Yverdon-le-Cirque

Par Paul Sernine - Publié le 30 avril 2025

À Yverdon-les-Bains, le conseiller communal indépendant Ruben Ramchurn multiplie les caricatures de ses adversaires dans le cadre d'un débat sur un parking. Ici, le syndic PS Pierre Dessemonter et la vice-syndique verte Carmen Tanner.

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Lorsque je contemple la mascarade grotesque qui tient désormais lieu de vie politique à Yverdon-les-Bains, je ressens une sorte d’amusement amer, mêlé de tristesse et d’irritation profonde. Où sont passés ces débats fougueux mais élégants, ces affrontements d’idées qui donnaient à la démocratie une allure digne et fière ? Autrefois, la parole publique était une discipline exigeante, un art délicat où l’on combattait par l’esprit, l’érudition et la logique. Aujourd’hui, elle s’est réduite à une pitoyable succession de caricatures malveillantes, d’invectives grossières et de sarcasmes faciles. Les bouffons remplacent les tribuns, et les grimaces tiennent lieu d’arguments.

Je relisais dernièrement Edmund Burke (1729-1797), ce grand penseur anglais, prophète éclairé d’une Europe qui se précipitait vers son propre abîme. Sa perspicacité m’a frappé avec force : Burke avait clairement prévu que l’abandon progressif du discours raisonné et modéré conduirait inévitablement une société à céder aux passions les plus basses et aux instincts les plus violents. 

Le visuel d’une affiche présente au centre de la Cité thermale.


En observant notre époque avec cette clef de lecture, je n’ai pu que constater combien il avait eu raison : à force de préférer la moquerie stérile à l’argumentation sérieuse, nous avons engendré une politique de la vulgarité et de la haine, qui dégrade chaque jour davantage la vie publique et brise la confiance citoyenne.

Mais si Burke avait diagnostiqué le mal, Montesquieu (1689-1755) l’avait déjà analysé. Ce génie subtil savait bien que la stabilité d’une société dépend avant tout de la modération et de l’équilibre. Comme Président à mortier du Parlement de Bordeaux, il devait craindre particulièrement la tentation de l’outrance, cette caricature permanente qui exacerbe les antagonismes et réduit la complexité du réel à des slogans absurdes. 

Polarisation sauvage et méfiance universelle

Aujourd’hui, sa mise en garde résonne avec une acuité douloureuse : l’espace public d’Yverdon est devenu un théâtre grotesque où les nuances disparaissent, remplacées par une polarisation sauvage et une méfiance universelle. Les citoyens, au lieu de dialoguer, s’observent désormais avec suspicion, dressés les uns contre les autres par des caricatures déshumanisantes.

Comment ne pas évoquer Joseph de Maistre (1753-1821), esprit fulgurant s’il en fut, penseur implacable du déclin moral et spirituel des civilisations ? Lui n’aurait été nullement surpris par notre décadence présente. Il avait prévu que lorsque le langage se vide de toute substance morale et intellectuelle, le corps social lui-même se désagrège irrémédiablement. Maistre savait parfaitement que l’absence de repères solides conduit inexorablement à une forme de nihilisme narquois, prélude sinistre à la désagrégation complète d’une société. C’est bien là que nous en sommes, à ce point où l’humour corrosif ne sert plus qu’à blesser, diviser et avilir.

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Le spectacle désolant d’Yverdon-les-Bains, qui va se répandre ailleurs, me semble constituer un péril majeur pour notre avenir commun. Loin d’être simplement ridicule ou anecdotique, cette dérive vers la politique caricaturale annonce une véritable crise existentielle pour notre démocratie. Sans un retour rapide à la pensée exigeante, au respect mutuel et au débat éclairé, nous nous condamnons à assister impuissants à notre propre effondrement, minés par notre frivolité et notre aveuglement volontaire. 

Si nous persistons à préférer les grimaces grotesques aux arguments solides, nous finirons par payer très cher ce mépris pour la nuance et la vérité. Alors seulement, dans le silence sinistre qui suivra notre chute, nous mesurerons pleinement la clairvoyance de Burke, Montesquieu et Maistre, ces voix lointaines que nous avions choisi d’ignorer, trop occupés à rire sottement et à tourner en dérision ce que nous avions de plus précieux : notre dignité civique et humaine. Nous nous retrouverons alors condamnés à assister, impuissants et stupéfaits, au spectacle affligeant de notre propre déclin.


A bon entendeur, salut !