Oscar Wilde : Histoire d’une âme
J’ai toujours un ou deux livres avec moi. Il y a bien des années, à la suite d’un départ précipité, j’oublie d’emporter mon viatique. Sur le quai de la gare, j’ouvre ma musette et je constate avec effroi mon erreur. Que faire ? Je décide d’aller examiner ce que le kiosque à proximité propose. Les revues m’intéressant peu, j’examine le tourniquet à livres et mon regard s’arrête sur Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Faute de mieux, j’achète le roman et commence sa lecture en attendant le train. Le trajet terminé, saisi par cette œuvre, je décide d’acquérir l’édition de la Pléiade d’Oscar Wilde, qui fut suivie quelques jours plus tard par le volume de sa correspondance.
Un provocateur dans l’Angleterre victorienne
Parmi les éclats de la société victorienne émerge une figure à la fois énigmatique et captivante : Oscar Wilde. Né sous les cieux d’Irlande, dans la paisible effervescence de Dublin, le 16 octobre 1854, il fut, dès sa jeunesse, marqué par une éducation raffinée. Après un passage au Trinity College de Dublin, la scène littéraire londonienne l’accueillie en lui ouvrant ses portes dorées et ses salons enivrants. Ses mots d’esprit captivent les esprits et enflamment les cœurs, révélant un talent sans égal dans l’art de l’écriture.
Ses œuvres, telles que Le Portrait de Dorian Gray ou L’importance d’être Constant, une comédie jouant avec les masques de la société, demeurent des œuvres intemporelles de la littérature anglophone. À travers elles, Wilde se révèle non seulement comme un conteur exceptionnel, mais aussi comme un observateur subtil des paradoxes de la condition humaine.
Sa destinée, telle un drame shakespearien, connaît une chute tragique. Sa relation avec Lord Alfred Douglas le conduit sur les routes tumultueuses de la condamnation sociale et de la tragédie personnelle. Après avoir affronté les tourments de la prison suivis des rigueurs de l’exil, Oscar Wilde trouve refuge à Paris où il meurt le 30 novembre 1900 à l’âge de 46 ans.
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Une éthique qui ne dit pas son nom
Il semble facile d’appliquer la citation de Dorian Gray à la vie d’Oscar Wilde : « Je n’ai recherché le bonheur. Qui désire le bonheur ? J’ai recherché le plaisir. » (Le Portrait de Dorian Gray, p. 537) Il serait aisé de faire de lui un autre Lord Henry ou un Dorian Gray de surcroît. Que nenni ! Une clef de lecture, autant intéressante que mystérieuse, se trouve dans la préface du Portrait de Dorian Gray : « Tout art est à la fois surface et symbole. Ceux qui plongent sous la surface le font à leurs risques et périls. Ceux qui déchiffrent les symboles le font à leurs risques et périls. » (Le Portrait de Dorian Gray, p. 347). En abordant la vie et l’œuvre du dandy scandaleux, on peut rester à la surface ou plonger à nos risques et périls. On ne s’approche pas sans crainte de la vérité mystérieuse et déroutante de l’âme humaine.
L’éthique de Wilde ne se résume pas une existence exclusivement hédoniste tournée vers les plaisirs sensibles. Certes, il y a bien un côté jouisseur chez lui qui n’hésiterait pas à se faire « tuer pour une sensation » (Lettre 59, 12 décembre 1885, p. 118). La fascination qu’il ressent pour « le mystère des goûts » (idem) et ses vertiges lui laisse cependant parfois une saveur amère. Une sorte de nostalgie des moments d’extases sensibles, les ombres de ce qu’il a éprouvé et de ce qu’il aspire à éprouver. Son regret d’un autre monde, d’une autre vie, n’est pas quelque chose de spirituel ou de métaphysique. Il s’en défend ardemment. Pour Wilde « la citta divina n’a pas de couleur, et la fruitio Dei pas de signification » (Le Critique comme artiste, p. 873). Il ferme alors ostensiblement la porte à la métaphysique et à « l’extase religieuse ». Refusant toute forme de transcendance, Wilde oriente volontairement son désir intime, sa nostalgie vers le monde sensible.
Cependant Wilde regrette de n’avoir « plus accès au parvis de la cité de Dieu » (idem). On peut se faire une idée de la portée de ce renoncement, un véritable drame intérieur dans la vie de Wilde, en le rapprochant de celui que doit faire le jeune Dorian Gray qui « sentait que le moment était véritablement venu pour lui de faire un choix. Mais son choix n’avait-il pas déjà été fait ? Oui, la vie avait décidé pour lui – la vie, mais aussi la curiosité infinie qu’il portait à la vie » (idem).
Wilde est conscient de cette quête du bonheur. Des deux voies qui se sont offertes à lui, il a choisi la moins fréquentée. Peut-être que cela a fait toute la différence ? Pour atteindre ce à quoi il aspire, il partage avec Lord Henry « l’un des grands secrets de la vie : guérir l’âme par les sens et les sens par l’âme » (ibid. p. 368). Mais devant l’impossibilité de guérir les sens par l’âme, il se contente de guérir l’âme par les sens. C’est là que prend naissance l’hédonisme ou « le nouvel hellénisme » prôné par Wilde. Contrairement aux apparences, le plaisir n’est pas premier dans cette option fondamentale. Il n’est que « la pierre de touche de la Nature, le signe d’approbation qu’elle nous donne » (ibid. p. 423).
Un nouvel hellénisme
Le « nouvel hellénisme » est en fait une éthique de la sculpture de soi. Wilde prend à son compte une idée antique qui lui a été enseignée à Oxford par Walter Pater via la Renaissance : « (Dieu) prit donc l’homme, cette œuvre indistinctement imagée, (…) il lui adressa la parole en ces termes : (…) si nous ne t’avons fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c’est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta préférence » (Pic de la Mirandole, Oratio de hominis dignitate, trad. Y. Hersant, Paris 1993, p. 9).
L’Artiste comme homme accompli
L’éthique est en même temps une esthétique. Le geste beau est un geste moral et vice-versa. Les personnes qui peuvent poser des actes beaux et moraux, se sont déjà réalisées elles-mêmes : « les poètes, les philosophes, les hommes de science, les hommes de culture, en un mot les hommes véritables » (Le Critique comme artiste, p. 891). Wilde appelle ce type de personne des « Artistes », puisqu’ils sont les artisans de leur propre devenir, de leur propre personnalité.
L’Artiste « passe, non du sentiment à la forme, mais de la forme à la pensée et à la passion » (idem). C’est cela guérir l’âme par les sens. Toutefois, il reste faible et limité derrière sa prétention à se sculpter soi-même. Wilde pense qu’il « ne peut qu’en être ainsi. Cette concentration même de la vision et cette intensité du projet, qui caractérisent le tempérament artistique, sont par elles-mêmes une forme de limitation » (La plume, le crayon, le poison – Etude en vert, p. 806). Il a bien pressenti l’incomplétude et l’imperfection de l’Artiste, lequel est une sorte d’être en crise, un perpétuel « adolescent solitaire, aux traits déjà formés, au cœur sans oreilles ou aux yeux sans entrailles, il détonne. Attiré, attirant, fait pour séduire, il sent sa tête trop lourde, sa peau trop fine, ses membres étrangers à l’étreinte » (F. Dolto, Le dandy, solitaire et singulier, Paris 1999, p. 18-19). Sans cette imperfection innée qui l’empêche de réaliser pleinement son idéal, l’Artiste ne serait plus un Artiste, mais un vague artisan qui marchande sa vie, un nouveau Sisyphe condamné à se sculpter perpétuellement. Cette tragédie, qui se joue dans l’âme de l’homme, est une tension permanente qui permet à l’Artiste d’exister quasi funambuli entre le déjà et le pas encore.
Le refus de l’ascétisme
Comment se manifestent l’incomplétude et l’imperfection ? L’Artiste évacue de son éthique la souffrance, l’esprit de sacrifice, c’est-à-dire la dimension ascétique de l’existence humaine. Celle-ci « n’est qu’une méthode permettant à l’homme d’interrompre sa marche en avant » (Le Critique comme artiste, p. 849-850). L’ascèse est un obstacle parce qu’elle empêche d’avancer librement, et surtout parce qu’elle veut orienter la sculpture de soi. Il existe bien un type d’ascèse dans l’éthique wildienne ; elle est « d’ordre esthétique et non plus morale » (ibid., p. 841-842).
Le rejet de la souffrance implique automatiquement un refus clair et net de la compassion et de la charité. Telle est la vertu principale du « nouvel hellénisme » : l’individualisme. On serait porté à croire que l’individualisme s’identifie à l’égoïsme. Pas tout à fait. N’oublions pas que Wilde aime à manier le paradoxe qui « est le chemin de la Vérité » (Le Portrait de Dorian Gray, p. 386). En réalité, il opère ici un changement de paramètres éthiques qui représente une véritable inversion des valeurs morales traditionnelles de la société victorienne : « Lorsque l’homme réalisera l’individualisme, il réalisera la sympathie et la manifestera librement et spontanément. Jusqu’à présent l’homme n’a guère cultivé la sympathie. Il se contente de sympathiser avec la souffrance, et sympathiser avec la souffrance ne représente pas la forme de sympathie la plus haute. Toute sympathie est noble, mais la sympathie face à la souffrance en représente la forme la moins raffinée. Elle est entachée d’égoïsme. Elle court le risque de devenir morbide. Nous y révélons une certaine terreur à l’égard de notre propre sort. Nous redoutons de devenir nous-mêmes comme le lépreux ou l’aveugle, sans que personne prenne soin de nous. Elle est aussi curieusement restrictive. » (L’Âme de l’homme sous le socialisme, p. 962)
On ne peut donc qualifier cette éthique d’égoïste, mais plutôt de narcissique. L’Artiste ne doit s’occuper que de lui-même. Il se contemple, jamais satisfait, afin de tailler et de retailler sans cesse dans le marbre blanc son existence pour devenir une personne accomplie, une œuvre d’art. Le burin qui lui permet de tailler sa propre statue n’est autre que l’esprit critique face au monde extérieur mais aussi face à lui-même. La critique est le guide de l’Artiste dans sa marche vers le perfectionnement.
Wilde ne réussira pas à tenir en équilibre sur la corde raide du « nouvel hellénisme » et la chute sera d’autant plus douloureuse qu’il est brillant.
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Le creuset de la souffrance
La vie de l’Artiste devait être « un long et ravissant suicide » (Lettre 59, 12 décembre 1855, p. 118), c’est ce qui est arrivé à Wilde. Il a assassiné sa réputation, sa vie mondaine, par les sens. Au lieu de guérir son âme, les sens l’ont emprisonnée et tuée : « Tandis que le corps mange, boit et prend ses plaisirs, l’âme dont il est la demeure peut mourir entièrement » (De Profundis, p. 290). Il n’est pas dupe de l’orientation erronée de son désir qui, au lieu d’assouvir son âme, l’a affamée.
Au travers des événements qui ont signifié ce suicide aux yeux du monde et à ses propres yeux, effarés et consentants malgré lui, Wilde fait l’expérience de ce qu’il avait rejeté jusque-là : la souffrance. Ce dandy maniéré découvre la souffrance, tant physique que morale. Elle est « un terrible feu » (Lettre 180, 22 mai 1897, à Mrs Bernard Beere, p. 398) qui purifie et détruit.
Loin de la société mondaine de Londres, Wilde laisse tomber un à un ses masques, ses parures de séducteur pour se voir tel qu’il est. L’expérience carcérale l’invite à faire un retour sur lui-même afin de quitter « le vice suprême : être superficiel » (De Profundis, p. 280). Il analyse avec une réelle acuité sa situation et en tire les conséquences : « (…) Si ma vie semble ruinée aux yeux du monde extérieur, aux miens elle ne l’est pas. Vous aurez, je le sais, plaisir à savoir qu’à ce qu’il paraît, de toutes mes épreuves – du silence, de la vie solitaire, de la faim, des ténèbres, de la douleur, de l’abandon, de la disgrâce – de tout cela je peux extraire quelque bien » (Lettre 180, 22 mai 1897, à Mrs Bernard Beere, p. 398).
Par la souffrance, Wilde découvre un « nouveau monde » (De Profundis, p. 306). L’orgueil et le narcissisme sous-jacents dans le « nouvel hellénisme » font place à l’humilité qui est la ligne d’horizon de son « nouveau monde ».
La découverte du Christ
Alors que « les prêtres et les gens qui pérorent sans sagesse parlent parfois de la souffrance comme d’un mystère » (ibid. p. 306), Wilde la découvre comme une révélation. Ce qu’il avait d’instinct deviné de l’art, « de la vie ; il va le saisir » (idem) avec « une parfaite clarté de vision et une compréhension totale » (idem). Il tend à discerner ce qu’il n’avait pas encore aperçu auparavant, ce qui était plus intime à lui-même que lui-même : le Christ.
Il est vrai que Jésus-Christ n’est pas un inconnu pour Wilde. Il en parle dans d’autres de ses écrits avant la rédaction du De Profundis. Ce qui est curieux, c’est qu’il l’appelle « Jésus » ou « Jésus-Christ » mais rarement « Christ » avant ses dernières épreuves. Jésus est pour lui un grand homme historique qu’il n’hésite pas à comparer à César. Il n’admire en Jésus que le philanthrope, l’homme accompli mais jamais le Sauveur, le Christ. Dès ses écrits de prison, on assiste à un changement, Jésus est appelé simplement « Christ ». Ce changement de vocabulaire me porte à croire que Wilde, du tréfonds de sa misère, a quitté le Jésus de Renan pour le Christ des Évangiles : le Rédempteur. Il est d’ailleurs regrettable que dans la traduction française de la Pléiade on ait systématiquement remplacé « Christ » par « Jésus » dans le De Profundis, ceci afin de « souligner l’influence de l’ouvrage de Renan » (traduction française de la Pléiade, notice au De Profundis, p. 1691).
Wilde parle à demi-mot de sa rencontre avec le Christ : « Une fois au moins dans sa vie, tout homme chemine avec le Christ vers Emmaüs » (De Profundis, p. 326). Cette confession implique une réelle épiphanie du Sauveur dans la vie du prisonnier, comme dans celle des deux disciples qui reconnaissent Jésus au cœur même de leur doute et de leur souffrance. Les doutes, Wilde les a connus quand il écrit avec amertume : « J’ai le sentiment que j’aimerais fonder un ordre pour ceux qui ne peuvent croire : la Confrérie des Orphelins, l’appellerait-on, où devant un autel sur lequel ne brûlerait aucun cierge, un prêtre qui n’aurait pas la paix au cœur célébrerait l’office avec du pain profane et un calice vide de vin » (ibid. p. 300-301). Loin d’être purement et simplement un iconoclaste, Wilde vit une crise profonde, où il se trouve aux prises avec la foi nue qu’il nomme agnosticisme. Tout lui est inutile, rien ne l’aide : ni la morale, ni la religion, ni la raison.
Il prend, peu à peu, conscience que Jésus est le Rédempteur de l’humanité, ce qui éveille en lui une profonde réflexion : « Il me reste encore presque incroyable qu’un jeune paysan galiléen ait imaginé qu’il pourrait porter sur ses épaules le fardeau du monde entier, tout ce qui avait déjà été fait et souffert et tout ce qui serait encore fait et souffert : (…) que ce jeune paysan galiléen l’ait non seulement imaginé, mais accompli, de sorte qu’à l’heure présente tous ceux qui découvrent sa personnalité (…) se voient (…) libérés de la laideur de leur péché et se voient révélés à la beauté de leur souffrance » (ibid., p. 312-313).
L’expérience de la charité et de la miséricorde
Même si Wilde tâtonne quelque peu avant d’envisager réellement le fait que le Christ ait accompli l’œuvre de Rédemption, il s’agit bien pour lui d’une rencontre avec la personnalité du Christ qui le sauve au plus intime de sa souffrance. En s’approchant du Sauveur, il découvre la charité. L’amour que le Christ enseigne « est le secret primordial du monde, le secret perdu qu’ont cherché les sages (…). C’est seulement par l’amour qu’on peut approcher du cœur du lépreux et des pieds du Seigneur » (ibid. p. 315).
En lien avec cette charité, Wilde fait l’expérience de la miséricorde du Christ. Pour Jésus, « il n’était pas de lois : il n’existait que des exceptions » (ibid. p. 323) qui ne sont autres que les personnes qu’il rencontre et qu’il sauve. Les lois sont bonnes pour ceux que Wilde appelle les philistins, qui jugent et condamnent. Jésus, lui, regarde jusqu’au plus intime des cœurs. Il connaît le désir de l’homme, c’est pourquoi il n’existe pour lui « que des exceptions ». « Sa morale est toute de sympathie, exactement ce que doit être la morale » (idem). Et Wilde de prendre en exemple le passage évangélique de la femme adultère. Cette sympathie du Sauveur est une invite au repentir. « Mais pourquoi ? Pour cette simple raison qu’autrement il serait incapable de se rendre compte de ce qu’il a fait. Le moment du repentir est le moment de l’initiation (…). Le Christ prouve que le pécheur le plus ordinaire pourrait le faire, que c’est la seule chose qu’il puisse faire » (ibid. p. 325-326). Wilde va plus loin en sous-entendant que le Christ aurait dit au fils prodigue que ses débauches avec les prostituées sont les beaux et saints épisodes de sa vie. Le Christ ne regarde que le désir d’amour même s’il est parfois mal orienté et il pardonne. Comment ne pas reconnaître ici la confession à peine voilée de Wilde ? N’est-il pas ce nouveau fils prodigue condamné par tous mais pardonné par le Christ ? N’est-il pas une figure de cette courtisane, Marie-Madeleine, qui a été pardonnée car elle avait beaucoup aimé ?
Dans un élan quasi-mystique Wilde condense son expérience du Christ en quelques lignes : « Tout ce que le Christ nous enseigne par de petits avertissements c’est que chaque instant de notre vie doit être beau, que l’âme doit toujours être prête pour la venue de l’époux, toujours attentive à la voix de l’amant » (ibid. p. 325).
Peut-on réellement parler d’une conversion dans le cas de Wilde ? Je crois que ce serait le faire mentir lui-même. Dès lors, il appelle son existence une vie nouvelle qui est simplement la continuation, l’évolution de sa vie première. Il ne renie pas son passé : « Rejeter le souvenir de ses propres épreuves, c’est arrêter sa propre évolution ; la renier, c’est mettre un mensonge sur les lèvres de sa propre vie. Ce n’est rien de moins que le reniement de son âme » (ibid. p. 302).
Une conversion qui n’en est pas une
Il ne croit pas à la conversion morale et théologique, cette « résolution d’être meilleur est un acte empirique et hypocrite » (ibid. p. 328-329), tout juste bonne pour les philistins. Sa vie nouvelle réside simplement en ce qu’il est « devenu plus profond » (ibid. p. 329). C’est-à-dire qu’il a découvert la dimension spirituelle et transcendante de son existence grâce au Christ, le seul vrai Artiste, « le suprême individualiste » (ibid. p. 316), « le poète » (ibid. p. 313).
Au cœur de la vie de Wilde peut réapparaître alors la cité de Dieu, longtemps rejetée, « semblable à une perle parfaite » (ibid. p. 308). « La vue en est si merveilleuse qu’il semble qu’un enfant puisse l’atteindre en une journée d’été » (idem). Malgré tout, Wilde se sent faible. Il sait que ses penchants ne se résorberont pas miraculeusement.
A sa sortie de prison, il vivra encore trois ans d’un exil douloureux où il doit apprendre à se laisser pénétrer par la grâce, « les effluves du ciel » (ibid. p. 309). Il a bien conscience qu’il peut tomber « maintes fois dans la boue et souvent s’égarer dans la brume » (idem). Finalement peu lui importe, du moment qu’il a son « visage tourné vers la porte qui est appelée la Belle » (idem).
A travers les souffrances de sa vie errante, condamné à mendier de l’argent à ses amis, privé de ses enfants, Wilde va discrètement se rapprocher du catholicisme. Dans la matinée du 29 novembre 1900, le Père Cuthbert Dunne reçoit Oscar Wilde dans la pleine communion de l’Église catholique. D’aucuns auront vu dans ce geste in articulo mortis un pied de nez de l’hédoniste impénitent aux philistins qui l’ont condamné. Comme si Wilde collectionnait sur son lit de mort les chasubles et les calices, symboles du faste catholique, à la manière de Dorian Gray. Peut-être a-t-il simplement réalisé son désir d’adolescent « de rendre visite à Newman, puis de contempler le Saint-Sacrement dans une église nouvelle et de connaître ensuite le calme et la paix de l’âme » (Lettre 8, 3 mars 1877, à William Ward, p. 46).
Bibliographie
- Daniel Salvatore Schiffer, Oscar Wilde, Folio biographie, Paris, 2009.
- Oscar Wilde, Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1996.
- Lettres d’Oscar Wilde, Gallimard, Paris, 1994.
- The Complete Letters of Oscar Wilde, 4th Estate, London, 2020.