Étudiant en médecine, il ressuscite l’œuvre d’un génie oublié

Voici le genre d’histoire que Le Peuple aime relater. Plus spécialiste de la polyarthrite rhumatoïde que de l’anthropologie, Benoît Londin a pourtant redonné vie à un essai important du siècle dernier. Le secret : pas de télé.
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– Vous êtes étudiant en médecine, et avez décidé de traduire et éditer un auteur britannique un peu tombé dans l’oubli, Joseph Daniel Unwin. Pourquoi ?

Parce que si je ne l’avais pas fait, je pense que personne d’autre ne l’aurait fait !

Unwin a publié en 1934 Sexe et Culture, une thèse de doctorat d’anthropologie. Il montre que les sociétés développées tendent à être monogames et monothéistes. À l’inverse, l’assouplissement de la législation maritale a toujours précédé et amorcé le déclin des grands empires.

En 1936, Unwin rédigeait Hopousia, que j’ai traduit. Il y résume ses précédents travaux, et se lance ensuite dans une expérience de pensée. Il se demande quels sont les facteurs qui engendrent la civilisation, et il propose de restructurer la société en conséquent. Au lieu d’imposer une morale ou une idéologie, Unwin donne des principes basés sur l’étude des faits. Il s’intéresse également à la structure économique, si bien que cette section constitue en fait le cœur du livre.

Le contenu me semblait donc d’actualité, et digne d’être diffusé. La modique marge ne m’enrichira probablement pas – et j’ai déjà assez pour vivre.

Unwin en 1917.

– Le cursus que vous suivez est connu pour être assez prenant. Comment avez-vous procédé pour mener à bien votre projet ?

Je n’ai pas de télé (on gagne un temps fou) ! Et bon, je me suis levé chaque matin un peu plus tôt que d’habitude, pour commencer la journée par 30 minutes de traduction. Et au bout de 18 mois, c’était fait.

– Cet auteur est assez technique, lorsqu’il parle d’économie en particulier. Pourtant, c’est par ce domaine que vous avez décidé de commencer. Pourquoi ?

En fait j’ai traduit le livre entier directement.

Mais j’ai trouvé la section sur les fondements de l’économie tellement clairvoyante que je l’ai aussi mise en forme dans un ouvrage à part, L’Argent et la monnaie. Beaucoup de publications actuelles nous parlent des rouages de notre système ; de la manière de placer son argent, etc. Unwin a plutôt une réflexion qui « remonte le courant » ; c’est-à-dire qu’il cherche à définir, fondamentalement, ce qu’est l’argent, sa nature, ce qu’il mesure. C’est seulement ensuite qu’il en déduit la manière de l’administrer, et qu’il met par contraste le doigt sur les dysfonctionnements de notre système.

– Comment expliquez-vous que cet auteur ait disparu des radars, alors qu’il était en son temps encensé par Aldous Huxley ?

Dans Hopousia, j’ai conservé la préface d’Aldous Huxley. Mais je ne suis pas sûr qu’elle soit si favorable. Huxley met toute la partie économique au second plan, et critique plutôt le côté idéaliste de Unwin.

Le livre est une publication posthume, d’un style plutôt universitaire ; il est gros, rigoureux, un peu fastidieux parfois ; paru au milieu de la guerre (1940), trop en avance sur son temps. En fait, les grands intellectuels, précisément parce qu’ils sortent du cadre « bienpensant », sont rarement accueillis ou compris par leurs pairs. Personne d’autre ne le réédite aujourd’hui.

– Qu’est-ce que cette lecture peut nous apporter près d’un siècle plus tard ?

À l’heure où nos mœurs semblent entamer la phase ultime de leur délitement, le constat anthropologique d’Unwin peut nous servir d’avertissement.

Par ailleurs, on sent aujourd’hui que notre système économique avance aussi vers un effondrement sous le poids de la dette (envers qui ?). Mais peu de gens proposent des solutions concrètes, et nos idées sont confuses. Sur quoi indexer la monnaie ? Peut-on l’imprimer sans forcément avoir des réserves d’or ? Faut-il parfois la détruire ? Que sont les chiffres sur les billets ? Qu’est-ce que le crédit ? Le prêt à intérêt (usure) est-il légitime ? Qu’est-ce que la « valeur » ? Qu’est-ce que le « capital » ? Qu’est-ce que l’investissement ? Pourquoi y a-t-il des milliardaires ? Que doit-être une « banque » ? Etc.

Unwin répond à toutes ces questions. Mais surtout, il définit et distingue clairement le concept d’argent (les chiffres sur les billets, vos comptes en banque, etc.) et le concept de monnaie (le moyen d’échanger ces chiffres : pièces, billets, chèques, virement bancaire, etc.). Ensuite, Unwin propose une classification des différentes monnaies. On sent poindre tout cela dans Le Capital de Marx, mais la distinction y reste très floue et ses conséquences ne sont pas identifiées. Enfin, Unwin fait de nombreuses suggestions visant à reconstruire un système économique conçu pour empêcher le fléau de l’usure. Je pense qu’un jour ou l’autre, une telle refonte adviendra.

– Comment acquérir les deux livres ?

Pour le moment, les livres sont disponibles directement auprès de l’imprimeur, et sont aussi proposés à la vente sur Amazon et Rakuten.

Les versions électroniques sont disponibles gratuitement sur archive.org

Pour d’éventuelles questions, je suis joignable à benoit.londin@proton.me. Merci !

Propos recueillis par Raphaël Pomey

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