Lettre ouverte au pape François
Très saint Père,
Tout d’abord, pardonnez-moi de commenter un livre que je n’ai pas encore eu la possibilité de lire. Tout juste publiée, votre autobiographie Hope s’ajoute en effet à Life. Mon histoire dans l’Histoire (mars 2024) et à une pléthore d’ouvrages issus de conversations sur des sujets qui vous tiennent à cœur : l’écologie, l’humilité, l’inclusion… Ces thèmes, bien que nobles, soulèvent une question centrale : comment concilier une telle prolixité à l’ère des fidèles pressés et souvent débordés par les soucis du quotidien ?
N’ayant pas Netflix, je n’ai pas non plus visionné la mini-série à laquelle vous avez participé, et j’espère que cela ne me sera pas reproché devant Saint Pierre. Quoi qu’il en soit, je m’adresse à vous tel que je suis : un fidèle soucieux de ses devoirs d’état, qui, pour payer son loyer, a dû renoncer à suivre votre rythme éditorial.
Si je prends la plume aujourd’hui, c’est parce que je peine à comprendre votre nouvelle salve d’attaques envers les « tradis », ces fidèles qui ont le mauvais goût de préférer des formes liturgiques où l’on ne danse pas sur les mains et où le silence a encore droit de cité. Ils ne sont pas seuls dans ce cas, je le sais bien puisque je ne viens pas de ce monde, mais il est difficile de ne pas remarquer l’animosité que vous leur manifestez depuis le début de cette décennie. Après avoir restreint leurs libertés de culte avec votre motu proprio Traditionis custodes en 2021, vous semblez désormais sombrer dans l’invective.
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Sans surprise, ce sont les prêtres « tradis » qui subissent vos reproches. D’après les extraits diffusés cette semaine, vous dénoncez une « attitude rigide [qui] va généralement de pair avec des vêtements précieux et coûteux, avec des broderies, des dentelles et des étoles… ». Diantre ! Si ces mots visent à dépeindre une élégance outrancière, peut-être confondez-vous avec les costumes créés par Jean-Charles, marquis de Castelbajac, pour les célébrations de Notre-Dame de Paris ? Pour tout vous dire, ayant passé quelques années dans les structures de l’Église catholique, je n’ai pas constaté que la minorité « tradi » baignait dans le luxe. C’était même plutôt l’inverse.
Mais vous ajoutez : « Parfois, ces déguisements cachent de graves déséquilibres, des troubles affectifs, des problèmes de comportement ou un mal-être personnel qui peut être instrumentalisé. » Certes, ces problèmes existent, mais doit-on condamner toute une famille de croyants pour autant ? Plutôt que de pointer du doigt ces fidèles, pourquoi ne pas étendre la main ? Les défaillances humaines sont universelles, mais l’héritage spirituel que ces groupes protègent reste un trésor pour l’Église.
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On ne fait pas le procès de toute une génération de prêtres marxisants en se fondant sur les défaillances personnelles de l’abbé Pierre. Avec tout le respect dû à votre haute fonction, je dois dire que je trouve votre ton quelque peu insultant. Les « déséquilibrés » en question, si l’on en croit les médias que vous appréciez, ont tout de même attiré 18 000 jeunes au pèlerinage de Chartres l’an dernier ; un chiffre attesté par divers observateurs écclésiastiques. Si vous visitiez ma région, vous seriez peut-être surpris de constater que les jeunes, bien souvent, recherchent ce qui élève l’âme plutôt que des messes expérimentales prisées par vos admirateurs. Sont-ce de « mauvais catholiques », ces jeunes qui se tournent avec révérence vers ce que les siècles leur ont laissé en héritage ?
Vous-même, d’ailleurs, semblez reconnaître que vous êtes un peu dépassé lorsque vous écrivez : « Elle est curieuse, cette fascination pour l’incompréhensible, pour le son mystérieux, qui éveille souvent l’intérêt des jeunes générations. » Oui, elle est « curieuse ». Elle exprime un dégoût pour la marche d’un monde en rupture avec lui-même, qui met à mal l’idéalisme progressiste de votre génération. N’est-il pas sage, par les temps qui courent et par les temps qui viennent, de chercher la présence immortelle du sacré plutôt que de s’abandonner à l’agitation perpétuelle et à l’innovation stérile ? Peut-être affrontez-vous des réactionnaires. J’en suis un. Mais, comme l’écrivait Nicolás Gómez Dávila, le réactionnaire « n’est pas un nostalgique de passés abolis ». Il est celui « qui traque des ombres sacrées sur les collines éternelles. »
Pardonnez-nous ce romantisme. Il est peut-être futile aux yeux de certains autocrates progressistes, mais pour nous il est l’ultime rempart dans un monde devenu trop laid et trop vieux.
Très respectueusement,
Raphaël
Sources:
https://www.lapresse.ca/international/europe/2025-01-14/le-pape-francois-introspectif-et-autocritique-dans-son-autobiographie.php
https://www.benoit-et-moi.fr/2020/2025/01/14/le-pape-qui-hait-la-tradition/
https://tribunechretienne.com/exclusivite-tribune-chretienne-ce-que-dit-le-pape-francois-des-traditionalistes-dans-spera