Le patron était-il en droit de renvoyer des clients?

S amedi 13 août, un groupe de Jeunes UDC s’est rassemblé à Bâle dans le cadre de l’assemblée des délégués cantonaux du parti. Après les discussions, une vingtaine de membres ont souhaité se désaltérer dans un bar éphémère, «Ts’Fähri Bödeli». Les jeunes agrariens ne pourront jamais déguster leurs mojitos. «Je suis allé passer la commande en compagnie du président des Jeunes UDC, David Trachsel. Le barman a commencé à préparer les cocktails et nous a demandé de quelle organisation nous faisions partie, nous lui avons clairement répondu que nous étions de l’UDC», relate Sacha Turin, vice-président des Jeunes UDC suisses. Réaction claire, nette et précise du barman, détaillée par le politicien: «Il a alors posé les verres en disant ʻnous ne servons pas des gens comme vousʼ. J’ai pensé que c’était une blague.»

Le gérant du bar «Ts’Fähri Bödeli», Roger Greiner, s’est fendu d’une autre version dans les colonnes de 24 heures, deux jours après les faits: le groupe était un poil trop festif et son comportement ne fonctionnait pas avec l’atmosphère générale du lieu. Toujours selon le patron, qui s’occupe également des réservations, les Jeunes UDC n’avaient pas réservé et son établissement était plein. Il s’en est suivi une bataille d’arguments entre les différents acteurs, par média interposé.

«On ne peut vivre sans discriminer. Discriminer n’a rien d’injuste: les sentiments ne font pas la justice. Vivre ne crée en soi aucune injustice.»

Stéphane Geyres, président de l’Institut Mises France

L’histoire bâloise pose la question de la liberté. La liberté de servir un client, ou pas. Stéphane Geyres, président de l’institut Mises France et fervent défenseur du droit naturel, apporte sa réponse: «Il faut dire clairement que la légitimité d’un acte ne vient pas d’une constitution quelconque, mais du droit de propriété privée, qui devrait lui être supérieur. Ainsi chez soi, le propriétaire – ici le patron – est dans son bon droit de dire ou faire ce qu’il désire, tant qu’il n’agresse pas autrui – ici ses clients. Au-delà, les clients ainsi traités feront autant de chiffre en moins, le droit légitime sera vite remis face à l’intérêt.» Ça, c’est pour la vision anarcho-capitaliste, libertarienne.

Poursuites possibles

Seulement, la loi suisse encadre ce type de cas et pose des obligations. Maître Samuel Thétaz, avocat au barreau et associé chez Metropole Avocats à Lausanne, explique que si les faits sont avérés, ceux-ci sont graves: «Il est licite de refuser l’accès à un établissement public lorsqu’il existe une raison objective de le faire, comme un comportement agressif ou hostile vis-à-vis d’autres clients de l’établissement ou du personnel, des troubles causés ou un non-respect des règles applicables. En revanche, interdire de servir des personnes en raison de leur appartenance politique ou de leurs opinions est sans équivoque illicite et constitue une atteinte illicite à leur personnalité.»

Sacha Turin explique que les Jeunes UDC ne poursuivront pas l’établissement, bien que la loi offre cette possibilité.
«Les clients éconduits devraient, pour pouvoir contraindre à se faire servir, saisir un juge civil d’une action au sens des art. 28 et suivants du Code civil, à teneur desquels celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe (art. 28, al. 1, CC)», informe Samuel Thétaz. Il souligne toutefois le fait qu’une telle démarche serait compliquée: «Naturellement, dans les faits, personne ou presque ne s’engagerait dans une telle action, en raison des coûts et de la lourdeur de la procédure. Il faudrait des courageux qui ouvrent la voie, et j’espère que ces jeunes le feront.»

«Vivre c’est discriminer»

Que ce soit pour des raisons d’orientation politique, de comportement en inadéquation avec l’ambiance du lieu, ou tout autre prétexte, le cas du bar bâlois peut relever de la discrimination. Stéphane Geyres précise le sens qu’a ce terme, du point de vue anarcho-capitaliste: «Vivre, c’est agir, décider, choisir. Choisir, c’est discriminer ceci en faveur de cela. On ne peut vivre sans discriminer. Discriminer n’a rien d’injuste: les sentiments ne font pas la justice. Vivre ne crée en soi aucune injustice. Mieux, c’est en discriminant les mauvais producteurs pour préférer les meilleurs que chacun contribue à la prospérité commune. Pas de prospérité sans discrimination.»




forum d’économie planifiée

Le Forum économique Mondial de Davos vient de se terminer. Nous n’avons pas réellement eu l’occasion de lire beaucoup d’articles intéressants à son sujet dans les médias main-stream. 20 Minuten, toutefois, a fait preuve d’une certaine créativité en partant dans les méandres des annonces en ligne pour nous apprendre qu’un «appart’ à 18 000 francs la nuit» tendait les bras aux conférenciers ou qu’une chambre «sans salle de bains» s’y négociait à 10 000 francs la journée. Peut-être le seul exemple d’une économie de marché réelle durant cet événement.

Il faut dire que pour certains, comme Stéphane Geyres, président de l’Institut Mises France, le WEF n’a rien à voir avec une cérémonie dédiée au libéralisme ou au capitalisme: «Le Forum n’est que La Mecque d’une ploutocratie (oligarchie de la richesse indue) galopante n’ayant rien à voir avec la Liberté. Le capitalisme véritable, c’est notre boulanger du coin de la rue, celui qui risque la faillite si son pain ne nous satisfait pas. On y est libre d’entreprendre et de s’enrichir, mais parce qu’on y est aussi libre d’échouer. Échouer y est fréquent parce qu’on n’y reçoit aucun privilège ni aucune subvention accordée par quelque État. Où sont les authentiques entrepreneurs à Davos? Je ne vois que des mercantilistes masqués.»

«Le Covid est crucial car c’est ce qui convainc les gens d’accepter, de légitimer la surveillance biométrique»

Yuval Harari,auteur de Sapiens

Plus grave, les médias grand public ont largement fait l’impasse sur des propos tenus lors des diverses conférences, dont trois, particulièrement effrayantes, relevaient carrément de l’apologie du totalitarisme.

Surveillance et rationnement

On commence avec la déclaration de Yuval Harari, auteur du best-seller Sapiens: «Le Covid est crucial car c’est ce qui convainc les gens d’accepter, de légitimer la surveillance biométrique totale. Si vous voulez stopper cette épidémie, vous n’avez pas seulement besoin de surveiller les gens, vous devez surveiller ce qui se passe sous leur peau.» Une deuxième pour la route? C’est parti avec le président du groupe Alibaba, J. Michael Evans. Ce charmant personnage s’est vanté de la mise au point d’un «traceur d’empreinte carbone individuel» permettant de surveiller ce que vous achetez, ce que vous mangez ou encore où et comment vous voyagez. La société libérale paraît bien lointaine…

Pour terminer ce petit catalogue, on ne peut s’empêcher de citer Julie Inman Grant. La commissaire (déjà, tout est dans le titre) australienne chargée de l’e-sécurité s’est attaquée à un des piliers, si ce n’est LE pilier du libéralisme: la liberté d’expression. Elle a déclaré que cette dernière devait être «recalibrée». Une déclaration qui fait bondir Stéphane Geyres: «Parler de «liberté d’expression recalibrée» n’est autre qu’un déni de Liberté. Tout «oui, mais» à la liberté est toujours contradictoire. Jordan Peterson nous l’a rappelé avec raison: accepter le débat, c’est prendre le risque de la contradiction. Comme vivre, c’est accepter le risque de vivre, «recalibrer» la liberté d’expression, c’est recalibrer la Vie. Qui peut donc oser se prendre pour ce dieu qui pourrait recalibrer nos vies?»

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