Par Raphaël Pomey - Publié le 17 mai 2025
Crédit photo: GZZZ/DR
En scrutant les images des célébrations des 150 ans du Tribunal fédéral, un détail intrigue : un drapeau européen trône aux côtés du drapeau suisse. Officiellement protocolaire, ce geste soulève une question plus large sur l’autonomie juridique suisse… et le goût de la soumission.
« Le Tribunal fédéral est le garant d’une justice indépendante depuis un siècle et demi. » Voilà ce que la RTS nous expliquait jeudi soir, à l’occasion d’un reportage annonçant les festivités liées aux 150 ans de notre Cour suprême, basée à Lausanne.
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Indépendante, oui — mais curieusement europhile, lors de l’événement ! Dans un post publié sur Facebook, la présidente du Conseil d’État vaudois, Christelle Luisier Brodard, partageait un groupe de trois photos de la cérémonie. Sur l’une d’elles, on distingue clairement le drapeau européen dressé à l’entrée du Tribunal fédéral, à côté du drapeau suisse. En commentaire, la Broyarde s’enthousiasme : « En ces temps troublés, reconnaissante de pouvoir fêter les 150 ans du Tribunal fédéral, et de souligner l’importance de préserver des autorités judiciaires solides et indépendantes ! Avec notre conseiller fédéral Beat Jans. »
Que les temps soient troublés, nous n’en disconvenons pas — mais à plus forte raison quand une autorité suisse affiche des symboles… troublants. Pourquoi ce drapeau européen ? Est-ce un geste protocolaire, une simple politesse diplomatique, ou autre chose ? Et surtout, dans un contexte de débat hyper sensible autour de la reprise dynamique du droit européen, est-ce vraiment bien senti ?
À cette dernière question, le porte-parole de l’institution Peter Josi ne répond pas. Mais il précise qu’« il s’agit du drapeau du Conseil de l’Europe – pas de l’Union européenne – officiellement adopté en 1955 ». La Suisse, rappelle-t-il, « est membre de cette organisation depuis 1963 ». De « nombreux invités étrangers provenant des pays membres du Conseil de l’Europe » étaient présents pour la cérémonie, et ce drapeau a donc été hissé « en leur honneur ».
Sur le papier, rien à redire. Car oui, c’est le même drapeau : bleu nuit, douze étoiles dorées, cercle parfait. Le Conseil de l’Europe l’a conçu, l’Union européenne l’a repris, et désormais, il est perçu partout comme le drapeau européen. Autrement dit : la confusion est automatique.
Automatique… et peut-être voulue, estime Kevin Grangier, coordinateur romand du mouvement Pro Suisse : « C’est toujours la même réponse avec ces milieux officiels. À chaque fois, on nous dit que c’est le drapeau du Conseil de l’Europe en plus d’être celui de l’Union européenne. Mais cela ne change rien, parce que la juridiction — nous sommes ici au Tribunal fédéral — est suisse et ne dépend pas du Conseil de l’Europe. Ce drapeau n’a donc rien à faire ici. La Suisse est également membre de l’ONU, alors pourquoi ne pas mettre son drapeau ? »
Et de poursuivre : « Symboliquement, la présence des drapeaux suisses et européens dans ce lieu nous dit : les juges étrangers de l’UE peuvent décider au Tribunal fédéral. À la télévision, ce sont les chefs d’État européens qui font cela, en témoignage de leur double allégeance, nationale et européenne, au même titre que nous mettons souvent le drapeau cantonal et fédéral côte à côte. »
Au Tribunal fédéral, en particulier, afficher ces deux drapeaux témoigne selon lui d’une « volonté politique de forcer la main au peuple suisse alors qu’il devra bientôt voter sur l’accord-cadre qui nous soumet aux juges de l’UE ». Protocole ou message masqué ? Chacun jugera. Mais une chose est sûre : même les étoiles dorées peuvent faire des vagues.
Commentaires
Nous avons la chance de vivre dans une démocratie où toutes les opinions, qu’elles soient europhiles ou eurosceptiques, doivent pouvoir s’exprimer librement et dans le respect. Le malaise ne vient donc pas de l’existence d’une opinion contraire. Il vient de ce sentiment diffus — et de plus en plus désagréable — que l’on cherche à nous faire glisser, toujours sous couvert de surplomb moral, vers un ralliement présenté comme naturel, évident, inévitable. Entretenir la confusion entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe s’inscrit parfaitement dans cette logique. Et tant qu’à saluer nos engagements multilatéraux, pourquoi s’arrêter là ? La Suisse est aussi membre de l’ONU, de l’Organisation mondiale de la santé, de l’Organisation internationale de la francophonie ou encore de l’Union postale universelle. Aucun de leurs drapeaux n’a été hissé au Tribunal fédéral. Sans doute un oubli.