Revenir à notre essentiel

Pour entrer directement dans l’esprit de Noël, citer un article légal constitue en général un choix audacieux. C’est pourtant celui que nous allons tenter à l’instant.
Michael Payne/Unsplash
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Il existe, dans le Code pénal suisse, un passage qui indique que « quiconque, publiquement et de façon vile, offense ou bafoue les convictions d’autrui en matière de croyance, en particulier de croyance en Dieu, ou profane les objets de la vénération religieuse, (…) est puni d’une peine pécuniaire. »

Au bout du lac, dans ce qui fut autrefois la Rome protestante, cette mise en garde ne semble plus guère inquiéter les autorités puisque c’est bien « avec le soutien de la Ville de Genève » qu’une exposition aux Bains des Pâquis a fait parler d’elle ces dernières semaines en raillant la foi des chrétiens. L’un de ses visuels, que seul Ray Charles, un artiste décalé ou un conseiller administratif progressiste pouvait juger en adéquation avec la loi, plaçait un paresseux dans les bras de la Vierge Marie, comme si Celui que les chrétiens considèrent comme leur Sauveur pouvait être remplacé par un mammifère arboricole.

« Avec le soutien de la Ville de Genève. »

Le paresseux est une créature certes fort sympathique, mais l’histoire de son sacrifice sur une Croix, jusqu’à preuve du contraire, n’a pas encore enfanté une civilisation magnifique, dont nous sommes autant d’héritiers. Si le buzz visé par les rebelles subventionnés des Bains des Pâquis se réalise, tout au plus inspirera-t-il un jour la mythologie puérile d’éco-anxieux rachitiques aux mains collées sur les routes et aux cheveux violets. C’est pourtant ce bestiau que des provocateurs conformistes ont choisi pour taquiner gentiment une minorité de ce pays – la seule de ce type, d’ailleurs – qui devrait toujours subir en se taisant : celle des chrétiens pratiquants.

Genève est à l’évidence une ville un peu spéciale en matière de droits religieux. Les chrétiens évangéliques s’y battent pour pouvoir se faire baptiser dans le lac, certains catholiques pour défiler paisiblement dans une rue en faisant trois prières, tandis que des espaces culturels dressent des vagins géants dans le ciel (c’était en 2023, déjà sur la jetée des Pâquis) ou placent des animaux dans les bras de la Vierge avec de l’argent public à quelques jours de Noël. Parfois, pour le campagnard qui traverse la Cité de Calvin, il semble qu’il n’y a plus guère que les restaurants libanais et quelques librairies qui n’ont pas encore subi le largage d’une bombe atomique de bêtise. C’est du reste aussi dans cette ville que, régulièrement, notre service public s’attaque lui aussi à la foi en présentant, comme lors d’un récent sujet de l’émission de la RTS Mise au Point, les religions comme du mauvais cholestérol qu’il faudrait éliminer.

Bains des Pâquis, 2022 (Photo: RP).

La question que toutes ces banderilles suscitent chez le taureau chrétien est la suivante : doit-on donner au public le spectacle qu’il espère, entre deux gorgées de rouge, un peu de jambon cru et la satisfaction d’avoir assisté à un combat perdu d’avance pour la bête ? Ou doit-on se résigner à la bataille face au toréador subventionné, même si on risque fort d’y laisser les oreilles et la queue ? Une autre option se présente à nous : l’on pourrait aussi, si on a le don de la foi, se souvenir qu’il est des combats qu’il ne faut pas trop mener, et qu’il est parfois bon de se réfugier dans nos bibliothèques, comme la Sainte Famille fuyant en Égypte.

Notre proposition, cependant, est bien différente : combattre, oui, mais dans la joie d’avoir en face de nous de bien pauvres adversaires. « Les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière », dit la Bible, et il ne faut pas s’étonner que nos tentatives de les affronter sur leur propre terrain, celui du recours à l’État et à ses institutions, soient toujours vouées à l’échec. Mais il en est un autre, de ring, sur lequel nous devons les affronter : celui de l’humour, celui des visages des jeunes gens rayonnants parce qu’ils peuvent encore croire, malgré toutes les monstruosités qui frappent le christianisme en Suisse depuis des mois, à un idéal qui les tient debout. Pour que nos luttes se déroulent à l’abri du désespoir, sans doute que la foi qui a inspiré la grandeur de notre civilisation doit à présent inspirer notre humour.

Il ne s’agit plus pour nous de dénoncer en souris grises des pseudos-rebelles qui, parfois, ne comprennent même plus que leur bêtise puisse heurter. Il s’agit, tout simplement, de rire de ces semi-habiles, capables de palper des subventions mais certainement pas d’inspirer, ni même de donner envie de visiter leur exposition. Au vu de leur souci de sauvegarder la planète, on ne misera pas beaucoup non plus sur leur capacité à se reproduire.

Les amoureux du paresseux ont-ils réussi leur coup en faisant sauter au plafond tout ce qu’il reste de chrétiens dans notre pays ? Sans doute, et avec le silence toujours assourdissant d’Églises aussi combatives que Joe Biden affrontant Mike Tyson au MGM de Las Vegas. Reste que le repas de Noël – ou plutôt des Fêtes, comme on dit en novlangue de ces pauvres bougres sera à basses calories et arrosé au kéfir ou au Champomy.

Nous qui communions dans une espérance invincible, nous avons pour nous l’art de la table, l’amitié, la liturgie pour ceux qu’elle intéresse, mais aussi et surtout un frère et un Dieu né en ce jour dans la crèche.

Noël 2023,
Raphaël Pomey

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