Mater Dolorosa 5/5 – Donner corps au deuil

« Dieu est digne de louanges en tout temps », avait répondu le pasteur de Marie-Laure, alors qu’elle venait auprès de lui pour trouver du réconfort suite à deux pertes de grossesses consécutives. « Cela a ébranlé ma foi d’une manière inimaginable et j’ai mis très longtemps à la concilier avec ces deux pertes.» « Natacha, quant à elle, s’est sentie mieux écoutée, autant par son pasteur que par son épouse. Elle souligne « une grande conscience de la souffrance vécue, beaucoup de compassion et un vrai suivi ». Ce dont beaucoup de femmes ne bénéficient pas. Une fois la souffrance déposée l’entourage, tout autant que les ministres du culte, s’attendent souvent à ce que vous alliez vite mieux.

La théologienne Elise Cairus, spécialiste de l’accompagnement spirituel des naissances difficiles, le confirme. « Les pasteurs ne sont pas outillés pour accompagner ces situations de vie » et aussi mal à l’aise que le reste de la société vis-à-vis de thématiques confrontantes comme la mort d’un enfant à naître. « Pastoralement et spirituellement, on accompagne le deuil, la fin de vie, la maladie, mais quasiment jamais la naissance », constate-t-elle. Un point de vue que ne partage pas Céline, maman d’un bébé décédé in-utero à sept mois de grossesse et engagée professionnellement pour l’Eglise dans le canton de Vaud. « L’Eglise, en tant que spécialiste de la mort, à sa place dans les moments de « l’aigu » qui se vivent dans le cadre hospitalier. Ce n’est pas à l’institution ecclésiale d’assurer le suivi, mais elle devrait ventiler vers les associations. Dans ce genre de situations, nous avons besoin de quelqu’un de spécialisé en la matière. Pour ma part, je n’ai pas envie que les Eglises me proposent ce que je peux trouver seule sur internet ».

De rares propositions d’accompagnements

« N’étant dans le canton de Vaud que depuis peu et moins directement impliqué dans ces questions que les accompagnants spirituels référents des services concernés, j’avoue ne pas avoir connaissance de propositions d’accompagnement spécifiques en milieu ecclésial », reconnaît Jean-Noël Theurillat, responsable de l’aumônerie au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Même son de cloche du côté de l’aumônerie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), tous deux interrogés sur les relais ecclésiaux existants à l’extérieur du cadre hospitalier. Qu’en est-il des faîtières catholiques (Cath) et réformées (Réf) des cantons romands (GE, VD, FR, NE, VS, JU) ? Existe-il en leur sein des lieux ou des personnes spécifiquement formées pour accompagner les situations de pertes de grossesses ?

A l’heure de la publication de cette enquête, la moitié des faîtières interrogées a répondu aux sollicitations (GE Cath/Réf, NE Cath, VS Cath, JU Cath/Réf). Parmi les réponses reçues, seule une proposition d’accompagnement des pertes de grossesses existe dans le Jura. Par ailleurs, une offre d’accompagnement de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) a été repérée par un autre biais. La même requête a été soumise à certaines communautés évangéliques. Les institutions cantonales ne possédant pas d’accompagnement spécifique ont réagi diversement à cette interpellation. « L’accompagnement, peut être facilité via l’aumônerie de la santé – lors d’un décès en milieu hospitalier – ou à travers un lien particulier avec un prêtre mais malheureusement nous sommes faibles et démunis sur cette question », écrit le porte-parole de l’Eglise catholique Neuchâteloise. Ou encore : « Les ministres qui travaillent à l’EPG, que ce soit en aumônerie ou dans les paroisses, sont formés à accompagner toute personne, quelle que soit la nature de sa détresse. Ils et elles répondent en ce sens à une nécessité de polyvalence et de disponibilité […] », répond l’Eglise protestante de Genève. 

En Valais, la responsable de la pastorale des couples et des familles du Diocèse de Sion s’exprime en ces termes : « A ce jour, lorsque nous apprenons qu’une famille est touchée, nous nous permettons d’envoyer une lettre et de proposer un accompagnement professionnel, notamment avec l’association Astrame ou via un couple formé qui a traversé cette épreuve. En nous mettant à l’écoute des personnes endeuillées, plus particulièrement de jeunes enfants, nous avons compris que les personnes sont vraiment demandeuses d’un accompagnement professionnel. […] De manière générale on constate une grande souffrance et un repli sur soi en début de deuil. C’est très difficile pour les personnes d’oser chercher de l’aide, et ce n’est pas forcément vers l’Eglise qu’elles se tournent ». 

Recherche de sens primordiale    

Pourtant, « cela fait partie de l’accompagnement que les Eglises doivent proposer », estime Alice, une vaudoise qui a elle-même vécu deux pertes de grossesse précoces en 2020. Elle mentionne le soutien prodigué par l’équipe investie dans le projet de l’EERV, Des étoiles dans le cœur, qu’elle considère « très précieux », car il apporte une dimension supplémentaire par rapport aux soins psychothérapeutiques : celle de la spiritualité et de la recherche de sens lors d’un événement qui tient de l’inconcevable.

« J’étais submergée par une vague. Étouffée, engloutie, par tous les sentiments qui déferlaient sur moi à ce moment-là ». Illustration : Micaël Lariche

« Il n’y a pas d’espaces pour l’échec et l’inabouti dans notre société », explique Liliane Rudaz-Kagi, diacre de l’EERV et membre de l’équipe pastorale œuvrant pour Des étoiles dans le cœur. « C’est comme si on ne faisait « rien » de cet événement de vie, alors que la question de sens est primordiale et peu investie dans les autres types d’approches ». Le projet s’adresse « aux personnes ayant vécu la perte d’un ou plusieurs bébés durant la grossesse, lors des premiers temps de vie ou dont le désir d’enfant ne s’est pas réalisé pour d’autres raisons ». Qu’il soit question de pertes de grossesses (spontanées ou volontaires) ; d’aide à la décision quant à une interruption volontaire ou thérapeutique de grossesse (IVG et ITG) ; d’accompagnement dans le processus de deuil ; de demande de rituel laïc ou religieux, « les intervenantes ont toutes une trajectoire de vie leur permettant de mieux rejoindre le vécu et les attentes des personnes se tournant vers elles ».

« Il n’y a pas d’espaces pour l’échec et l’inabouti dans notre société », explique Liliane Rudaz-Kagi, de l’EERV.

Reconnaître la souffrance des personnes qu’elles accompagnent, c’est aussi sensibiliser ceux qui prennent en charge ces femmes quotidiennement : les membres du personnel médical. Les intervenantes ont donc cherché à contacter les gynécologues de la région lausannoise pour attirer leur attention sur cette intime et délicate question, « mais avec certains, il est impossible d’entrer en dialogue », déplore Liliane Rudaz-Kagi. Elle signale aussi le camouflet infligé par les doyens de la Faculté de médecine de l’Université de Lausanne (UNIL), qui forment les futurs gynécologues et ceux de la Haute Ecole de Santé Vaud (HESAV), dans laquelle sont formées les sages-femmes. « Nous leur avons proposé un petit module de sensibilisation au deuil périnatal élaboré par nos soins. Nous avons reçu un refus net de leur part, au motif que les soignants y étaient déjà préparés et que le cursus de formation était déjà trop chargé. » 

Déposer la souffrance

Dans le Jura, c’est une initiative œcuménique qui a vu le jour en 2022. L’élan de départ est né dans un cadre surprenant, puisqu’il a émané d’aumôniers de maisons de retraites qui ont constaté que la perte d’un enfant durant la grossesse ou à la naissance était un traumatisme qui perdurait jusqu’à la fin de la vie des personnes concernées. Cette observation a travaillé Philippe Charmillot, diacre pour le Jura pastoral. « J’ai réalisé le désarroi et la solitude de ces parents et cette thématique est devenue mon cheval de bataille. » 

Philippe Charmillot, diacre, a fait de la thématique un cheval de bataille.

Avec ses homologues réformés, il a pris à bras le cœur la condition de ces parents endeuillés, quel que soit le stade de grossesse. « Nous avons mis sur pied un groupe œcuménique et pluridisciplinaire pour y réfléchir, composée de pasteures réformées, d’un diacre catholique, d’une sage-femme et de parents ayant vécu un deuil », complète Florence Hostettler, pasteure pour la région de Porrentruy. Le groupe de travail s’est d’abord attelé à organiser une conférence avec la psychologue et auteure Florence d’Assier de Boisredon en octobre 2022, puis deux célébrations œcuméniques à la Chapelle de l’Unité de Develier-Dessus, en octobre 2022 et 2023, pour permettre aux familles touchées par un deuil périnatal de vivre un temps de recueillement et de poser un geste symbolique. Ils ont ensuite disposé dans cette même chapelle une montgolfière en bois sur laquelle les parents peuvent « déposer » tout au long de l’année ce qu’ils souhaitent. 

En outre, un numéro de téléphone permettant de joindre l’équipe pastorale œcuménique a été mis à disposition par le biais d’affichettes dans les cabinets de gynécologie du canton ainsi qu’à l’hôpital de Delémont, permettant aux parents de trouver informations et réconfort. Philippe Charmillot constate ne pas avoir reçu d’appels depuis que la ligne est en service. « Soit c’est un signe que ce qui a été mis en place porte ses fruits, ou au contraire, un indice supplémentaire de la difficulté à faire évoluer les mentalités sur cette question ». Les ministres et diacres jurassiens ont interpellé les médias de la région dans l’intention de sensibiliser le plus de monde possible.

Un besoin abyssal

De l’autre côté de la frontière, la situation est inverse. « Les femmes se bousculent », que cela soit pour un accompagnement individuel, un suivi de groupe ou les formations en ligne. « Le besoin est abyssal » et la liste d’attente ne diminue jamais, indique Sandra Dubi, pasteure au Gospel Center d’Annecy, une église de sensibilité évangélique. Psychologue, titulaire d’un diplôme de l’Université de Lausanne (UNIL), elle a développé en 2005 avec son mari, aussi pasteur, un ministère (Zoah) psycho-spirituel qui propose un soutien face aux pertes et crises de grossesse. Alors que cette thématique n’éveille encore aucun intérêt au sein de la société, si ce n’est chez les femmes touchées, Sandra Dubi perçoit déjà que « ces enfants invisibles peuvent « poursuivre » les mères toute une vie et provoquer chez elles des « nœuds » difficiles à dénouer ». 

Sandra Dubi (ici avec Julien) se bat « pour réveiller l’Eglise ».

« Une perte, quelle qu’elle soit, engendre toujours une douleur », annonce d’emblée la pasteure, raison pour laquelle « nous les considérons et les accompagnons sans discrimination. Nous partons du postulat qu’une femme pourrait avoir besoin d’être accompagnée tant dans le cas d’une fausse couche que dans celui d’une interruption volontaire ou thérapeutique de grossesse ». Pour Sandra Dubi, dans un cas de figure comme dans l’autre, « il est impératif de dire « au revoir » à cet enfant pour accueillir le suivant ». En parallèle, le couple de pasteurs propose un module de formation en ligne qui s’adresse à leurs confrères et aux conseillers en relation d’aide pour les sensibiliser à cette thématique. « Il permet de développer une perspective globale sur les pertes de grossesse, fausses couches, interruption volontaire ou thérapeutique de grossesse (IVG, ITG) et donne des outils concrets pour aider les femmes et leurs partenaires confrontés à une telle crise. Ce module de formation participe à renouveler la réflexion sur des sujets comme les origines de la vie, la contraception, le déni, l’adoption ou encore les interruptions de grossesse ». Car selon Sandra Dubi, « la plupart des pasteurs ne sont pas outillés à accompagner ce type de problématiques et même dans la relation d’aide classique, la perte de grossesse n’est pas toujours prise en considération ». 

Ces accompagnements et formations sont destinés à un public croyant « ou du moins sympathisant » et la pasteure est claire sur ce point. D’ailleurs, pour que ne subsiste aucune ambiguïté, il est demandé aux personnes intéressées de lire un petit fascicule détaillant en quoi consiste la démarche d’accompagnement et les conceptions qui la sous-tendent. Mais cette mesure ne décourage en rien les postulantes, prêtes à traverser la frontière pour bénéficier d’un tel accompagnement. Le Gospel Center d’Yverdon-les-Bains, une église sœur de celle d’Annecy, a aussi périodiquement organisé des suivis de groupes pour répondre à la demande.

Outre ce ministère à visée « de guérison et de restauration », Sandra Dubi se bat « pour réveiller l’Eglise », car cette thématique est aussi du ressort de toute la communauté chrétienne. Elle souhaite pour ce faire « éduquer les chrétiens à faire leur travail de « chrétiens » autour d’eux ». Une vision partagée par l’aumônier au CHUV Jean-Noël Theurillat: « L’importance d’un accueil inconditionnel et pleinement investi devrait être de la conscience de chacun ».  

Relâcher l’enfant vers le Père

Concrètement, toutes ces démarches d’accompagnements trouvent des points de convergences. Autant Liliane Rudaz-Kagi que Sandra Dubi évoquent l’importance de la parole. « Délier la langue amène à sortir du déni et de la culpabilité », illustre la pasteure du Gospel Center d’Annecy. Verbaliser permet aussi de prendre conscience de la gravité que peut engendrer un deuil non résolu. « Des difficultés avec un vécu du passé peuvent ressurgir à l’occasion d’une nouvelle grossesse », développe la diacre de l’EERV. 

« Ce processus de guérison nécessite une réhabilitation profonde, car il faut prendre conscience que ce n’est pas une restauration du mental qui est en jeu, mais une réappropriation de son corps », affirme Ghislaine Pugin, sage-femme libérale dans le canton de Vaud spécialisée dans l’accompagnement du deuil périnatal. « Les accompagnements peuvent être très longs, et parfois durer plusieurs années. » Il demeure donc primordial de prendre le temps nécessaire à la résolution du deuil en ne remettant pas « rapidement le pied à l’étrier », au contraire de ce que   préconisent certains praticiens, et en dissociant chacune des grossesses, afin d’éviter ce que l’on nomme le « syndrome de l’enfant de remplacement ».

Ces démarches proposent, par exemple, un mouvement d’appropriation/relâchement, en donnant premièrement un prénom à l’enfant perdu, ce qui le rend ainsi irremplaçable. Certaines mères ont aussi associé le fait de nommer l’enfant à un objet souvenir : un bracelet gravé avec des initiales, une paire de chaussons tricoté, un pyjama, etc. Il s’agit « d’honorer la vie et la valeur de cet enfant pour mieux le relâcher vers le Père », décrit Sandra Dubi. Un rituel de séparation est parfois nécessaire, non seulement « pour poser un geste « d’adieu » ou « d’à Dieu » », commente Philippe Charmillot. Paradoxalement, il fait exister et rend visible un être qui n’a souvent laissé de souvenirs que dans la chair de la mère. Pour reprendre les propos d’une des mamans, c’est une manière de matérialiser, « ces enfants qui nous traversent, mais que l’on n’oubliera jamais ».




Mater Dolorosa 4/5 – Déni de miséricorde ?

« Avant treize semaines, c’est une complication. Après treize semaines, c’est un deuil », lâche un aumônier en poste dans un hôpital romand, lorsque nous l’interrogeons sur les propositions d’accompagnement pour les femmes subissant une fausse couche précoce. Jusqu’à ce seuil, « les parents ne se projettent pas encore dans la grossesse », se justifie-t-il. 

Cette remarque fait hausser les sourcils de Silvia*, croyante, mais non pratiquante, qui a subi une fausse couche précoce en 2019 et n’a bénéficié d’aucun soutien particulier. Sa mimique est éloquente. « L’Eglise n’a plus le monopole de la miséricorde. Enfin si, mais seulement quand ça l’arrange ». Après un long moment de silence, elle ajoute : « Et ce sont ces mêmes Eglises qui nous serinent sur le respect total dû à la vie ? On n’est plus à une contradiction près ».

Quid de l’aumônerie ?

Les propos de l’aumônier heurtent aussi Aline Wicht, sage-femme en obstétrique aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) et membre du Groupe Deuil, une équipe de travail pluridisciplinaire réunie autour de la question du deuil périnatal. Elle a supervisé un mémoire de diplôme publié en août 2023 par des sages-femmes en formation de la Haute école de santé de Genève (HEdS) traitant du vécu des femmes lors d’une perte de grossesse et de l’accompagnement proposé par les HUG en matière de deuil périnatal. Aucune mention de l’aumônerie ne figure dans cette recherche, alors que le Groupe Deuil, dont l’aumônerie fait partie, est cité. Simple oubli, manque de collaboration ou méconnaissance du travail accompli par celle-ci ? La sage-femme penche pour la dernière option, car « les soignants ne sont pas tous sensibilisés au même degré face à cette problématique et ne connaissent pas non plus toutes les propositions d’accompagnement qui existent ». Par ailleurs, elle parle de l’aumônerie œuvrant au sein du Groupe Deuil comme « pleinement investie » et la considère comme essentielle à toute démarche d’accompagnement.

Pour les familles, mais pas seulement

« Je suis disponible pour un temps d’écoute, un accompagnement spirituel, une cérémonie. J’entends la souffrance, la douleur et l’angoisse [des parents] et je cherche avec [eux] les ressources dont ils disposent pour traverser ce moment difficile en attendant de trouver du sens plus tard », expliquait une aumônière des HUG, interrogée par l’Eglise catholique romaine à Genève (ECR) dans le cadre d’une autre publication, concernant la manière d’accompagner les parents endeuillés. « L’accompagnement spirituel signifie être près de la personne là où elle est avec ses convictions, ses difficultés, ses valeurs, ses questions et le sens qu’elle donne à la vie ». Il n’y a pas toujours de demande religieuse, mais lorsqu’il y en a une, les aumôniers s’adaptent aux souhaits des parents. Ils proposent, par exemple, des cérémonies qui mettent à contribution les cinq sens. « Le corps est au centre de la grossesse et de la naissance et dans une religion incarnée, avec Dieu qui s’est fait homme, il est important de vivre ce moment avec le corps, avec des gestes qui expriment plus que les paroles ». En plus de cette possibilité de rite sur mesure, les HUG organisent chaque année en mars une cérémonie du souvenir pour les parents d’enfants disparus trop tôt et dont l’aumônerie coordonne l’organisation.

Les familles et les patientes ne sont pas les seules à faire appel à l’aumônerie. Du côté du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), celle-ci a été sollicitée par les soignants de la maternité pour élaborer un fascicule à l’attention des femmes ayant subi une perte de grossesse au premier trimestre, donc précoce. « Les équipes se sentaient démunies face à ces mamans qui éprouvaient « un sentiment d’abandon face à leur sort » », expose Jean-Noël Theurillat, aumônier dans ce centre hospitalier. Ces femmes ne font souvent « qu’un passage furtif à l’hôpital. Il y avait donc cette conscience de la part du personnel que ce n’est pas parce que l’on rentre chez soi que tout est réglé ». 

Cette brochure, mise à disposition à la maternité, permet d’obtenir les informations essentielles concernant la perte de grossesse, de la prise en charge aux soutiens qu’elles peuvent solliciter à l’extérieur de l’hôpital, en passant par les douleurs ou encore les saignements. Céline, maman d’un bébé décédé en 2021 in-utero à presque huit mois de grossesse, tempère : « L’aumônerie pourrait aussi assurer le suivi avec les associations, mais ne le fait que partiellement. J’ai assisté à la cérémonie du souvenir proposée au CHUV et j’étais déçue de constater que même à ce moment-là, l’institution proposait une mise en relation avec une seule offre de soutien extérieure au cadre hospitalier, alors qu’il existe une dizaine d’associations actives dans le domaine en Suisse romande ».

« En tant que mère, on est écartelée entre ce que l’on a déjà [d’autres enfants, ndlr.] et celui qu’on vient de perdre ». Image : Micaël Lariche

Un accompagnement conditionné

Pour bénéficier de l’accompagnement de l’aumônerie, encore faut-il que la perte soit reconnue et identifiée comme telle. Une condition mise en échec par l’organisation même des hôpitaux.  Jusqu’à 12 semaines, les patientes sont généralement prises en charge par la gynécologie, ce n’est qu’après ce terme que le service d’obstétrique, dans lequel peut leur être proposé un soutien quant au deuil, intervient. La possibilité d’un accompagnement psychologique ou spirituel n’est donc pas conditionnée par le besoin des patientes, mais par le stade de leur grossesse. Ce que réfute Jean-Noël Theurillat : « L’accompagnement spirituel est proposé à toute patiente, quelle que soit sa situation et dans l’ensemble des services. Il faut nuancer le cadre légal, la prise en charge strictement médicale et la possibilité de solliciter un accompagnement spirituel ». 

Sur la dizaine de femmes sondées  ̶  tous cantons et sites hospitaliers confondus  ̶  ayant subi une perte précoce, aucune d’entre elles n’a bénéficié d’un soutien quelconque. Elles affirment même que cela ne leur a pas été proposé. Un état de fait à corréler avec le délai légal de 12 semaines pour recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG). Un changement de statut des 13 premières semaines risquerait de remettre en cause ce droit, de l’avis d’une gynécologue et de plusieurs sages-femmes. « Il est aujourd’hui encore difficilement admis qu’une patiente ayant eu recours à l’IVG puisse aussi avoir besoin de soutien. Partant du postulat que ce choix est « volontaire » dans un cas, mais pas dans l’autre, cela créerait une brèche dans la logique. Pourquoi une femme aurait-elle besoin de soutien et pas l’autre ? », illustre encore la praticienne interrogée. 

La grossesse comme cadeau et lieu d’épreuves 

Comme plusieurs mères le mentionnent, le projet de naissance, puis l’entier de la grossesse doit être programmé avec une importante volonté de contrôle de la part du corps médical. Or la mort demeure rarement « programmable » et incommode notre société. Cela d’autant plus lorsqu’elle se substitue à une vie naissante. Bien que la maternité soit perçue comme un événement heureux, on oublie qu’elle peut aussi être un lieu d’épreuves. Les rares propositions d’accompagnement spirituel de la naissance qui existent en dehors des hôpitaux cherchent à redonner sens à l’inconcevable. Le recours à la parole, ainsi qu’aux gestes symboliques permettent de faire exister et rendre visible la perte d’un être, qui n’a souvent laissé de souvenirs que dans la chair de la mère.

Un projet d’aumônerie spécialisée « avorté »

Lors de nos recherches, nous avons été amenés à rencontrer Elise Cairus, docteure en théologie spécialisée dans l’accompagnement spirituel de la naissance. La thèse de la Genevoise, soutenue en 2017, a fait l’objet d’une publication grand public en 2019 intitulée L’accompagnement spirituel des naissances difficiles (ed. Salvator). Elle y traite notamment de l’accueil d’un enfant malade ou handicapé, de l’interruption volontaire ou médicale de grossesse, de la fausse couche et du deuil périnatal.

Dans la foulée de cette thèse, Elise Cairus aspirait à développer au sein des HUG une aumônerie œcuménique destinée aux familles traversant des moments difficiles liés à une naissance, mais « le projet n’a pas pris », révèle-t-elle. Elle attribue cet échec à un manque de moyens, mais aussi de volonté. « Malgré de nombreuses sollicitations, les Eglises [catholique et protestante, ndlr.] se renvoyaient la balle. »

Elle a même initié la démarche de suivre une formation d’auxiliaire en aumônerie au sein des HUG afin de s’investir dans le future Pôle santé de l’Eglise protestante de Genève (EPG) alors en développement. Celui-ci visait à regrouper l’aumônerie protestante dans les secteurs des hôpitaux universitaires genevois et coordonner l’accompagnement spirituel au sein des établissements médico-sociaux (EMS) cantonaux et les cliniques privées dont certaines comportent une maternité. Elise Cairus a alors émis le souhait d’effectuer cette formation dans son domaine de compétences, au sein de la maternité. Ce qui lui a été refusé. Tout en acceptant cette décision elle « s’est mise à disposition pour assister les aumôniers de la maternité et répondre aux questions qui pourraient surgir ». Or, la théologienne affirme qu’elle n’a pas été sollicitée du tout, ce qui accroit son incompréhension. Elle se remémore néanmoins des propos entendus alors qu’elle effectuait sa formation : « Ce service est un « pré-carré » et avec votre proposition, vous marchez sur les platebandes de quelqu’un d’autre ». 

Interrogée, la porte-parole de l’EPG, Flore Brannon, répond : « S’agissant du Pôle Santé, plusieurs projets ont effectivement été envisagés pour la prise en charge de mères endeuillées hors HUG, mais aucun n’a pu être intégré adéquatement dans le cadre de la mission du Pôle qui se veut –  et se doit –  de demeurer générale et à l’écoute de toutes et tous. Notre mission d’Eglise est d’être présents et disponibles pour toutes et tous, sans distinction, […] aucune [aumônerie] ne propose d’activité, de spécialisation ou de personne dédiée pour le soutien d’un groupe spécifique de personnes ». Ces arguments laissent Elise Cairus dubitative : « Il existe pourtant bien des aumôneries et des ministères spécialisés dans l’Eglise. Pourquoi en choisir un plutôt qu’un autre ? » Lassée de courir après un projet qui s’éloignait à mesure qu’elle essayait de s’en approcher, la théologienne a jeté l’éponge. Elle s’est reconvertie dans un autre domaine professionnel, mais ne perd pas espoir de voir ce type d’aumôneries spécialisées se développer à l’avenir.

Cette enquête est réalisée avec le soutien de JournaFonds.




Mater Dolorosa 3/5 – Un deuil fantôme

« La douleur et les saignements ne sont pas des motifs pour vous rendre aux urgences. Par contre, si vous faites une hémorragie, allez-y », annonce le gynécologue à Sonia*, complètement sonnée par la nouvelle qu’elle vient d’apprendre. « Comment étais-je sensée différencier les saignements normaux d’une hémorragie ? », lâche-t-elle cyniquement. Enceinte de deux mois, elle se réveille un matin de 2019 avec des saignements. Son médecin lui annonce, comme si c’était une grippe, que « la grossesse est arrêtée », sans plus de d’explications. 

La Genevoise comprend confusément qu’une fausse couche est en train de se produire. Elle repartira à la maison avec une plaquette de médicaments pour « vider le contenu de son utérus », une tape dans le dos et un rendez-vous médical deux semaines plus tard, « quand tout cela sera derrière ». En plus du manque d’empathie, la jeune femme dénonce le défaut d’informations délivrées par son praticien. Et son cas est loin d’être isolé.

Le manque d’empathie en ligne de mire

Plusieurs recherches récentes mettent en exergue le manque d’empathie avec lequel les patientes sont prises en charge suite à une perte de grossesse, tant précoce que tardive. Une étude prospective menée auprès de 650 femmes par l’Imperial College de Londres et publiée en 2020 dans l’American Journal of Obstetrics and Gynecology stigmatise : « Notre société peine à reconnaître cet événement comme pouvant être particulièrement traumatisant. Il en résulte un manque de compréhension et de soutien pour de nombreuses femmes », décrit Tom Bourne, professeur en gynécologie et principal auteur de l’étude. 

Un autre travail de recherche, publié en août 2023 par des sages-femmes en formation de la Haute école de santé de Genève (HEdS), va plus loin. Il révèle que « les expériences des femmes sont largement négatives » en regard de l’accompagnement de leur perte de grossesse en milieu hospitalier. Les sages-femmes attribuent ce résultat à divers facteurs dans la prise en charge médicale, dont entre autres, un manque de soutien émotionnel en général ; une non-reconnaissance de la perte ; une banalisation de leur état ; une insuffisance – voire même une absence d’informations médicales de base ­– et des lacunes dans le suivi.

Une perte immatérielle

Si la liste des griefs est longue, d’autres témoignages semblent démontrer que le tableau n’est pas si noir que cela. « Mon médecin a été très à l’écoute. Elle m’a dit que sa porte était toujours ouverte », rapporte Cynthia. La quarantenaire a choisi d’attendre que son corps fasse naturellement le travail sans recours à un procédé médicamenteux ou chirurgical pour accélérer le processus, mais elle n’était ni préparée, ni avertie de la manière dont se passait une fausse couche. Elle a donc dû endurer « de violentes contractions durant deux heures et accoucher de ce foetus. [S]on trauma réside clairement là ». 

« Après deux heures d’intenses contractions et d’abondants saignements, les urgences m’ont récupérée dans le même état que si je venais de sortir d’une séance de torture ». Illustration : Micaël Lariche

Lauriane, gynécologue dans la région genevoise, réagit au reproche du manque d’empathie : « Chacune de ces annonces est un crève-cœur. Même après plusieurs années de pratique, il est toujours aussi difficile pour moi d’apprendre à ma patiente que sa grossesse n’évolue pas ». Elle admet que « Les médecins sont formés à ne pas trop “prendre sur eux” », sans quoi il leur serait simplement impossible d’exercer leur profession. Elle estime aussi que « dans certains services d’urgences, le personnel de santé est peut-être tenté de rattraper le retard accumulé sur ce genre de consultations, car elles ne présentent généralement pas de risques de complications majeures. Surtout si les urgences sont saturées, avec potentiellement des cas plus aigus en salle d’attente ». Cofondatrice de la Fondation pour la Recherche en Périnatalité (FReP), Sabine Cerutti-Chabert souligne que « les soignants sont aujourd’hui bien conscients du besoin de soutien décrit par ces femmes », mais que « l’immatérialité de l’évènement qu’elles vivent, le rend difficilement appréhendable ».

Un deuil périnatal à géométrie variable

La compréhension du deuil périnatal n’étant pas unanime, les mères se retrouvent face à une interprétation à géométrie variable de leur souffrance, car pour beaucoup, lorsqu’il n’y a pas de corps, il n’y a pas non plus de deuil. Plusieurs définitions du deuil périnatal existent, mais Aline Wicht, sage-femme en obstétrique aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), l’admet : « elle ne correspond peut-être pas à la réalité vécue par les femmes ». Décrit comme « la perte d’un enfant en cours de grossesse  ̶  fausse couche, interruption de grossesse suite à la découverte d’une anomalie fœtale grave, décès in utéro  ̶  à la naissance, ou durant les 7 premiers jours de vie », la définition à laquelle se réfère la sage-femme n’exclut pourtant pas les pertes précoces. 

Toutefois, l’acception communément employée durant de nombreuses années émane de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et circonscrit ce deuil comme étant le décès d’un fœtus entre la 22e semaine et le 7e jour suivant l’accouchement. Une caractérisation « qui n’encourage pas à prendre en compte le vécu du deuil des “jeunes grossesses” », souligne encore Aline Wicht. Cette délimitation est aussi reprise par la législation en vigueur en Suisse. Elle fixe le cadre octroyant à l’enfant décédé une reconnaissance autant légale que sociale. Pour les parents, c’est la légitimité du deuil aux yeux de la société et probablement, de manière plus tangible, auprès du personnel médical.  

Pas de reconnaissance légale de tous les enfants perdus

La situation juridique de la naissance, de la « mortinaissance » et l’inscription d’un enfant décédé au Registre de l’état civil est régi par l’Ordonnance fédérale sur l’état civil (OEC). Il y est stipulé que seuls les enfants désignés comme « mort-nés » – ne manifestant aucun signe de vie à la naissance, d’un poids d’au moins 500 grammes et/ou la grossesse a duré au moins 22 semaines entières – peuvent être inscrits. Les bébés ne remplissant pas ces conditions peuvent néanmoins être « annoncés comme nés sans vie » et les parents solliciter une confirmation de la part de l’Etat civil. Le droit au congé maternité, ainsi que les autres assurances sociales dépendent aussi de ces notions d’âge et de poids. Le cadre juridique en vigueur pourrait donc laisser penser que les pertes de grossesses tardives, ainsi que les morts fœtales in-utero sont mieux prises en charge que les pertes précoces, car davantage reconnues. Le bilan semble à cet égard contrasté.

« J’y ai laissé une partie de moi. On ressort d’une telle épreuve avec un trou dans l’être ». Illustration : Micaël Lariche

En fin d’année 2021, Céline sent que quelque chose ne va pas avec sa grossesse. Elle est à la fin du 7ème mois. Sa gynécologue confirme ses craintes, le cœur du bébé ne bat plus. A l’hôpital de Payerne, dans lequel elle est admise, la jeune femme est accompagnée par une sage-femme spécialisée dans le deuil périnatal. Elle considère d’ailleurs la prise en charge de ce douloureux moment comme « extraordinaire » et tout a été fait pour qu’ils ne repartent pas « les mains vides ». Le couple a, par exemple, reçu une petite boîte avec le bracelet de naissance, une bougie et le fascicule d’une association de soutien.  Malheureusement, même lorsque les pertes surviennent à un stade avancé de grossesse, l’accompagnement ne se passe pas toujours comme dans la situation décrite par Céline. La fondatrice de l’association Naîtr’Étoile, qui accompagne les familles touchées par un deuil périnatal, en a fait l’amère expérience au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), lorsqu’en 2018 elle perd son bébé après 25 semaines.

Incertitudes en cascade

« Le corps sera incinéré avec les déchets chirurgicaux du jour », répond-on à Aurélie Pasqualino, qui s’enquiert de ce qui va advenir du corps de son bébé. Catastrophée, elle prend des dispositions auprès de pompes funèbres, afin qu’ils s’occupent du corps de l’enfant. Quelques jours plus tard, elle apprend d’une autre sage-femme qu’elle « pouvait évidemment récupérer le corps de son bébé » pour procéder à un rite funéraire. Les mésaventures de la fondatrice de l’association ne s’arrêtent pas là. « Personne n’a su me dire si j’avais droit au congé maternité et aux visites d’une sage-femme à domicile. » Ne bénéficiant d’aucun soutien émotionnel ou psychologique, Aurélie Pasqualino rentre chez elle avec sa peine sous le bras, dans l’incertitude quant au congé maternité et sans sage-femme, à laquelle elle a pourtant droit. 

Elle estime que les protocoles de prise en charge du deuil périnatal, non-uniformisés dans les hôpitaux suisses, seraient en cause. Sabine Cerutti-Chabert réfute cette appréciation – « Des protocoles uniformisés rigidifieraient la prise en soins » – et défend plutôt un accompagnement calqué sur les besoins spécifiques des patientes. Contacté afin d’en apprendre un peu plus sur les protocoles de soins en cas de deuil périnatal, le service de presse du CHUV a conseillé « de trouver des interlocuteurs plus appropriés à cette enquête ». Malgré plusieurs sollicitations, les portes sont restées closes. 

L’inconfort de la mort

Nous avons donc regardé par la fenêtre en commençant par interroger, à ce propos, une sage-femme ayant pratiqué à la maternité du CHUV durant la même période. Elle confirme que plusieurs autres patientes sont retournées à la maison sans même savoir qu’elles avaient droit à l’assistance d’une sage-femme ou au congé-maternité. Elle relève aussi plusieurs aspects qui pourraient répondre, en partie, aux doléances d’Aurélie Pasqualino, dont « un manque flagrant de volonté et de soutien de la part de la direction des soins pour mettre en place ces protocoles ». La soignante affirme que le personnel sensibilisé à cette thématique était incité à prendre sur son temps libre pour le faire et souligne encore le manque de formation et d’informations en lien avec le deuil périnatal. « Si vous voulez un exemple de bonne pratique, allez regarder du côté des HUG ».

Plus important encore, la sage-femme met en évidence le malaise face à la mort chez de nombreux soignants et les manœuvres d’évitement de certains pour ne pas y être confronté. Surtout lorsqu’il s’agit d’un bébé. Elle avait émis l’idée d’une équipe mobile spécialisée dans le deuil, présente à demeure sur le site hospitalier, déchargeant ainsi les autres soignants de cette inconfortable, mais inévitable problématique. Peine perdue. Elle a depuis quitté ses fonctions, épuisée par le manque d’écoute et de soutien de sa hiérarchie. D’autres soignants ont, selon ses propos, « suivi le même mouvement ». Ghislaine Pugin, sage-femme libérale dans le canton de Vaud et spécialisée dans l’accompagnement du deuil périnatal, soutient l’élaboration de « centres cantonaux compétents en la matière » pour pallier cette disparité de prises en charge. Elle relève que les aumôneries font beaucoup en matière de deuil périnatal et « salue ce qui a été mis en place au CHUV grâce à l’aumônerie, car les initiatives se prennent beaucoup de ce côté-là ».

Quand la souffrance de la perte se double à celle de la lutte qu’il faut mener pour que soit reconnu le droit au deuil, les aumôneries hospitalières cherchent à créer un espace permettant à ce droit de s’exprimer. Elle offre aux parents la possibilité d’inscrire la mort de leur bébé dans leur propre récit de vie. Encore faut-il que tous puissent y avoir accès.

Cette enquête est réalisée avec le soutien de JournaFonds.




Mater Dolorosa 2/5 – Maux compte triple

En mars 2022, le collectif français Fausse couche, vrai vécu publie une tribune dans Le Monde. Les auteures réclament au gouvernement la mise en place de mesures concrètes afin de libérer la parole et d’obtenir une meilleure reconnaissance des pertes de grossesse, assorties d’une prise en charge plus adaptée. En préambule, le collectif insiste sur la nécessité de changement de vocabulaire, estimant que la notion de « fausse » couche laisse entendre que cet événement comporte quelque chose d’irréel, ce qui contribue à sa non-reconnaissance. De plus, la formule couramment employée « faire une fausse couche » accuse injustement les femmes et dissimule la réalité de la souffrance vécue, le verbe « faire » suggérant une action tout en laissant peser une part de la responsabilité sur les épaules des femmes.

« Je n’avais pas conscience de l’influence que pouvait avoir ce vocabulaire sur mes patientes. Je serai dorénavant plus attentive aux mots employés », réagit Lauriane, gynécologue dans la région genevoise. « On constate une vraie prise de conscience et une mobilisation de la part des soignants. Maintenant, la femme « perd une grossesse », mais on ne parle pas encore de « perdre un enfant ». Fréquemment, la manière d’envisager la maternité et la perte est transportée par le vocabulaire », explique Sabine Cerutti-Chabert, cofondatrice de la Fondation pour la Recherche en Périnatalité (FReP). De manière générale, la maternité est perçue comme un événement heureux, qui fait partie de la normalité de la vie et on oublie qu’elle peut aussi être un lieu d’épreuves. « Alors que la maladie mobilise la recherche médicale, les sujets de recherche en lien avec la maternité peinent à obtenir des financements. »

Fréquemment, la manière d’envisager la maternité et la perte est transportée par le vocabulaire », explique Sabine Cerutti-Chabert, cofondatrice de la Fondation pour la Recherche en Périnatalité (FReP).

Les lunettes roses de la maternité

Puisque la maternité est d’abord envisagée comme une période heureuse, les aspects douloureux, en contradiction avec les attentes de la collectivité, sont souvent passés sous silence, car ils provoquent encore honte et culpabilité chez les femmes. De plus, depuis l’avènement de la pilule contraceptive dans les années 70, la grossesse est envisagée comme un libre choix, une décision consciente. Plusieurs femmes ayant témoigné parlent de « projet de grossesse », avec la notion que celui-ci doit se dérouler conformément à l’idée que s’en fait la société. Le foisonnement de recommandations aux futures mères les met ainsi sous pression, car l’accès à une telle quantité d’informations suppose qu’elles doivent les utiliser pour optimiser leur maternité et la réussir. 

« Le contexte sociétal a beaucoup changé la vision de l’enfant et de la parentalité. L’investissement est différent et la fenêtre temporelle pour fonder une famille est de plus en plus courte. L’échec est devenu d’autant plus questionnant », ajoute Sabine Cerutti-Chabert. Ghislaine Pugin, sage-femme libérale dans le canton de Vaud et spécialiste de l’accompagnement du deuil périnatal, note que la perte n’est plus envisagée de la même manière. « Auparavant, sans moyen de contraception, les femmes pouvaient tomber enceinte dix fois, avec toute l’ambivalence qui peut exister entre la souffrance de la perte et le soulagement de perdre un enfant qu’on ne veut pas. La perte était peut-être plus « acceptable » mais restait tue. Cela tient aussi calfeutrage de l’intimité féminine, beaucoup plus important qu’aujourd’hui ».

Fausse croyances et pilule miracle

Un autre aspect concerne le narratif culturel entourant le rôle des femmes. Celui de mère est encore admis comme étant le plus important aujourd’hui, avec pour corollaire le corps comme organe reproductif. Mais de plus en plus de voix se font entendre avec l’affirmation du choix   de ne pas vouloir être mère, tout en soutenant que l’essence de ce qui constitue « la femme » ne se limite pas à enfanter. Même si la parole se libère peu à peu et la recherche médicale tend à déconstruire les idées reçues en matière de maternité, les croyances erronées quant aux raisons d’une fausse couche sont tenaces.

Porter un poids trop lourd, être stressée ou trop travailler sont encore des causes invoquées pour expliquer l’échec de la grossesse. « La prochaine fois, vous pourrez demander au médecin de vous donner quelque chose pour que le bébé tienne », se remémore Sonia*, que les propos de cette connaissance avaient choqué. « C’est donc cela… Si j’avais su qu’il existait une poudre magique pour « faire fonctionner les bébés » à chaque fois… », laisse-t-elle échapper ironique. La Genevoise n’est pourtant pas si loin que cela de la vérité. « Puisqu’on ne sait médicalement pas expliquer la cause des pertes de grossesse, surtout précoces, il y a une part d’imaginaire, voire de mystère qui les entoure encore ». Avec tout ce que cela suppose de peurs et de fausses croyances. 

Alors que l’âme et le corps saignent, la société intime à la mère en deuil « d’aller de l’avant ». Image Micaël Lariche.

Elisa Kerrache, sage-femme libérale dans le Valais central évoque même une forme de superstition, « comme si le fait de ne pas en parler, nous en prémunirait ». Outre cet aspect mystérieux, les propos maladroits de l’entourage et les phrases toutes faites constituent surtout un « moyen de protection contre l’inconfort » que provoque inévitablement ce type de thématiques. « Les pertes de grossesse confrontent les individus à leur manière de penser, leurs croyances et les risques de conflits intérieurs potentiellement générés », commente la sage-femme tout en évoquant les controverses éthiques sur le statut de l’embryon, de la personne, et les visions divergentes concernant le début de la vie. D’autant que celles-ci influencent ensuite le vocabulaire et la prise en charge des patientes. Plus largement, Elisa Kerrache associe ce malaise relatif aux pertes de grossesse à la peur de la mort. 

Du déni de souffrance et de ses conséquences

« Les gens sont mal à l’aise avec la mort, surtout lorsqu’elle vient contrarier le début de la vie. Cela vient rompre toute logique », avance Aline Wicht, sage-femme en obstétrique aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et membre du Groupe Deuil, une équipe de travail multidisciplinaire réunie autour du deuil périnatal. Le personnel médical ne fait pas exception à cette règle, « d’où l’importance d’avoir des soignants formés au deuil », pour accompagner tous les stades de la grossesse. La mort pose aussi des limites à la médecine. Dans le cas des fausses couches précoces, on sait qu’elles sont fréquentes, mais on ne peut pas en expliquer la cause avec certitude. Il faut donc « soutenir sans chercher à être dans l’action mais dans l’accueil ». Or, puisqu’il n’y a pas d’acte de soins à prodiguer et que la fausse couche précoce n’est pas considérée comme une complication « à risques », cela tend à banaliser sa prise en charge médicale aux yeux des patientes et rendre la perte illégitime.

« Les gens sont mal à l’aise avec la mort, surtout lorsqu’elle vient contrarier le début de la vie. Cela vient rompre toute logique », avance Aline Wicht. Photo : Julien Gregorio.

Une étude prospective menée auprès de 650 femmes par l’Imperial College de Londres et publiée en 2020 dans l’American Journal of Obstetrics and Gynecology démontre le potentiel délétère du déni de souffrance lors de la perte d’un bébé, même à un stade précoce de la grossesse. Près d’une femme sur trois expérimenterait un état de stress post-traumatique, des symptômes d’anxiété et des états dépressifs modérés à sévères pouvant perdurer – pour une femme sur six – jusqu’à neuf mois. Les femmes ayant vécu une perte de grossesse précoce se plaignent d’une prise en charge médicale peu empathique. L’immatérialité de l’événement conditionne ce manque de reconnaissance. Si la perte était davantage légitimée, seraient-elles mieux accompagnées ? La réponse n’est pas si évidente.

Pour reprendre l’enquête depuis le début :

Cette enquête est réalisée avec le soutien de JournaFonds.




Mater dolorosa

Les sentiments des femmes en images
Les illustrations de cette enquête reflètent l’état d’esprit des témoins au moment de leur perte de grossesse. Il leur a été demandé de le décrire, si possible, par une image. Elles ont ensuite été réalisées à la demande de la journaliste par Micaël Lariche, illustrateur et designer indépendant. Partie prenante du projet dès le début, l’illustrateur a cherché, en concertation avec l’auteure de l’enquête, à rendre plus tangibles des sentiments que l’immatérialité d’un tel événement peuvent rendre difficile à appréhender.

« Elle se tint là, la mère endolorie toute en larmes, auprès de la croix, alors que son Fils y était suspendu. » Cette première strophe, tirée du Stabat Mater dolorosa, appartient par essence à la musique sacrée et dépeint la douleur d’une mère devant l’agonie de son fils. Cette mère, c’est Marie, archétype de la figure maternelle dans la chrétienté, et bien au-delà. Mais quelles étaient les pensées et sentiments de cette maman à la mort de son fils ? Bien peu de choses nous sont rapportées dans les textes concernant son état d’esprit, alors qu’elle assiste à la mort de son enfant. Sans doute de la sidération, peut-être de l’incompréhension, et certainement de l’impuissance. 

D’autres femmes ont aussi éprouvé, dans leur chair, ces mêmes sentiments. La différence avec Marie ? Aucune d’entre elles n’a jamais connu l’enfant qu’elle a porté, que cela soit de quelques semaines à plusieurs mois. Une souffrance amplifiée par l’absence de souvenirs de l’être aimé. Toutes ces femmes ont subi ce que l’on qualifie communément de « fausse couche », qu’elle soit précoce ou tardive.

Cette enquête fait place à ces femmes dans leur combat pour être reconnues en tant que mères en deuil. Dans leur chemin de croix administratif avec les assurances maladies, contre les « fausses croyances » qui subsistent face à la perte de grossesse, dans leur volonté de faire comprendre que ce n’est pas au nombre de semaines de grossesse que l’on échelonne la douleur. Et que par conséquent, elles devraient pouvoir bénéficier d’un accompagnement psychologique, spirituel, voire ecclésial si elles en ressentent le besoin, indépendamment du moment où survient la perte. 

Même si les langues se délient peu à peu, le sujet reste tabou. Il dérange, bien au-delà de ce que nous imaginions. Malgré tout, le besoin et l’envie de témoigner sont bien présents. Si certaines portes nous sont restées désespérément fermées, cela ne nous a pas empêché d’aller regarder par la fenêtre. Des réticences, certes, mais aussi des soutiens, sans lesquels cette enquête n’aurait certainement pas pu voir le jour, tels que JournaFonds, qui a permis la réalisation de ce travail d’investigations.

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Mater dolorosa 1/5 – Treize semaines, sinon rien

N’allez pas dire à Natacha, Alice, Cynthia, Lauren et bien d’autres qu’elles viennent de perdre du « matériel gestationnel ». Elles considéraient déjà cette grossesse comme un enfant à naître et des projets en construction. Or, le terme même de « fausse couche » tend à signifier que ce qu’elles ont vécu n’est pas si « vrai » que cela, et donc d’une importance moindre. La perte est pourtant bien réelle. Alors que treize semaines ne représentent peut-être pas grand-chose à l’échelle d’une existence humaine, elles constituent une différence de taille pour une femme enceinte.

Fausse couche, avortement spontané, perte de grossesse : ces termes évoquent une même réalité, tout en divergeant sur son acception. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), aucun consensus n’existe entre les pays sur la définition de la perte de grossesse. En Suisse, elle est circonscrite par le cadre légal, dont les implications se font ressentir dans tous les aspects de la prise en charge. Lorsque le fœtus meurt avant la 13e semaine, on parle de fausse couche précoce, la complication la plus courante du début de grossesse. Quand la perte a lieu entre le début de la 13e et avant la fin de la 22esemaine, c’est une fausse couche tardive. La mort fœtale in utero ou « mortinaissance », désigne le décès d’un enfant dans le ventre de sa mère après le début de la 23e semaine de grossesse.

Des statistiques à prendre avec des pincettes

En avril 2021, The Lancet – prestigieuse revue médicale britannique – , a publié une recherche globale sur les fausses couches et le vécu des patientes par rapport à cet événement. Les auteurs estiment que 23 millions de fausses couches se produisent chaque année dans le monde, environ 15% du total des grossesses. Cela représente « quarante-quatre grossesses perdues chaque minute », indique l’une des trois études du rapport. En se basant sur d’autres travaux publiés ces vingt dernières années, les chercheurs avancent qu’au total 10,8% des femmes ont fait une fausse couche. Toutefois, les statistiques pourraient être bien plus élevées, car les chiffres reposent uniquement sur les cas répertoriés. Un phénomène, contrairement à certaines idées reçues, très courant. Or, « la fréquence et le manque d’explication médicale à ces pertes précoces les banalise », indique Caroline Chautems, anthropologue et chercheuse postdoctorante au Centre en Études Genre, à l’Université de Lausanne.

Caroline Chautems, anthropologue et chercheuse postdoctorante au Centre en Études Genre, à l’Université de Lausanne.

En Suisse, aucune statistique n’existe sur le pourcentage de fausses couches parmi la population. Les estimations avancent qu’une grossesse sur quatre serait concernée. « Les hôpitaux et les gynécologues ne sont pas tenus de les répertorier et les chiffres sont donc largement sous-évalués », allègue Aurélie Pasqualino. La fondatrice de l’association Naîtr’Étoile, qui accompagne les familles touchées par un deuil périnatal soutient que les pertes précoces seraient plutôt de l’ordre d’une grossesse sur deux, une sur quatre s’appliquant uniquement aux cas des pertes tardives. Pour tenter de comprendre ce manque de données au niveau de la recherche médicale et ses implications dans la prise en charge, nous avons interpellé le Perinatal Research Group du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), groupe de recherche pluridisciplinaire en périnatalité, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Pour Caroline Chautems, cette lacune en termes de chiffres peut notamment s’expliquer par le désintérêt, durant de nombreuses années, relatif aux questions sexuelles et reproductives des femmes. Elle note ainsi que, dans ce domaine, de nombreuses thématiques demeurent sous-investiguées et prend pour exemple les violences obstétricales, que la recherche scientifique n’a commencé à étudier que récemment. Sabine Cerutti-Chabert, cofondatrice de la Fondation pour la Recherche en Périnatalité (FReP) réagit : « La perte de grossesse est aujourd’hui examinée avec la conscience de la nécessité d’être dans une démarche scientifique ». Les deux spécialistes s’accordent néanmoins à souligner que les équipes de recherche ne peuvent investiguer toutes les problématiques en même temps. L’urgence du sujet fait donc encore loi, mais pour combien de temps ? Car actuellement, l’individualisation de la responsabilité prônée par notre société implique que l’enfant est perçu comme un choix. Aux familles d’assumer lorsque cela ne se passe pas comme prévu.

La grossesse est une maladie comme une autre

L’actuel cadre légal helvétique se charge de le rappeler. Dans la Loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal), les grossesses se terminant avant la 13e semaine sont soumises au même régime que la maladie et ne sont remboursées qu’à concurrence de la franchise et de la quote-part. « J’ai ressenti un vrai sentiment d’injustice. Tous les coûts liés à cet événement imprévisible ont été à ma charge », s’insurge Lauren. En 2018, les signes de sa grossesse naissante s’estompent. Elle sait que quelque chose ne va pas. Sa gynécologue diagnostique un « œuf clair ». Les membranes et le placenta se développent, sans qu’un embryon se soit formé : la grossesse débouche alors inévitablement sur une fausse couche. « Avant trois mois, votre grossesse est une maladie », illustre Marie-Laure. Cette ancienne employée d’une assurance maladie a depuis quitté ses fonctions, ne supportant plus ce sentiment d’asséner à longueur de journée des articles de loi à des femmes en pleine détresse. 

Caroline Chautems plaide pour un élargissement de la protection de la maternité durant ces 13 premières semaines, mais aussi après l’accouchement. Aujourd’hui la parturiente est couverte jusqu’à 8 semaines après avoir donné naissance, mais « cette protection est trop courte, surtout lorsqu’il s’agit, par exemple, de la rééducation du périnée, qu’il est physiologiquement impossible de réaliser durant ce laps de temps ». Les femmes renoncent donc à des soins qui seront à leur charge, avec pour corollaire des risques sur leur santé, tels que de l’incontinence, voire même un prolapsus génital – plus connu sous le nom de « descente d’organes » – car le périnée n’accomplit plus ses fonctions. 

Une affaire de santé publique

Du côté professionnel, la maternité ayant des répercussions sur la carrière des femmes, celles-ci n’évoquent souvent pas leur grossesse sur leur lieu de travail avant trois mois. Elles prennent sur leurs vacances en cas de fausse couche, car la loi n’accorde aujourd’hui aucun congé en cas de perte de grossesse avant la 23e semaine. De manière générale, Sabine Cerutti-Chabert relève que dans le milieu professionnel « les femmes se retrouvent souvent seules à gérer ces questions. Cela génère un stress important », car la reconnaissance de la maternité au niveau professionnel tarde aussi à arriver. Mais, « c’est une affaire de santé publique qui se doit d’être débattue politiquement », affirme-t-elle encore. Or, « en Suisse, la famille est perçue comme une affaire privée. Le contexte néolibéral appelle à la responsabilisation individuelle », complète Caroline Chautems. 

Sabine Cerutti-Chabert, cofondatrice de la Fondation pour la Recherche en Périnatalité (FReP).

Trois interventions parlementaires, acceptées en 2020 et 2023, sont en consultation au Conseil fédéral afin de réfléchir à l’instauration d’un congé payé en cas de fausse couche et à la gratuité des prestations dès la première semaine de grossesse. Un pas pour accroître la protection des femmes enceintes.

Une autre inégalité à relever, dont les implications sont largement sous-estimées, concerne la reconnaissance des bébés que ces femmes ont perdu. En obstétrique, une femme est considérée comme « nullipare » – n’ayant jamais donné naissance – tant qu’elle n’a jamais accouché après 22 semaines. Pourtant, après 14 semaines, le seul moyen d’expulser le fœtus décédé est l’accouchement par voie basse. Ces femmes ayant dû accoucher avant 22 semaines demeurent donc légalement « nullipares ». Leur accouchement n’est pas reconnu, ce qui équivaut à nier les enfants qu’elles ont portés et désavouer leur deuil.

Avant d’être médical, le problème de la banalisation de la fausse couche est sociétal et grève la perte d’une souffrance encore plus grande. Entre idées reçues, remarques blessantes de l’entourage, sentiment de culpabilité et injonctions à réussir sa maternité, ces différents aspects rendent le deuil périnatal encore plus dur à surmonter.

Cette enquête est réalisée avec le soutien de JournaFonds.