Par Raphaël Pomey - Publié le 13 septembre 2025
« Il faut accepter qu’il y ait quelques décès par arme à feu chaque année, malheureusement, pour que nous puissions avoir le deuxième amendement ». Cette phrase, prononcée par Charlie Kirk en 2023, n’en finit pas de tourner depuis son récent assassinat. D’autres propos, visant les gays, les Noirs ou ses opposants, connaissent le même sort : envahir la toile pour prouver que, définitivement, l’influenceur trumpiste était un très sale type. Chez des gens qui ignoraient jusqu’à son nom, de ce côté de l’Atlantique, ses provocations refont surface, comme pour expliquer, sinon justifier, sa fin brutale. Et tandis que son corps est encore tiède, d’autres distribuent les points : oui, il provoquait, mais il était aussi un bon père de famille, chrétien même. Comme si cela changeait quoi que ce soit à la réalité la plus nue : un homme est mort.
Notre époque est malade du « oui mais ». Ce réflexe surgit faute de principes moraux minimaux encore partagés. Lorsque des adolescents meurent sur des scooters, à Lausanne, l’on entend aussitôt : « Oui, c’est triste, mais que faisaient-ils dehors à cette heure-là ? » ou encore : « Oui mais le scooter était volé ». Comme si un vol, une imprudence ou un délit de jeunesse ôtaient la gravité du drame. On oublie que des familles sont en deuil, que nul d’entre nous n’était parfait à dix-sept ans, et que chaque perte nous arrache un frère en humanité – qu’il s’agisse d’un dealer qui s’étouffe, d’un polémiste conservateur ou d’une élue démocrate. La décadence, c’est l’état d’épuisement d’une civilisation qui considère la morale comme un exotisme.
Élevons le niveau du débat !
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Cette réflexion n’a rien de politique, dans le fond. Reconnaître la sacralité de la vie n’équivaut pas à nier la gravité des délits, ni à fermer les yeux sur les trafics, les armes, les idéologies toxiques. Oui, le deal est un fléau. Oui, il faut des lois, des contrôles, des sanctions. Mais rien de tout cela n’ôte cette évidence première que Saint-Exupéry rappelle dans sa Lettre à un otage : « M’enfermer dans quelque passion partisane, je risque d’oublier qu’une politique n’a de sens qu’à condition d’être au service d’une évidence spirituelle ». Cette évidence spirituelle, malheureusement, nous l’avons perdue.
Quand on atténue la gravité du meurtre de l’adversaire idéologique en égrenant ses citations les plus absurdes, on n’ajoute pas de la clarté au débat, on participe à la culture de mort ambiante. Face au nazisme, Saint-Exupéry arrivait encore à écrire que « la vérité de demain se nourrit de l’erreur d’hier, et que les contradictions à surmonter sont le terrain même de notre croissance ». Que je sois en désaccord frontal avec toi ne justifie pas que ta disparition m’indiffère, encore moins que je la relativise. Au contraire, ta différence me rappelle que mon humanité n’est pas complète sans la tienne. « Nous sommes l’un pour l’autre des pèlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le même rendez-vous ».
Cette évocation pourrait tout aussi bien s’appliquer à Melissa Hortman, 55 ans, assassinée en juin dans le Minnesota à cause de ses positions pro-IVG. Sa mort rappelle avec force cette vérité de Saint-Exupéry : « lorsque je diffère de toi, loin de te léser, je t’augmente ». Le rappel des fondements chrétiens de notre civilisation indispose parfois ; alors appelez cela de l’humanisme si vous préférez.
La réponse aux temps troublés dans lesquels nous entrons n’est pas politique. Elle se trouve dans l’évidence spirituelle de la sacralité de la vie, de n’importe quelle vie.