« On veut réveiller les consciences »

Depuis quelques jours, les médias s’extasient devant l’ouverture de La Quequetterie à Lausanne et les autorités municipales s’en amusent (voir notre édition précédente): vous, de votre côté, écrivez à la société exploitante pour demander l’interdiction aux moins de 18 ans. Serait-ce que vous vous sentez une âme de Don Quichotte?

Don Quichotte se battait contre des menaces fictives, alors que nous sommes au contraire profondément dans le réel. Des adolescents fréquentent cet établissement et sont placés devant des sollicitations à tendances pornographiques, ce qui n’est ni acceptable ni en accord avec un article explicite du règlement général de police de la ville de Lausanne, comme vous l’avez écrit vous-mêmes.

Vous n’avez pas la crainte de crier dans le désert en demandant un filtrage des clients, alors que cet établissement drague précisément les jeunes?

A l’UDF, nous n’avons pas pour habitude de courber l’échine. Alors on peut nous dire que nous crions dans le désert, mais l’histoire de Jean le Baptiste nous montre qu’à force, on finit parfois par être entendus. Nous voulons réveiller les consciences. Il y a du reste une importante masse silencieuse de personnes dans la population, pas forcément chrétiennes, mais qui n’ont pas encore renoncé au bon sens, et qui n’en peuvent plus de ce genre de dérives. Certains essaient de se rassurer en se disant que ça ne durera pas, que cet établissement fermera rapidement. Nous, nous estimons qu’il faut combattre, avec les armes du droit.

Dans notre dernière édition, la Municipalité lausannoise s’est contentée de nous répondre qu’il fallait croquer dans la brioche, si nous voulions faire disparaître l’atteinte à la «décence» que le propre règlement de la Ville interdit. Cela vous choque, comme réponse?

Quelque-part, c’est l’attitude générale que les gens ont face à ce qu’ils ne maîtrisent plus. On ne veut pas entrer en conflit avec une chose qui nous dépasse, et contre laquelle on n’a pas les armes intellectuelles. Ce n’est pas vraiment de la délinquance, il n’y a pas d’agression dans la rue, juste une réalité qu’ils n’arrivent plus à situer sur l’échiquier moral.

Êtes-vous optimistes quant à vos chances de succès, seuls?
En tout cas nous allons aller jusqu’au bout. Sans réaction de la société qui exploite cette pâtisserie, dont nous avons la confirmation qu’elle a reçu notre missive, nous passerons à la plainte en bonne et due forme. A ce moment-là, les autorités seront obligées d’expliquer à la population ce qui, de leur point de vue, relève ou non de la décence et de la morale mentionnées dans l’article de règlement qu’elles devraient faire respecter. Nous espérons en outre trouver des alliances du côtés des voisins de l’établissement, ainsi que du côté de certains élus UDC lausannois. Au bout du compte, nous ne serons sans doute plus si seuls que cela à nous opposer à ce que nous considérons comme des sollicitations à caractère pornographique.




Effondrement

Au premier rang de ces derniers, la tension permanente entre la liberté et la morale. Parmi les plus réfractaires à l’omniprésence d’annonces dans la rue, nombreux sont ceux qui réclamaient leur droit à la «décolonisation de leur imaginaire». Une liberté contre une autre, pourrait-on dire. Ce type de revendications justifie en effet, depuis des années, la lutte engagée par Lausanne, puis plus récemment par le canton de Vaud dans son ensemble, contre la publicité sexiste.
Depuis deux semaines, sans qu’aucun imaginaire soit visiblement colonisé, il est possible d’acheter à Lausanne des gaufres en forme d’organes génitaux dans une échoppe spécialisée. Qu’une adolescente gobe une sucrerie en forme de pénis ou qu’un garçon en pleine mue dévore un simili-vagin fluo, la presse unanime crie désormais au progrès. Dans l’un des nombreux reportages extatiques de nos confrères, de La Télé en l’occurrence, il nous a même été donné de découvrir une cliente jugeant que «c’est maintenant ou jamais» qu’il fallait faire ce genre de choses, tandis que son ami y voyait une occasion tombée du ciel d’«en finir avec les tabous autour des pénis et des vulves». Étranges tabous que ceux dont la classe médiatique est unanime à saluer la disparition sous prétexte d’une énième libération à mener.

Nous l’avons déjà dit, au Peuple, nous n’aimons pas beaucoup l’inflation juridique et, donc, étatique. Il n’en reste pas moins que les lois approuvées par la population ou ses représentants doivent être appliquées lorsqu’elles existent. Se pose donc la question du sort à réserver à un commerce qui, de façon assez évidente, contredit un règlement lausannois – le Règlement général de police – censé protéger «la décence». Bien sûr, on nous dira que cette notion évolue avec les mœurs. Reste qu’à moins d’admettre la réalité de l’épuisement civilisationnel en cours, on ne voit pas quelle vision du sacro-saint «vivre-ensemble» peut encore être respectée quand la transgression devient la norme.




Des gaufres pornos aux limites du légal

Il faut d’abord se représenter un établissement rose bonbon, doux mélange de parc d’attractions fetish et de garderie: «La Quéquetterie», à quelques encablures de la gare de la Capitale olympique. Un lieu où résonnent les gloussements des clients, essentiellement des adolescents armés de leurs portables. Car ces mineurs ne se rendent pas uniquement sur place pour boire et manger. Non, pour ces jeunes férus de réseaux sociaux, le projet consiste tout autant à se prendre en photo devant une représentation de pénis triomphant, dans une pièce spécialement conçue à cet effet. Aux murs, des messages sans ambiguïté: «A prendre ou à lécher», ou encore «Ouvrez grand la bouche». Sans être particulièrement spécialiste de sex-shops, difficile d’imaginer un magasin pour adultes comme «Magic X» aller aussi loin dans sa communication. Quand bien même, d’ailleurs, lui est destiné… aux adultes.

Au milieu du mois dernier, plusieurs médias romands ont célébré l’ouverture du nouveau «corner» de cette franchise française, à la Rue du Midi, près de la gare de Lausanne. Le ton: généralement fun et décalé. Et le Blick, par exemple, de narrer la «queue» de clients «impatient de croquer dans des bites et des chattes». Sans oublier le «haut potentiel instagrammable» (ndlr: la possibilité de générer beaucoup de petits cœurs d’approbation sur les réseaux sociaux) des lieux. Reste un éléphant dans le corridor: l’activité même de ce commerce respecte-t-elle réellement le cadre légal posé en ville de Lausanne ? Le règlement général de police prévoit en effet la chose suivante: «En tout lieu à la vue du public ou accessible à celui-ci, il est interdit d’exposer, de vendre ou de distribuer des objets de nature à blesser la décence ou à offenser la morale, notamment des écrits, des images ou des enregistrements sonores ou visuels.»

Il s’agit de pâtisseries. Nous n’avons pas reçu de plaintes. Cas échéant une bouchée réduirait l’éventuelle atteinte à la décence

Pierre-Antoine Hildbrand, conseiller municipal de Lausanne PLR.

Une bouchée et puis s’en va

Vendre des gaufres en forme de «quéquettes» ou de «foufounes» à des ados heurte-t-il la morale? Pas facile de trancher du point de vue de toute une collectivité, tant ces mets séduisent la presse avec leur caractère «mignon» et «décalé». Reste qu’à Angers (F), l’an dernier, une pétition en ligne a été lancée pour s’opposer à l’installation d’une «Quéquetterie» à proximité d’une école. Mais pas de quoi affoler les autorités de la quatrième ville de Suisse: «Il s’agit de pâtisseries. Nous n’avons pas reçu de plaintes. Cas échéant une bouchée réduirait l’éventuelle atteinte à la décence», ironise le municipal lausannois de l’économie et de la sécurité, Pierre-Antoine Hildbrand.

Et c’est tout? Pas sûr. Un coup d’œil au menu révèle ainsi l’existence de gaufres répondant au sobriquet de «sugar mummy» (ndlr: une variante de la «cougar»), «happy bite day» ou «hot dick». On vous passera les traductions sur les deux dernières, au cas où le journal trônerait sur la table du salon. Toujours est-il que ce sont là des appellations qui indiquent bien le ton résolument frontal de la communication de l’endroit. Selon divers spécialistes du droit contactés par Le Peuple, dont Maître Samuel Thétaz (lire également en page trois), les friandises coquines de «La Quéquetterie» ne devraient pas être visibles de la rue, notamment à cause des enfants. Quid des ados? Voici un joli casse-tête en perspective. Une différence de traitement est également dénoncée entre le sort réservé aux publicitaires, sous haute surveillance à Lausanne, et la grande liberté accordée aux spécialistes des gaufres pornos. Un autre enjeu qu’une seule bouchée ne suffira pas à faire disparaître.

Selon nos informations, des démarches individuelles sont déjà envisagées pour appeler les tenanciers de l’établissement à une exposition moins frontale à la pornographie pour leurs jeunes clients.