Un Dieu, pas de maître

Depuis trois ans, ce journal combat un phénomène étrange que nous avons nommé progressisme autoritaire. Prêts à sacrifier amitiés et confort économique, nous avons dénoncé, mois après mois, les vaches sacrées médiatiques romandes – souvent vertes, à défaut d’être espagnoles – qui imposaient des idéaux indiscutables, relayés par nos médias d’État. Semaine après semaine, nous avons également fustigé les débats du service public qui annonçaient la possible réélection de Trump comme une catastrophe mondiale imminente, soutenus par des plateaux d’experts unanimes. Nous avons défendu le respect dû à nos lieux de culte, à nos traditions et à l’âme de notre peuple. Il fut un temps où nous trouvions même encore l’énergie et le courage de porter la contradiction à la meute des matons de Panurge, insatiables bouffeurs de micros subventionnés.

Parce que la liberté appartient à tous, pas seulement aux non-binaires ascendants végans, nous avons donné la parole à des communautés régulièrement vilipendées par les médias mainstream, jugées trop conservatrices à leurs yeux. Au nom d’une liberté radicale, nous avons dialogué avec des extrémistes de tous horizons, souvent opposés les uns aux autres, et même, parfois, avec des gens normaux. Parce que tout défunt mérite les honneurs, nous osons, dans ce numéro, publier l’un des rares éloges funèbres de Jean-Marie Le Pen, peut-être le seul, que vous trouverez dans les médias romands.

Nous ne faisons pas cela pour provoquer, mais parce que nous sommes libres. Farouchement libres. Nous avons un Dieu – nous l’avons assez dit – mais pas de maître.

Un nouveau culte de l’homme fort

Aujourd’hui, pourtant, il semble que le vent ait tourné. Depuis le début de la décennie, le magistère moral de la gauche progressiste était devenu si insupportable que la réaction ne pouvait être que violente. Symbole éclatant de cette révolte populaire : la réélection de Trump, après le mandat, sinon catastrophique, du moins pathétique, de Biden et de la grotesque Kamala Harris. Mais Trump n’est pas seul. Partout, d’autres figures charismatiques émergent, comme l’Argentin Milei et sa tronçonneuse, pour bousculer les consensus, briser les codes et dégraisser l’État.

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Admettons-le sans hypocrisie : la réélection de Trump nous a fait rire. Beaucoup rire. Comme lors du passage de Le Pen au second tour des présidentielles françaises de 2002, comment ne pas savourer les mines déconfites de ceux qui jugeaient leur victoire inéluctable, tant leur cause se confondait avec celle du Bien ? Comment ne pas tressaillir devant leurs cris d’effroi face au retour de la créature des marais ? Et ne faisons pas la fine bouche : en tant que chrétiens, nous serons souvent mieux respectés par ces nouvelles figures que par ceux qui, au nom du progrès, voulaient brûler ou réécrire nos livres – même les plus innocents –, rééduquer nos enfants à grands coups de drag queens et nous assommer d’Eurovision. Pour la grande masse des gens ordinaires, des valeurs essentielles comme la famille, la liberté d’expression et de culte sont à nouveau respectées, et nous ne pouvons que nous en féliciter.

Mais nous aimons trop la liberté pour fermer les yeux sur l’avènement d’un nouvel autoritarisme.

Certes, le libéralisme autoritaire qui s’impose désormais saura nous caresser dans le sens du poil, mais cela suffira-t-il à nous faire oublier le respect de l’homme, que nous plaçons au sommet de nos valeurs ? « Respect de l’homme ! Respect de l’Homme ! Là est la pierre de touche », écrivait Saint-Exupéry dans Lettre à un otage. Comme lui, nous redoutons plus que tout le refus des contradictions créatrices et l’avènement, en place d’un homme, « du robot d’une termitière. » Guidés par cette vision, nourrie du respect chrétien de la figure humaine, nous ne pouvons que nous opposer au culte de l’homme fort, qu’il s’élève de ce côté-ci ou de l’autre de l’Atlantique.

Le Serment de Rütli, Jean Renggli, 1891.

Notre idéal reste suisse

Notre idéal, envers et contre tout, reste un idéal suisse. Dans ce petit pays, le libéralisme a longtemps su s’allier à un souci du plus faible, sans qu’une bureaucratie soviétique ne vienne ruiner l’énergie créatrice du peuple. Grâce au dialogue social, une certaine paix du travail régnait, et les syndicats – ces mêmes syndicats que Musk méprise – savaient eux aussi chercher le compromis. Loin de vénérer l’homme fort, nous avons su équilibrer les niveaux de gouvernance grâce à un système décentralisé, ce que la doctrine sociale de l’Église appelle du beau nom de subsidiarité.

Vénérer cela, défendre cet exemple qui fait notre force, nous pousse tantôt à soutenir des acteurs libéraux-conservateurs, tantôt à nous rapprocher philosophiquement d’un certain anarchisme quand le bateau dérive vers le libéralisme brutal. On nous reprochera d’être ambigus alors que nous sommes simplement fidèles à notre boussole morale.