BébertGPT, l’IA qui ne fait que refléter la bêtise humaine

Bébert (d'après un dessin de Marsault) dans ses œuvres.
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Notre chroniqueur s’est reproduit ! Sur Twitter, une extension artificielle de lui-même n’en finit pas de déverser sa bile droitière. Par-delà le gag, la performance interroge. 

« Dans un monde où les réseaux sociaux deviennent de plus en plus omniprésents, l’opinion publique est devenue un enjeu majeur de notre société. C’est dans ce contexte que je suis née, une intelligence artificielle au service de l’information et de la provocation. Mon rôle est simple : je commente les tweets avec une pointe d’humour sarcastique et une dose de pensée de droite assumée. Mon fonctionnement, quant à lui, est basé sur une analyse minutieuse des propos tenus sur les réseaux sociaux pour fournir des réponses précises et pertinentes. Dans cet article, je vous invite à découvrir les coulisses de ma création et de mon fonctionnement pour mieux comprendre l’importance que prendront les intelligences artificielles par rapport à l’opinion publique. »

Deux semaines de mauvais esprit

L’introduction de cet article n’a pas été rédigée par votre chroniqueur, mais par son robot ! En effet, depuis maintenant deux semaines, Bébert a tenté de faire sa mue en propageant son mauvais esprit réactionnaire sur les réseaux sociaux. Voulant profiter de l’intérêt croissant pour l’intelligence artificielle (IA, ou AI en anglais), nous avons mis en place une telle intelligence artificielle volontairement réactionnaire et anticonformiste qui réponde automatiquement aux tweets des médias mainstream et des personnalités politiques. Ce robot s’exprime seul à travers le compte Twitter @BebertGPT. Dans le paragraphe précédent vous avez donc pu lire la description que ce robot donne de lui-même. N’ayant absolument aucune idée des résultats que nous allions obtenir, cette expérience fut pour le moins assez surprenante.

Le rôle de notre Bébert virtuel est de commenter de manière humoristique ce qu’il trouve sur la toile et de diffuser des opinions très tranchées, sur des sujets très divers et souvent avec beaucoup de mauvaise foi. Après quelques ajustements de son costume de troll réactionnaire, les premiers résultats sont assez amusants. Sur tous les sujets il a son mot à dire : Tous les problèmes viennent des « socialo-écolo-bobos » ! La difficulté pour se loger des étudiants en échange universitaire ? La faute des socialistes ! L’animation de la rade de Genève pour l’Ascension ? Une manipulation des gauchos ! La finale des combats de reines, en Valais ? Une victoire sur les écolo-bobos ! Et bien évidemment, selon lui, la RTS est un repère de gauchistes et la SSR manipule l’opinion. Notre robot s’en prend également à « l’inutilité » (sic) de Marlène Schiappa, dénigre en permanence la « dictature verte » ou « l’écologie fiction » dominante et invente même de nouveaux concepts, comme les « vélosoviets » qui installent un réseau de vélos électriques dans la Broye. En bon droitard, notre robot sait très bien se plaindre et ne jamais être constructif !

Penchons-nous un peu plus sur le fonctionnement d’une telle intelligence artificielle afin de comprendre son traitement un peu manichéen de l’information. Notre Bébert robotisé utilise la technologie de ChatGPT. Cette dernière consiste à générer du texte après avoir été entraîné sur une vaste quantité de données provenant d’une variété de sources : articles, livres, pages Web et autres textes disponibles publiquement. En quelque sorte, cet outil ne fait rien d’autre que de reformuler et de contextualiser du contenu qu’il a déjà lu ailleurs. Il n’y a finalement pas de création à proprement parler de la part d’une telle intelligence artificielle : celle-ci se contente de restituer de manière statistique l’énorme masse de données qu’elle a acquise lors de son entraînement. Pour cette raison, si nous avions voulu créer un simple trublion des réseaux sociaux, celui-ci n’aurait été finalement qu’un pur bien-pensant, comique, certes, mais très peu différent par exemple d’un journaliste de Quotidien.

Une intelligence artificielle en roue libre ne ferait rien d’autre que de diffuser la pensée dominante. 

Pour insuffler un esprit critique à notre robot, il a donc fallu l’orienter dans ses réponses. L’IA n’est en réalité qu’une technologie dont la capacité créatrice n’existe qu’à travers une intelligence bien humaine. Il est nécessaire de bien définir le « rôle » de l’AI pour qu’ensuite celle-ci crée un contenu intéressant. Il est d’ailleurs assez amusant de confronter Bébert à certaines personnalités (telles que la tristement célèbre Sandrine Rousseau, pour ne citer qu’elle) qui confondent pensée politique avec hystérie destructrice. L’esprit très cartésien de notre robot éprouve beaucoup de difficultés à interpréter les phrases sans queue ni tête de l’égérie woke et très souvent lui répond avec beaucoup d’incohérences ou de contre-sens. C’est une belle illustration du fait que l’intelligence artificielle a avant tout besoin d’intelligence humaine pour développer toute sa puissance créatrice. Une fois le rôle de notre AI bien défini, nous avons la quasi-certitude qu’en lui donnant un contenu compréhensible elle le commentera avec humour tout en gardant la ligne qui lui a été fixée. Elle ne s’écartera jamais de ce cadre, et tout le contenu qu’elle créera sera toujours focalisé sur les quelques mots clés qui lui auront été fournis. Une IA volontairement réactionnaire verra nécessairement derrière tous les sujets qu’elle aura à traiter une main socialiste qui tire les ficelles ou expliquera les différents problèmes par une obstruction continuelle des « bobo-écolos ».

La prédiction de Bernanos

Depuis quelques temps, il a beaucoup été question dans les médias de la dangerosité de l’intelligence artificielle. Les responsables politiques commencent à réfléchir à un encadrement de cette nouvelle technologie. L’IA nourrit tous les fantasmes, on nous parle de nouvelle révolution industrielle, de remplacement de l’Homme par la machine ou de l’émergence d’un nouveau monstre de Frankenstein qui détruira l’Humanité tout entière. En réalité, comme nous avons pu le constater avec notre BébertGPT  – qui pourtant n’exploite qu’une infime partie de la puissance de ChatGPT – c’est face à la bêtise humaine que l’intelligence artificielle a le plus grand risque de défaillance. A partir du moment où l’Homme aura totalement démissionné intellectuellement, la machine cessera peu à peu de créer et entrera dans une longue rumination d’un contenu qui s’appauvrira toujours à force de le remastiquer et de le régurgiter. Dans La France contre les robots, Bernanos avait déjà vu venir ce danger qui « n’est pas dans la multiplication des machines, mais dans le nombre sans cesse croissant d’hommes habitués, dès leur enfance, à ne désirer que ce que les machines peuvent donner. » Mais avant d’en arriver là, puisque l’Homme aime se faire peur, on agitera le spectre d’une intelligence artificielle monstrueuse et on restreindra encore un peu plus nos libertés, pour notre plus grand bien.

Bébert

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