Chasse à l’homme blanc

Des scènes de bagarre, des courses à moto et des justiciers qui triomphent héroïquement du mal… Ainsi imaginait-on encore, voilà trente ans, à quoi devait ressembler une chasse à l’homme. Et pourtant: figure détestable en postmodernité, l’adulte blanc subit de tout autres tourments, plus policés sans perdre de leur efficacité. Au nom de la diversité, le voilà désormais visé par des pétitions – pour «décoloniser» la littérature, le plus souvent – dans certaines universités soumises à la dictature woke. Qu’un génie ait peu ou prou suivi les idées de son époque sur un sujet ou un autre, voilà encore sa statue déboulonnée dans l’espace public. Et en page deux du journal que vous lisez, vous découvrirez encore le sort que lui réserve désormais la Migros. Celui du plouc, de l’immature, du quasi-consanguin, tout juste bon à hurler avec ses copains à propos de football. Qu’il serait bon, nous dit une jeune fille dans une publicité, d’avoir autre chose comme modèles sportifs «que des Blancs et des vieux»… Pas un appel à la haine, certes, mais tout de même d’une inélégance rare lorsqu’il s’agit paradoxalement de célébrer la diversité. Les Blancs sont-ils tant surreprésentés dans les équipes nationales pour mériter un tel sort?

Il ne s’agit pas pour nous de répondre à un excès par un autre. En dénonçant une «chasse à l’homme blanc», nous n’appelons en tout cas pas à répondre par la bêtise symétrique qui consisterait à nous montrer obsédés par la couleur de peau de ceux qui, parmi nous, viennent d’autres horizons. Simplement, nous ne comprenons pas en quoi l’on devrait accepter que le Blanc, parce qu’il est encore majoritaire dans son pays, puisse être davantage raillé qu’un autre à propos de ce que l’on appelle en philosophie un accident. Quelque chose qui fait partie de nous, mais qui n’est pas fondamental, pour dire les choses rapidement. Car en se moquant des «vieux Blancs», même pour vanter les mérites de l’inclusivité, l’on ne fait finalement que reproduire la pensée que l’on prétend combattre, et qui voit des adversaires là où devraient apprendre à cohabiter des égaux.




Migros a mal négocié son virage woke

Avec son refus de vendre de l’alcool, ses produits «vintage» et son culte du fondateur Gottlieb Duttweiler, Migros a longtemps constitué l’une des incarnations du conservatisme «soft» à la suisse. Au même titre, par exemple, que les humoristes d’État pas drôles, les souris grises de parlements et les people lisses comme des peaux de bébé. Revendiquant un héritage idéologique toujours fécond, la boîte ne cite-t-elle pas encore sur son site les quinze thèses fondamentales du fondateur de la société et de sa femme Adele? En voici un aperçu pour ceux qui les méconnaissent: «servir dans le sens le plus croyant du mot, c’est-à-dire en ayant foi dans ce qu’il y a de bon en l’homme» afin «de témoigner sa foi en Dieu». Ou encore l’idée que «le cœur de la femme est le sanctuaire où se maintiendra le mieux notre patrimoine spirituel». Ce bien joli folklore semble hélas avoir pris du plomb dans l’aile. Car désormais le géant orange célèbre les «révolutions sociétales», le «vivre-ensemble» et les repas pris devant la télé, pour ne citer que des exemples réels issus de la page «Migros Engagement».

Le mâle incarné

Or depuis quelques jours, la coopérative semble carrément avoir effectué un virage woke avec une publicité qui ne laisse pas indifférent sur les réseaux sociaux. On y voit deux adolescentes, jouant avec des figurines de foot, se réjouir que des représentations de femmes figurent dans leur assortiment, et «pas que des Blancs et des vieux» selon les termes de la protagoniste… blanche. Une catégorie honnie vers laquelle se tourne alors la caméra, bien que les mâles en question, évidemment dans une pose ridicule, semblent plutôt avoir la trentaine.

«Le débat ici devrait plus se focaliser sur l’aspect de genre que sur celui de la couleur de peau, pour lequel le foot fait déjà office de modèle, surtout dans le monde francophone.»

Tristan Cerf, porte-parole de Migros

«Pas grave, les Blancs iront à la Coop», s’insurge un internaute, tandis que d’autres affirment ne jamais avoir vu de publicité aussi mauvaise. Parmi ces indignés, Heinrich Ariss: convaincu que le «grand remplacement» des populations européennes est en cours, encouragé par de tels spots, ce quinquagénaire romand a tout bonnement décidé de renvoyer sa carte Cumulus à la Migros avec une lettre annonçant le boycott de ses filiales. «On fait face à une attaque constante contre les «vieux blancs» accusés de véhiculer une masculinité toxique. Dès lors, étant directement visé, je préfère aller m’approvisionner ailleurs.» Sans espoir de lancer un grand mouvement révolutionnaire, il espère que d’autres suivront au sein de la «masse silencieuse» qui subit perpétuellement ce type d’attaque.

Un choix douteux et des ratés

Mais qu’a réellement cherché à faire Migros? «Célébrer la diversité», évidemment, mais pas sans une succession de couacs qui a fait tourner toute l’affaire en eau de boudin. «En allemand, les deux jeunes filles de la vidéo disent ʻnicht nur alte weisse Männerʼ», explique Tristan Cerf, porte-parole, «alors qu’en français, elles se contentent de dire ʻet pas que des Blancs et des vieuxʼ. L’effet d’humour voulu perd en effet en clarté, puisque la remarque répond à la phrase «C’est bien qu’il y ait aussi des femmes». Il serait donc logique que le mot ʻhommeʼ soit présent dans la deuxième partie du dialogue». Raté supplémentaire, une première mouture de la publicité, sur Facebook, s’intitulait «que des Blancs et des blonds», sans que cette dernière notion apparaisse dans la vidéo. «Le débat ici devrait plus se focaliser sur l’aspect de genre que sur celui de la couleur de peau, pour lequel le foot fait déjà office de modèle, surtout dans le monde francophone», reconnaît Tristan Cerf.

Reste une question: pourquoi tant de haine pour les «vieux»? Que deux ados jugent leurs parents (trois hommes, dans la vidéo) ringards, nul ne saurait s’en étonner, mais la publicité doit-elle réellement servir de caisse de résonance au jeunisme ambiant? Contactée, l’organisation Pro Senectute – il est vrai partenaire de Migros – n’a pas répondu à nos interrogations. Reste que les réactions courroucées des internautes semblent inciter la société à davantage de prudence pour la prochaine fois: «La plupart des remarques concernent la compréhension du message réel. (…) Ceci pourrait indiquer que notre mise en scène n’a pas réussi à transmettre l’essence et la complexité du débat de société en question», analyse Tristan Cerf, qui promet: «Nous ferons mieux la prochaine fois.» Il relève toutefois que le nombre de questions concrètes (ndlr d’ordre pratique) est fortement inférieur à la moyenne de celles des publicités similaires. «La représentativité des commentaires pourrait laisser penser que la grande majorité silencieuse ne voit aucun problème au message ou, au pire, ne l’a même pas remarqué.»

Qu’il nous soit permis de nous demander s’il faut réellement s’en réjouir.




Sacrifié, l’esprit de Noël

L’annonce a été faite coup sur coup au début du mois de septembre: Coop puis Migros ont déclaré que, mesure d’économie oblige, aucune décoration lumineuse de Noël ne serait employée pour égayer les devantures des échoppes durant les fêtes cette année. Coop justifie cette décision en invoquant une possible pénurie. «Nous mettons en œuvre les premières mesures volontaires d’économie d’énergie en vue d’une éventuelle pénurie d’électricité. Le maintien de notre mission d’approvisionnement est pour nous une priorité absolue», clarifie Caspar Frey, porte-parole du grand distributeur. Il précise que la mesure n’a absolument rien à voir avec une attaque contre l’identité suisse ou la tradition chrétienne: «En tant qu’entreprise, Coop est neutre sur le plan confessionnel. Ces mesures sont liées à l’appel de la Confédération à économiser l’électricité.»

Ours polaires et bonshommes de neige

Patrick Simonin, élu PLR au Grand conseil vaudois estime que les deux enseignes montrent ainsi l’exemple: «Même si l’on peut être déçu du manque d’anticipation de l’administration fédérale au sujet de la pénurie d’énergie et du peu de clarté de ces informations, les annonces des géants de la distribution peuvent être un signal pour le grand public, que tout le monde va devoir s’y mettre, à économiser de l’énergie pour cet hiver.»

Militant chrétien en faveur de la décroissance et président de l’association qui édite la revue Itinéraires, Jean-Daniel Rousseil ne se sent pas heurté par l’abandon des illuminations dites de Noël. Bien au contraire puisqu’il les considère à cent lieues de l’esprit de Noël: «En tant que chrétien, les décorations que j’ai pu voir ces dernières années ont plutôt eu tendance à me fâcher. Tous ces ours blancs et ces bonshommes de neige sont déplacés. Et je ne parle pas de ces étoiles qui pullulent. C’est à l’opposé de la signification de Noël où une seule étoile souligne justement l’obscurité dans laquelle Jésus descend.»

«En tant que chrétien, les décorations que j’ai pu voir ces dernières années ont plutôt eu tendance à me fâcher. Tous ces ours blanc et ces bonshommes de neige sont déplacés.»

Jean-Daniel Rousseil, président de l’association qui édite la revue Itinéraires

Belle unanimité entre les deux hommes, donc. Mais c’est sur le thème du «green-washing» que les avis divergent. Patrick Simonin n’y décèle aucun signe de la part des enseignes: «C’est le moyen pour elles de montrer leur contribution première en la matière. Mais il faudra également qu’elles aient la même pertinence pour passablement de produits importés dont l’étiquette bio ou la durabilité n’est pas comparable aux produits suisses.» A l’inverse, Jean-Daniel Rousseil voit bel et bien, dans l’abandon des décorations de Noël, une volonté de laver plus vert que vert; selon lui, cela ne date pas d’hier: «Ces magasins font tous les «washings» imaginables. La Migros n’a jamais rien épargné pour attirer certaines catégories de clientèle. Par mercantilisme, ces commerçants utilisent tout ce qui est tendance pour accroître leurs ventes. Cela relève d’un opportunisme invétéré.» Questionnée sur l’abandon de décorations énergivores accessoires à l’occasion d’autres événements, qu’ils soient sportifs (Jeux Olympiques, Coupe du Monde) ou sociétaux (Journée internationale des femmes, Pride), la Coop explique qu’elle s’adaptera en fonction des ressources: «Nous suivons de très près la situation dans le domaine énergétique et nous prendrons les décisions qui s’imposent. Actuellement, il convient d’attendre l’évolution de la situation pendant les mois d’hiver.»

Coop a également prévu de baisser la température à 19 degrés dans ses différents locaux. Selon la cellule communication de la marque, les salariés n’ont pas été consultés avant cette décision: «En ce qui concerne les conditions de travail, nous nous conformons aux dispositions légales. Jusqu’à présent, les réactions du personnel ont été positives.»

Si la situation venait à se dégrader, les employés pourront toujours suivre les conseils d’une élue fédérale: enfiler un gros pull et boire du thé chaud.