de la Première Guerre mondiale, Ernest Burkhart (interprété par Leonardo DiCaprio), arrive dans l’état d’Oklahoma pour rendre visite à son oncle William « Bill » Hale (joué par Robert De Niro). Il devient chauffeur de taxi pour gagner sa vie et rencontre une riche héritière de la tribu osage durant l’une de ses courses : Mollie (Lily Gladstone). Après lui avoir fait la cour, Ernest se marie avec Mollie. Le foyer des Burkhart semble ne plus toucher terre jusqu’à ce que des décès au sein de leur famille se succèdent à un rythme inquiétant. Existerait-il une conspiration qui viserait à les assassiner ?

Le film est tiré d’un roman reportage du même nom, écrit par David Grann. Scorsese en fait son premier western, quoique nullement son premier film historique. C’est un projet mâtiné de caractéristiques issues de divers genres cinématographiques (par exemple le film policier). L’adaptation cinématographique diffère toutefois du roman : alors que le livre présente les aspects variés de l’affaire nommée « Règne de la terreur » (c’est-à-dire des assassinats successifs qui visaient les membres de la tribu osage), le long-métrage prend le parti de particulièrement se concentrer sur le destin d’Ernest. Il est d’ailleurs à noter que la mise en scène ainsi que la production design (en résumé les décors) sont d’une efficacité redoutable : les costumes à mi-chemin entre deux époques, les automobiles de collection, ou les plaines sauvages à perte de vue immergent instantanément les spectateurs dans cette fresque américaine. Cette seule qualité mérite d’être applaudie. En introduisant ainsi son récit, Scorsese se range du côté de metteurs en scènes comme Michael Cimino (réalisateur de l’éprouvant mais magnifique Voyage au bout de l’enfer) ou Clint Eastwood. Ces derniers se sont évertués à peindre sur grand écran des événements monumentaux, tout en interrogeant les mythes fondateurs américains.

Quand on parle de scénario, il est nécessaire de s’attarder sur les personnages. Une autre qualité de Killers of the Flower Moon est son apparente aisance à présenter des individus complexes et attachants, aux prises avec la tragédie de l’Histoire. Sans surprise, Leonardo Di-Caprio excelle dans son interprétation d’Ernest : des mimiques aux gestes les plus anodins, de l’accent sudiste au vocabulaire employé, ce vétéran porté sur la boisson fascine aussi bien par son authenticité que par sa vulnérabilité. De même, Lily Gladstone convainc par la sobriété de son attitude, cependant enrichie d’une intensité émotionnelle qui surgit à quelques moments clefs du déroulé narratif. Il faut de même saluer les performances des acteurs secondaires qui contribuent au réalisme, à la consistance de cette épopée où la corruption et la culpabilité (deux thématiques chères au cinéaste) sont omniprésentes. Autrement dit, le film est une réussite du point de vue théâtral.

Toutefois, il est regrettable que la performance de Robert De Niro soit en deçà du niveau général, surtout quand on pense à ses magnifiques apparitions dans des films comme Raging Bull (1980) ou La valse des pantins (1982), deux autres classiques de Scorsese. Le comédien est en mesure de donner vie à des personnages fascinants. Cela ne fait aucun doute. Il est donc fort dommage que le personnage de Bill Hale, oncle d’Ernest et individu diabolique par excellence, n’ait pas bénéficié d’un traitement plus minutieux. La pauvreté du jeu tranche avec l’éloquence du travail de DiCaprio et de Gladstone. Un jeu trop convenu de la part du légendaire acteur américain, « étalon-or » théâtral comme DiCaprio le considérait durant sa formation de comédien. De Niro aurait-il négligé la préparation de son rôle ? Il existe peut-être un âge auquel un artiste n’est plus autant disposé à s’investir.

La mise en scène, malgré l’ampleur de la trame, souffre d’un classicisme un brin suranné. Efficace sans faire preuve d’originalité, Scorsese nous avait habitué à plus d’innovations en termes de réalisation – par exemple les plans chaotiques de Mean Streets qui donnaient l’apparence d’un reportage tourné dans le Little Italy de New York. Le cinéaste semble s’être assagi au fil des années.

En somme, Killers of the Flower Moon est le captivant récit d’un homme, Ernest Burkhart, découvrant une culture indigène par laquelle il cherche à être accepté. Il s’agit aussi d’une œuvre de qualité qui immerge naturellement l’audience dans cette épopée où trahison et violence sont légion. Les échanges entre les comédiens, la bande-son plus sobre qu’à l’accoutumée car basée essentiellement sur la musique amérindienne, et la production design font partie des points forts du film. Moins subversif que le fameux Dead Man (1994) de Jim Jarmusch et moins comique que le Little Big Man (1970) d’Arthur Penn, Killers of the Flower Moon apporte un éclairage inédit sur les relations entre américains blancs et amérindiens. Bien plus qu’une simple fable portant sur le racisme et les effets délétères du capitalisme, il est une œuvre fascinante à mi-chemin entre film historique et histoire de pègre, un film-fleuve (près de 3h30) dont la durée ne se fait que très peu sentir.

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