Après la crise, l’épuration

C’est le genre de reportages que l’on aimerait écrire à la manière d’une plongée dans un tripot clandestin de l’ère de la prohibition, au milieu des volutes de cigares, avec des mines patibulaires de mafieux dans tous les coins. Pourtant, c’est à un rendez-vous très relax dans un caveau d’une grande ville vaudoise que nous nous rendons, ce jour-là, une belle bouteille de chardonnay italien bien fraîche sur la table. Notre hôte, du reste, n’a pas grand-chose à cacher. Oui, il a fait usage de vrais-faux pass Covid, français et suisse, obtenus sans passage par la case piqûre, moyennant quelques centaines de francs. Un peu par défiance envers le climat d’infantilisation générale, un peu à cause de doutes autour des bénéfices liés à la vaccination: «La plus belle décision de ma vie, explique le jeune businessman. Plus tu m’enlèves des libertés, plus je vais dans le sens inverse.» Si son niveau de vie le met à l’abri de conséquences graves liées à une probable condamnation, notre rebelle digère mal plusieurs choses: le fait qu’une dénonciation anonyme soit à l’origine de ses tracas, et que l’enquête qui le concerne ait provoqué une descente chez un proche. «Une véritable débauche de moyens», dénonce celui qui n’attend qu’une chose : découvrir qui l’a «balancé», et lui pourrir la vie tant qu’il en aura la possibilité.

Une vaste campagne de répression

Comme lui, Bruno* est dans le collimateur de la justice vaudoise depuis quelques semaines. Non seulement pour avoir possédé un faux passeport, mais aussi pour avoir permis à d’autres d’en acquérir en «mettant des gens en relation», comme il le dit avec un certain art de la litote: «Je ne l’ai pas fait pour l’argent, mais pour briser des chaînes», annonce-t-il tout de go. Il précise que les policiers qui se sont occupés de son cas durant une perquisition à son domicile, avec politesse et professionnalisme d’ailleurs, lui auraient glissé qu’une action «forte et coordonnée» avait été exigée en haut lieu pour faire tomber les gens comme lui.

«En tant que petit-fils d’un Juste parmi les nations, je pense que la postérité reconnaîtra à ces personnes les mêmes mérites qu’aux personnes telles que mon aïeul»

Ruben Ramchurn

«En tant que petit-fils d’un Juste parmi les nations, je pense que la postérité reconnaîtra à ces personnes les mêmes mérites qu’aux personnes telles que mon aïeul», s’enthousiasme l’UDC Ruben Ramchurn, figure la plus «sans filtre» de la contestation des mesures Covid depuis 2020, et qui se voit lui-même, avec la procédure qui le touche, comme un «pionnier».

Co-fondateur du Mouvement Fédératif Romand, qui demande l’abrogation de la loi Covid, Daniel Rousseau dénonce lui aussi une contre-offensive «disproportionnée» des autorités. Son inquiétude porte en particulier sur des descentes qui viseraient des professionnels de la santé (voir encadré), soupçonnés d’avoir délivré des certificats de complaisance pour permettre à diverses personnes d’échapper au port du masque: « On entre dans une ère sans précédent. J’ai exercé la fonction de DRH pendant plus de dix ans et j’en ai vu des certificats de complaisance, mais jusqu’à présent, on n’avait jamais vu de perquisitions pour de tels motifs. Sans parler de l’acharnement de l’État contre de nombreux médecins suspectés de ʻpropagande antivaxʼ.»

Contactée, la Police cantonale vaudoise nous confirme que les autorités de poursuite pénale vaudoises (police et Ministère public) sont chargées d’une dizaine d’enquêtes portant sur la confection et la remise de faux certificats Covid. Les premières remontent à l’été 2021.

Depuis, des actes de procédure ont été accomplis régulièrement mais ces affaires sont, logiquement, en diminution depuis l’abolition de l’exigence du certificat Covid en février 2022. Une réalité statistique qui ne signifie toutefois pas qu’un tour de vis visant les contestataires les plus remuants de la crise serait totalement improbable, estiment certains opposants à l’obligation vaccinale. Il n’y a toutefois «pas d’action coordonnée entre les cantons», précise la police… à part pour des cas dans lesquels des actes auraient été commis dans plusieurs cantons, «qui exigeraient entre les autorités concernées une certaine coordination».
Et la Polcant de conclure: «Dans le canton de Vaud, les perquisitions, au nombre d’une dizaine, n’ont eu lieu que chez des personnes soupçonnées d’avoir fabriqué ou remis des faux certificats. La seule possession, en tant que ʻbénéficiaireʼ, d’un faux certificat, ne justifie en principe pas une telle mesure.»

L’émotion d’une psy

À Berne, c’est une psychiatre, Ruke Wyler, que nous avons rencontrée récemment sur une terrasse de la capitale. Elle souhaitait y témoigner d’une récente «visite» policière sur son lieu de travail, laquelle a heureusement eu lieu en l’absence de clients. Une démonstration de force à laquelle elle ne s’attendait pas et qui l’a choquée: «Il y avait trois agents de police et un juriste de la Direction cantonale de la santé.» En bas du bâtiment, «5 à 7 policiers armés, une rue plus loin un véhicule avec 20 autres», selon son récit. Tout ça pour quoi? Pour démêler le vrai du faux à propos de dispenses de port du masque délivrées à une septantaine de personnes, dont une vaste majorité d’enfants. «J’ai constaté une augmentation des descentes depuis deux mois: une dizaine de mes connaissances, toutes médecins en Suisse alémanique, ont été touchées.» Avec un objectif, à ses yeux, qui ne souffre aucun doute: «Museler ceux qui ne croient pas aux mesures destinées à lutter contre le Covid.»

*nom connu de la rédaction