Par Raphaël Pomey - Publié le 8 août 2025
Depuis le début du mois, je lis bien des articles relatant la stupeur, l’incompréhension, voire la consternation que suscitent vos tags sur la Collégiale. Vous serez surpris d’apprendre que je n’entends pas, dans ces lignes, en rajouter une couche. Mon projet est tout autre : prendre vos messages au sérieux et y répondre sur le fond. Car voyez-vous, chers vandales, j’ai le sentiment que votre colère est non seulement mal dirigée, mais aussi truffée de notions contradictoires.
Je m’explique : le premier tag qui m’a frappé est celui qui proclame le mot « antinationaliste », juste au-dessus du marteau et de la faucille de l’antique URSS. La mémoire me joue peut-être des tours, mais il me semble que l’hymne communiste par excellence s’appelait L’Internationale, et certainement pas L’Antinationale. Je pense aussi au slogan castriste « La patrie ou la mort » ou même à Jaurès, qui disait : « À celui qui n’a plus rien, la patrie est son seul bien. » Est-ce que, là aussi, ce n’était pas le véritable socialisme, comme disent toujours ceux qui cherchent à se dédouaner des riants goulags, qui ont pourtant tellement fait pour le réaménagement des canaux moscovites ? Et je ne résiste pas à une ultime gourmandise : attirer votre attention sur la belle fête « nationale et solidaire » que nous ont souhaitée les communistes du POP Vaud le 1er août dernier. Eux aussi n’ont-ils pas compris la doctrine ?
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Mais passons : vous, vous n’aimez pas les nations. C’est votre droit. C’est d’ailleurs aussi le cas du marché, qui se passerait bien de ces archaïsmes qui l’empêchent de se retrouver seul à réguler la vie des gens. Il est vrai qu’ils sont pénibles, ces attachements spontanés et ces traditions qui donnent aux gens ordinaires l’envie de se battre les uns pour les autres, au nom de la communauté. Ce serait plus simple si le quidam ne défendait plus que la possibilité d’acheter le nouvel iPhone avant tout le monde.
Il y a néanmoins une nation qui échappe à votre mépris : c’est la nation palestinienne, dont vous appelez à la libération. Comme catholique, je suis sensible à cette question — moi dont les frères et sœurs ne sont pas moins bombardés que les autres habitants de Gaza, comme l’a montré la récente attaque contre l’église de la Sainte-Famille. Peut-être avez-vous aussi entendu parler des chrétiens de Taybeh, excédés par les violences des colons israéliens : ils peineraient à comprendre que vous défendiez leur cause en attaquant, vous aussi, une église. Malgré cela, vous appelez à « manger le pape », comme vous l’écrivez délicatement en anglais (donc dans la langue de l’empire). N’est-il pourtant pas un allié objectif du combat pour la paix dans la région ? Je connais bien des gens qui lui prêtent des tendances bien trop pro-arabes, dans certains milieux. Et, pendant qu’on y est, pourquoi inscrire ce message sur une église réformée ? Votre GPS révolutionnaire a perdu la connexion, ce me semble.
Chers vandales, ce qui m’attriste, c’est que je crois que vous êtes gentils. Je vous imagine petits-bourgeois, volontiers accros au tofu soyeux et portés sur le kombucha équitable. J’ai d’autres goûts, et j’aimerais boire une ou deux bières avec vous et refaire le monde plutôt que les murs des lieux de prière.
Peut-être parlerions-nous aussi de cette sculpture de David de Pury, pourtant présentée comme une « démarche de conciliation », que vous avez dérobée. Montrer que le négociant n’était pas un saint homme ne vous suffisait pas : il fallait encore effacer un peu plus de mémoire locale, victime de votre désir fou de purification éthique. Permettez une objection : longtemps, j’ai moi-même été allergique à la manière dont notre société glorifiait des personnages moralement discutables. Mais il ne s’agit pas ici de glorifier qui que ce soit, simplement de partager une mémoire commune qui, seule, peut nous permettre de « faire société », comme disent les gens de gauche.
Vous rêvez d’une humanité sans passé, comme on rêve d’un labrador vegan : laissez-moi vous dire que vous rêvez du sujet idéal de n’importe quel publicitaire, de n’importe quel tyran. Vous qui êtes certainement plus radicalement anticapitalistes que moi, ne trouvez-vous pas surprenant de glorifier ainsi l’atomisation marchande ?
En conclusion, j’aimerais m’arrêter sur un dernier message, avec lequel je suis d’accord : celui où vous écrivez que Satan était présent lorsque vous avez maculé la Collégiale. Oh, j’entends bien que vous êtes là dans la provocation anti-bourgeoise (comme si les bourgeois croyaient encore en Dieu !), mais votre message me rappelle une ultime citation de Baudelaire : « La plus belle ruse du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas. »
Vous pouvez bien dénoncer les bigots, mais les nouveaux garde-chiourmes de la pureté morale, c’est vous.
Amicalement,
Raphaël