Les causes sacrées de la discorde

«One Love», c’est ce que qu’avaient annoncé plusieurs fédérations de football européennes en septembre dernier en vue de la Coupe du monde de football au Qatar. Malheureusement pour elles, la FIFA a annoncé, juste avant le match Angleterre-Iran, que les équipes qui porteraient le brassard frappé du slogan et des (incorrectes) couleurs arc-en-ciel en soutien aux personnes LGBT+ seraient frappées de «sanctions sportives». Par ce terme, on n’entend pas de simples amendes mais bien un carton jaune dès le début du match pour les joueurs de balle au pied un peu trop rebelles. Les sept fédérations européennes qui prévoyaient de montrer leur soutien (l’Angleterre, le pays de Galles, la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse) ont alors rapidement fait demi-tour et décidé d’abandonner leur signe de soutien.

Adrian Arnold, responsable de la communication de l’Association suisse de football (ASF), justifie le choix d’abandonner le signe de soutien: «En tant que fédération nationale, nous ne pouvons pas mettre nos joueurs dans une situation où ils risquent des sanctions sportives, y compris l’expulsion. C’est regrettable, parce que nous voulions faire passer un message positif.» Il promet cependant de reprendre le combat pour l’inclusivité, une fois l’événement qatari terminé: «Nous ferons passer ce message à l’extérieur à d’autres occasions. Cette décision de la FIFA ne change rien à nos valeurs. Nous défendons le respect, la tolérance et la solidarité.»

Un brassard peu précis

Ce volte-face de la FIFA est considéré comme «ridicule» par Roman Heggli, secrétaire général de Pink Cross, l’association faîtière des organisations gays en Suisse: «Premièrement, le brassard a déjà été critiqué au préalable parce qu’il est absolument apolitique et n’utilise pas les bonnes couleurs de l’arc-en-ciel. Le lien avec les personnes LGBT+ doit donc être recherché. Mais même ça, c’est trop pour la FIFA!» Il reste moins sévère avec l’ASF: «D’une certaine manière, je peux comprendre que l’équipe nationale suisse s’incline, car la décision de la FIFA est prise à court terme. Je me pose plutôt la question suivante: pourquoi les associations de football se laissent-elles faire et se laissent-elles mener par le bout du nez par la FIFA? Il est donc bien plus important que les fédérations interviennent auprès de la FIFA et exigent des changements structurels ou quittent la FIFA.»

Une organisation bien silencieuse

La FIFA a plié face à l’organisateur mais va certainement inciter à porter le brassard d’ici quelques semaines. On peut dès lors se demander si la fédération utilise les personnes LGBT+ comme faire-valoir moral, sans réelle conviction. Une piste que n’ignore pas Roman Heggli: «La FIFA a toujours été indifférente aux personnes LGBT+ et continuera malheureusement à l’être. Il n’y a pas d’autre explication au fait que la Coupe du monde 2018 ait eu lieu en Russie et la Coupe du monde 2022 au Qatar. Et il n’y a toujours pas de mesures réelles pour soutenir les footballeurs professionnels queer et combattre l’hostilité LGBT+ dans le football.» Les enjeux LGBT+ ne sont d’ailleurs pas les seuls thèmes habituellement très prisés par la FIFA qu’il valait mieux ne pas trop aborder lors de la Coupe du monde. Les actes de protestation en faveur des droits de l’homme en général, sur les pelouses ou dans les gradins, ayant été accueillis avec une certaine fraîcheur par les autorités qataries.

Contactée par courriel, la FIFA n’a pas donné suite aux questions que nous souhaitions lui poser, à savoir si elle avait cédé suite à des pressions et, si tel était le cas, de la part de qui.

Pour conclure, soyons rassurés, les Verts veillent au grain dans cette affaire. Le parti écologiste a fait preuve d’une bravoure inouïe en déclarant vouloir déposer un texte au Parlement fédéral demandant que la FIFA soit imposée au même titre que n’importe quelle entreprise de sa taille. Est-ce que cela va fonctionner comme avec le CO2, soit demander plus de taxation pour réparer le monde?




Lutter contre la violence, batte en main

«Don’t you dare!», soit «n’y pense même pas», en français. C’est le message d’un visuel de l’organisation Pink Cross, diffusé sur son site et sur les réseaux sociaux. Le projet: inviter les personnes queers à une formation à l’autodéfense sur deux jours, organisée fin octobre au centre sportif des Bergières, à Lausanne. Seul petit hic, le visuel retenu pour faire la promotion de l’événement est plutôt douteux, avec la présence d’une batte de base-ball — rien que ça — dans les mains d’une personne manifestement queer et déterminée à ne pas se laisser attaquer dans la rue. «Nous faisons évoluer la société grâce à notre activisme politique, mais cela prend du temps. Mais nous pouvons aussi apprendre à mieux nous défendre nous-mêmes», souligne Pink Cross sur son site. Projet très vertueux, certes, mais au point de manipuler un objet pouvant être considéré comme une arme? «Je vous rassure, nous n’apprenons pas à utiliser de batte dans ces cours, rigole Gaé Colussi, porte-parole. Nous voulons surtout apprendre à repérer les lieux, avoir l’air sûr de soi même quand on ne l’est pas, sans tomber dans le straight acting (ndlr: se déguiser en hétéro turboviril et sûr de lui).» De fait, le visuel n’est pas nouveau, mais c’est la première fois qu’il apparaît en Suisse romande, où ces cours font leur apparition cette année. Les techniques d’autodéfense semblent essentiellement inspirées du krav-maga.

«Je pense que ça répond à une impression et aussi à un besoin», réagit un membre d’une association partenaire de Pink Cross. «Impression car il y a de plus en plus de mentions de personnes LGBT+ dans les médias ou sur les réseaux sociaux qui se font agresser, soit verbalement soit, surtout, physiquement. Du coup, à mon avis, naît un besoin de se dire: ʻSi je me fais agresser, je veux savoir me défendre et pas uniquement me mettre en position latérale de sécurité pour subir les coupsʼ». Il juge néanmoins l’image «discutable», sans non plus crier au scandale. Reste que l’on peut se demander comment elle aurait été perçue dans le contexte d’un cours d’introduction à l’autodéfense destiné à n’importe quelle autre catégorie de la population. Des membres d’un parti de droite, par exemple…

Contactée, la Police Municipale de Lausanne ne fait pas de commentaire. L’événement tel qu’organisé ne demandait pas d’autorisation officielle, et ne suscitait pas d’analyse particulière sur son visuel.