« Coup de chance » : les cruelles vertus du hasard

Une femme à la tenue élégante déambule dans les rues de Paris. Soudain une voix douce et masculine l’interpelle : la première interaction entre Maude (jouée par Lou de Laâge) et Alain (interprété par Niels Schneider) se joue. Ils ne s’étaient pas revus depuis le lycée, à New York. Une relation est-elle sur le point de se renouer ? Plus tard, Maude retrouve son petit-ami Jean (Melvil Poupaud) dans leur appartement luxueux. Au fil de leur conversation, elle semble pensive, lointaine : un tel ménage lui correspond-il réellement ? 

Aussitôt la trame amorcée, les spectateurs sentent qu’Allen s’aventure en terre connue : potentiel triangle amoureux, la capitale parisienne idéalisée – comme c’est le cas pour le nostalgique Minuit à Paris (2011), et un humour mâtiné d’amertume. Coup de chance est une œuvre représentative du cinéaste, mais qui introduit une nouveauté de taille : il s’agit d’un film joué en français. Bien que cet aspect mérite d’être relevé, il passe rapidement inaperçu tant ce cadre européen semble convenir à l’auteur. Allen a en effet confessé à de nombreuses reprises sa passion pour des cinéastes comme l’italien Federico Fellini, le suédois Ingmar Bergman ou encore le franco-suisse Jean-Luc Godard. 

Concernant ses influences, le scénario de Coup de chance s’avère un curieux mélange de Truffaut et de Hitchcock. Dans une interview (datant du 3 septembre) accordée au magazine Variety, Allen remarque que l’une des raisons pour lesquelles les films du second sont aussi appréciés est l’omniprésence du glamour : bien que peuplés de meurtres et de trahison, ses films conservent une esthétique agréable, voire séductrice. En d’autres termes, les histoires peuplées de macchabées mêlées à des intrigues amoureuses rendent les œuvres de Hitchcock populaires. Le dernier travail d’Allen suit cette logique : un film à suspense aux relents romantiques, un récit idyllique où la violence et l’horreur affleurent.  

De la comédie au drame : une formule qui capture parfaitement non seulement le style mais aussi l’univers du New-yorkais. Coup de chance n’échappe bien sûr pas à la règle. On y voit évoluer des personnages complexes dépeignant la condition humaine, des individus aux prises avec l’ironie de l’existence. Il offre aux spectateurs des réflexions philosophiques qui enrichissent le scénario. Les blagues et le ton décalé qui parsèment l’histoire suggèrent bien souvent le drame ; Coup de chance est bel et bien un récit tragique, macabre même, mais raconté avec un ton léger – largement exprimé par une musique jazz que Woody Allen affectionne particulièrement. 

Se mariant parfaitement à la bande-sonore du film, l’esthétique sobre et classe contribue significativement à cet univers certes caractérisé par le confort matériel et le prestige de la bonne société parisienne, mais également par la trahison et la tromperie. Le directeur de la photographie Vittorio Storaro (auquel on doit la sublime identité visuelle d’Apocalypse Now(1979)) contribue subtilement à ce drame citadin.   

S’il existe bien une thématique dominante au sein du film, c’est bien celle de la chance (d’où le titre du film). A l’instar de Match Point (2005), considéré comme une des œuvres les plus réussies de Woody Allen, le récit fait la part belle à la prédominance des aléas dans le destin des individus. Ils semblent s’immiscer à tous les moments clefs, faisant basculer inexorablement la marche des événements. On imagine aisément le metteur en scène sourire douloureusement en dehors du champ de la caméra, observant avec une parfaite lucidité les affres de ses personnages. 

En somme, Coup de chance est un travail séduisant, à l’humour parfaitement dosé. Il offre une intrigue certes sombre, mais contée avec douceur. Bien qu’il n’atteigne pas le génie de films comme Annie Hall (1977), Manhattan (1979), ou encore le très original La rose pourpre du Caire (1985), le film jouit d’une intrigue sophistiquée où les rebondissements sont toujours bien amenés. On espère qu’Allen nous offrira de nouveau le privilège de savourer d’autres aventures européennes.