La HET-PRO face à la radicalisation progressiste

Ce billet est tiré de l’infolettre personelle de l’auteur.

Depuis une bonne semaine, je suis pris dans des échanges de courriels plus ou moins venimeux autour d’une publication d’un de mes anciens professeurs d’université, le théologien Pierre Gisel. Versé depuis toujours dans les questions liées à la religion, j’ai suivi quelques cours dans le domaine durant mon parcours académique. C’était au sein de ce qu’on appelait alors le DIHSR, le département interfacultaire en histoire et sciences des religions, à l’Université de Lausanne. En effectuant quelques recherches pour ce billet, je constate qu’il semble avoir disparu. Quoi qu’il en soit, c’est dans ce cadre que j’ai suivi l’enseignement de Pierre Gisel, avec d’ailleurs un certain plaisir et généralement de bonnes notes. Il faut dire que je savais proposer ce qu’ils voulaient à mes profs : de l’évangéliques-bashing pour Pierre Gisel (souvenir d’un cinq et demi ou d’un six avec un travail très anti-créationniste, du catholicisme canal historique pour d’autres et pas mal de nihilisme en général.

Mon ancien professeur, Pierre Gisel, fait justement parler de lui depuis plusieurs jours avec un papier qui présente la HET-PRO, une Haute École de théologie basée à Saint-Légier, comme « un lieu de radicalisation intra-protestant ». Diantre ! Il faut dire que les diplômés qui en sortent ne semblent pas avoir perdu la foi durant leur cursus, ce qui peut paraître suspect. Plus inquiétant encore, certains songent à répondre au manque de vocations au sein des Églises étatiques avec ces gens. L’on peut comprendre que pour un ponte de l’Université de Lausanne, qui pousse plutôt ses étudiants dans les filets du chamanisme, la chose fasse l’effet d’un choc.

Il ne m’appartient pas ici d’aborder point par point le billet paru dans ThéoRèmes (après avoir été refusé par une autre revue). Dans un communiqué, l’école l’a fait mieux que moi, qui ne suis pas du sérail et ne connais pas le dessous des cartes. Mais il y a quand même deux détails de l’argumentation de Pierre Gisel que j’aimerais aborder, car ils me rappellent ce que subissent aussi les catholiques qui entendent encore transmettre autre chose qu’un doute généralisé.

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Une ouverture à géométrie variable

Dans son papier, Pierre Gisel distingue deux groupes dans l’évangélisme. Il mentionne d’abord « une grande majorité de personnes qui ont été socialisées chrétiennes dans cette mouvance mais peuvent en présenter des formes light, à quoi s’ajoutent des postévangéliques ou en voie de l’être, socialisés dans ce milieu mais entrés sur un chemin réflexif, intégrant donc de la critique (…) ».

Ce passage m’a intéressé parce qu’en creux, il affirme qu’avant d’avoir quitté son milieu, ou du moins d’avoir pris ses distances avec ce dernier, un évangélique ne peut pas entrer dans un « chemin réflexif ». Hors de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), point de salut ? En tout cas, je constate que sous couvert de dénonciation du radicalisme, les caricatures de tout un milieu vont bon train. Ces gens qui professent sans arrêt le goût de l’ouverture (dans le même registre, les catholiques ont un pape qui parle des « périphéries ») ont tout de même une étrange tendance à caricaturer les marges qui ne leur plaisent pas, évangéliques d’un côté, traditionnalistes de l’autre. Et qui s’aventurera à demander un tout petit peu plus de charité pour l’un ou l’autre passera rapidement pour un extrémiste lui-même. Je peux le dire, je le vis depuis trois ans.

Pour avoir un peu fréquenté le milieu des théologiens progressistes, lors de mes années d’études, j’ai le sentiment que l’accusation de radicalisation pourrait largement lui être renvoyée : pourquoi le papier de M. Gisel est-il à ce point autoréférentiel, par exemple ? N’est-ce pas que ce monsieur rechigne à mettre en doute sa propre idéologie ? Pourquoi n’y a-t-il pas une autocritique de leurs présupposés chez ces gens qui tiennent le couteau théologique par le manche depuis des décennies ? J’avais eu, il y a une vingtaine d’années, un prof – en théologie systématique – qui était branché sur « l’érotique de l’absence » : s’est-on demandé si ça poussait réellement des gens à s’engager pour les Églises ? M’est avis que non, car ce petit entre-soi était certain de se confondre avec la science et le progrès et que tout ce qui s’interrogeait poliment sur leur production leur semblait venir des ténèbres.

Mais poursuivons : dans les lignes qui suivent le passage que je citais un peu plus haut, l’auteur décrit aussi « un groupe qui a pris le pouvoir, avec un agenda ». Un groupe, dit-il, « minoritaire, mais actif et stratège et, ces temps, plutôt gagnant. » Vu comme ça, c’est vrai que ça fait peur, mais quand Pierre Gisel dénonce ce fameux groupe qui « a pris le pouvoir », peut-être oublie-t-il de mentionner qu’il s’inquiète en réalité essentiellement de perdre le sien. Derrière la fumée scientifique se cache si souvent une toute triste lutte de territoire…

À la HET-PRO : des fruits contre la stérilité

Les visiteurs de la HET-PRO ont eu l’occasion de découvrir une « radicalisation » comme on en voudrait davantage, samedi 25 janvier. (Image fournie par la haute école).

Je me suis rendu samedi à la HET-PRO. Comme ma nature me pousse à fuir les officialités, je me suis limité à lâcher une vanne gentillette – mais qui a assez mal passé – à un représentant de l’Église réformée avant de passer la plus grande partie de mon temps avec des étudiants dans les espaces détente de l’école (salle de sport et salle de billard). C’est vrai que mes interlocuteurs semblaient tous croire en Dieu, mais pour le reste ils ne m’ont pas particulièrement paru radicalisés. Je pense même que l’anticatholicisme qu’il m’arrive encore de vivre dans d’autres cadres deviendrait un lointain souvenir si tout le monde passait par cette école. J’ai parlé avec un bonhomme de mon âge, très doux et fan de frisbee, qui voulait accompagner les sportifs en Suisse romande, rigolé avec un jeune couple tout paisible appelé au pastorat, retrouvé un copain de muscu, autrefois très radical dans sa foi, et désormais élogieux à propos de la manière dont je vis la mienne. J’ai visité une superbe bibliothèque, comportant davantage de bouquins sur Saint Thomas d’Aquin que chez bien des catholiques pour qui l’idée de la tradition devient malheureusement un repoussoir. Bref, j’ai vu un arbre qui, à la différence de ce que j’ai connu à l’Unil, produit encore des fruits, et des bons.

Transmettre

Cela peut interroger que je défende un milieu que j’ai quitté en embrassant la foi catholique à 26 ans. La raison en est très simple : j’aime, partout, ceux qui se battent pour un sentiment de continuité historique et culturelle. J’aime ceux qui croient qu’une foi peut être d’autant plus belle qu’elle est informée. J’aime ceux qui ne veulent pas accompagner le changement, mais apporter le changement : c’est-à-dire apporter un peu de charité et de ferveur dans un monde qui se meurt de cynisme et de calcul égoïste.

Ma propre foi, à vrai dire, est souvent habitée par le doute. Il y a chez moi un curieux sentiment de nihilisme chrétien, hanté par le sentiment de l’absurdité de toute chose. C’est ce qui fait que je suis toujours un peu fasciné lorsque, comme samedi, je vois des gens pour qui tout semble couler de source. Mais pourquoi les décrire à la manière de radicalisés ? Tant mieux pour eux, et tant mieux pour ceux qui jouiront de leur envie de servir la société.
Dans le fond, une génération livre sa dernière bataille, tant dans le monde réformé/évangélique que chez les catholiques. N’ayant laissé derrière elle qu’un paysage de ruines, elle tente un ultime baroud d’honneur contre ceux qui refusent de voir une fatalité dans la déchristianisation. Le chrétien en moi s’amuse plutôt qu’il ne s’indigne de ces gesticulations, car le temps long aura raison de tout.