Russophile sans crainte et sans reproche

Guy Mettan, vous avez récemment donné une conférence aux Ateliers de la Côte, à Etoy (VD), qui a fait jaser. On vous accuse notamment d’être devenu un «troll* du pouvoir russe». Cela vous fait quoi?

C’est une accusation qui est assez fréquente à mon sujet. C’est une manière de verser à la fois dans l’insulte et dans l’amalgame, en faisant appel à deux notions taboues, «troll» et «Poutine», qui sont censées faire fuir tous les gens respectables. Il y a deux faiblesses dans ce discours : d’une part, je n’ai jamais rencontré Poutine. Je l’ai croisé dans des événements, mais je ne prends pas non plus mon petit-déjeuner avec lui. D’autre part, quand j’écris sur la russophobie ou sur l’Europe, je ne fais pratiquement jamais référence à des auteurs russes. Je les lis pour savoir ce qu’ils pensent et ce qu’ils disent, mais je ne les cite pas pour ne pas pouvoir être accusé de «trollisme poutinien». Je prends toujours des sources de journalistes d’investigation généralement américains.

Malgré le contexte de la guerre en Ukraine, vous ne cachez pas votre russophilie…

Oui, mais comme je ne cache pas mon américanophilie, ma francophilie, ma germanophilie… J’aime tout le monde. J’ai simplement un rapport particulier avec ce pays depuis l’obtention de la double nationalité au moment de l’adoption de notre fille Oxana. C’est ce qui m’a conduit à le connaître d’une façon particulièrement étroite.

Ces derniers mois, y a-t-il eu un moment où vous avez été tenté de la mettre en sourdine sur ce sujet?

Non, parce que je suis un adepte du vrai journalisme, qui repose sur la transparence. Quand on cache ses liens d’intérêts, on trompe son lecteur. Or ce qui m’horripile, dans les médias installés, c’est que beaucoup de journalistes sont inféodés à l’atlantisme alors qu’ils ne le disent pas et ne le reconnaissent pas.

Peut-être parce qu’ils n’en ont pas conscience, tout bêtement?

Oui, mais c’est tout aussi grave. Si on prétend informer les gens, il faut savoir d’où on tire ses informations ou à quel système de valeurs on se réfère. Moi, j’aime la transparence et c’est pourquoi je n’ai jamais caché ma double nationalité ainsi que les raisons pour lesquelles je l’avais obtenue. Elle n’a d’ailleurs rien à voir avec Poutine puisque c’était Eltsine qui était président à l’époque et qui me l’a accordée.

Avec votre rapport à ce pays, vous avez le sentiment de faire figure d’exception dans les médias romands?

Il y a un ou deux journalistes comme moi mais c’est très rare. Dans l’opinion publique, cependant, les choses sont différentes puisqu’on sent une bonne partie de l’opinion ouverte aux idées critiques et qui ne se contente pas de la soupe de propagande qu’on lui sert habituellement. Comme dans le cas de la crise Covid, je dirais que cela représente un bon tiers de la population. Sur ce tiers, on peut encore descendre à 10 à 15% de personnes qui suivent vraiment l’actualité et qui trouvent les faits que j’expose crédibles. Elles sont en tout cas d’accord que l’unilatéralisme actuel n’est pas acceptable.

Vous faites référence au Covid, dont il est beaucoup question dans votre livre. Autant votre connaissance de la Russie est indiscutable, quoi qu’on pense de vos positions par ailleurs, autant vous vous aventurez là dans un domaine qui n’est pas le vôtre. N’est-ce pas risqué?

Je ne suis ni épidémiologiste ni médecin, en effet. Je suis un citoyen dont le métier consiste à poser des questions puis à juger de la qualité des réponses qu’on lui donne. Quand je constate qu’il y a des choses qui ne collent pas, je le fais savoir. Mais ce n’est pas non plus le cœur de mon livre. Ce que j’ai essayé de dénoncer, c’est la «tyrannie du Bien», qui est multiforme. Il y a la variante de droite qui impose une vision totalitairement économique, néo-libérale du monde, avec son vocabulaire du management. Et il y a la version de gauche, avec tout son verbiage wokiste et antiraciste, qui cherche à imposer le point de vue des minorités à la majorité…

Vous comparez néanmoins le «vaccinisme» à un totalitarisme…

J’étais content que l’on trouve des vaccins, mais je demande pourquoi l’on ne s’est jamais intéressé à ceux des Chinois, des Russes ou des Cubains, citoyens d’un tout petit pays qui en a produit cinq! Une autre chose que la presse aurait dû soulever, c’est que la gestion d’une épidémie est une question politique, et pas uniquement sanitaire, du moment que l’on entrave des libertés fondamentales, de mouvement, de culte, de commerce… Le minimum, dans un tel cadre, aurait été qu’il puisse y avoir un débat. Surtout que pour grave qu’elle ait été pour beaucoup de personnes, cette épidémie n’a pas non plus représenté le retour de la peste noire.

Est-ce que vous assumez le fait d’être devenu l’un des visages du «complotisme»?

C’est la manière actuelle de discréditer n’importe quelle voix critique, même quand elle pose des questions valables. C’est un procédé inacceptable, surtout de la part de personnes qui prétendent défendre la liberté d’expression. Mais c’est plus leur problème que le mien, moi je ne prétends pas avoir la science infuse, juste poser des questions. C’est d’ailleurs par le doute que progresse la science, pas par la certitude.

Votre carrière a été riche, tant du côté journalistique que politique. Est-ce que vous vous radicalisez sur la fin?

Tout ma vie, j’ai été un critique et je n’ai pas l’impression d’avoir beaucoup changé. En revanche, ce qui a beaucoup évolué depuis l’époque de mes études, c’est qu’à l’époque les regards critiques se trouvaient surtout à gauche et à l’extrême-gauche. Aujourd’hui, cette sensibilité a pratiquement disparu comme force d’opposition. Les voix critiques se sont plutôt déplacées vers des nouvelles formes de la droite. Un constat, néanmoins: les critiques de l’atlantisme, ou de l’impérialisme occidental, sont plutôt de droite en Europe et exclusivement de gauche en Amérique latine. Ce constat invite à ne pas fétichiser ces notions de gauche et de droite, qui sont sans doute des repères utiles, tout au plus.

*En langage internet, un «troll» est une personne qui prend de façon délibérée les positions les plus extrêmes pour semer la zizanie dans les discussions en ligne.




Neutralité suisse: la grande cacophonie

Force est de constater qu’il n’hésite plus à mettre les deux pieds dans le plat : livraison de matériel à l’Ukraine, régime de sanctions suisses contre la Russie, mise en commun de notre défense aérienne avec les pays voisins… Chacune des prises de position de Gerhard Pfister sonne comme une sérieuse remise en cause de notre politique étrangère. Tout a commencé au mois d’avril, quand (sur Twitter) il se disait favorable à la livraison de matériel militaire suisse à l’Ukraine par l’Allemagne, une pratique que la loi actuelle sur l’exportation d’armes interdit. Ses déclarations choc se succèdent, à l’image de son discours devant l’assemblée des délégués du Centre le 7 mai dernier, dans lequel il reprochait à la Suisse de «faire le jeu de l’agresseur».

Bien sûr, Pfister ne prône pas un abandon pur et simple de la neutralité, ce qui, au vu des enquêtes d’opinion, serait un suicide politique, une année avant les prochaines élections fédérales. Encore doit-il être en mesure d’expliquer en quoi un pays qui de facto prend parti dans un conflit reste neutre. Ainsi, l’argumentaire du conseiller national zougois oscille entre considérations d’ordre moral – «Aujourd’hui, l’Ukraine défend aussi notre liberté et nos valeurs. Nous ne devons pas rester à l’écart.» – et considérations qui enrobent la morale d’une apparence de realpolitik. Comme lorsqu’il s’exprimait au 19h30 de la RTS, le 22 mai dernier: «La Suisse a l’obligation de se défendre. Lorsqu’il s’agit de l’attaque d’un pays européen, la Suisse doit porter secours à ce pays car lui aussi protège la Suisse en se défendant.»

Une idée dévoyée de la neutralité

Parmi ses critiques, Félicien Monnier, président de la Ligue vaudoise, dénonce une idée dévoyée de la neutralité:«[La neutralité] n’est pas inféodée à la morale, encore moins à une vague appartenance à une prétendue civilisation eurodémocratique», écrivait-il dans une tribune du 24 mai dans les colonnes de 24 heures. Contacté par téléphone, il précise sa position: «Ce qui ressort particulièrement de la rhétorique de Gerhard Pfister, c’est l’idée que ce bloc eurodémocratique auquel nous appartiendrions peut imposer à la Suisse des obligations morales à respecter, respect que la Suisse doit retranscrire dans sa politique étrangère. Comme si nous devions faire la preuve par l’acte de notre appartenance au monde libre, une manière d’admettre que nous appartenons en fait à un bloc.»
Il ne s’agit pas pour l’avocat vaudois de nier toute communauté de destin avec les pays qui nous entourent : «Bien sûr il y a une proximité historique. Nous sommes issus du même moule. Mais cela n’oblige en rien notre petit état très fragile, facilement divisé, au cœur de l’Europe, à prendre parti de manière absolue dans un conflit en raison du fait qu’il appartient à la ʻcivilisation des droits de l’hommeʼ.» Il rappelle également la véritable fonction de la neutralité, conçue comme «un outil de la politique de sécurité de la Suisse lui permettant de garantir son indépendance parce qu’elle, en retour, assure à chacun autour d’elle, qui plus est dans la sphère européenne, qu’elle ne va pas servir à n’importe quel belligérant.»

Le moment est historique pour la Suisse et les conséquences politiques des événements actuels seront nombreuses. Christoph Blocher a déjà annoncé une nouvelle initiative populaire pour inscrire dans la Constitution une neutralité totale…

Pour autant, le positionnement de Gerhard Pfister ne fait pas l’unanimité, même dans son propre parti. Comme nous l’assure son collègue au Conseil national, le centriste valaisan Sidney Kamerzin : «Il a pris cette position sans avoir consulté l’ensemble du parti. Néanmoins, il a le mérite d’avoir lancé un débat crucial sans tabous.» Si pour Kamerzin la reprise des sanctions économiques européennes ne pose pas de problèmes pour la neutralité suisse, il marque néanmoins son désaccord avec certains positionnements de son président de parti : «Pour moi, la législation actuelle qui veut que la Suisse donne son autorisation à toute réexportation d’armes convient. Il faut être très restrictif sur les exportations.» Et le Valaisan d’ajouter: «Quant à dire que la Suisse est directement menacée par le conflit en Ukraine, je crois que c’est une vision trop extensive des dangers qui pèsent sur nous à l’heure actuelle. Le seul danger face auquel nous sommes tout à fait démunis, c’est l’éventualité d’un conflit nucléaire.»Un

Une situation est extrêmement complexe.

Un point demeure tout de même qui met tout le monde d’accord: la situation est extrêmement complexe. De son point de vue de conseiller national, Sidney Kamerzin pose le décor: «Ne pas prendre les mesures, c’était prendre position. Soit on s’alignait sur les sanctions européennes, soit le statu quo permettait d’exploiter notre système à des fins militaires, de trafic de paiements et de ressources énergétiques. Il n’y avait pas de position neutre.» Félicien Monnier reconnaît quant à lui ne pas pouvoir juger de manière définitive les décisions du Conseil fédéral: «Je pense qu’elles ne sont pas bonnes», dit-il, «mais je n’étais pas à leur place. La diplomatie est quelque chose d’extrêmement compliqué. On ne sait, on ne saura probablement jamais, quelle pression ou quelles mesures de rétorsion la Suisse a subies.»

Le moment est historique pour la Suisse et les conséquences politiques des événements actuels seront nombreuses. Christoph Blocher a déjà annoncé une nouvelle initiative populaire pour inscrire dans la Constitution une neutralité totale…