Pourquoi Macron se soumet-il devant Elon Musk ?

Choose France. Voilà le nom du sommet annuel, inauguré en 2018 par le président français, consacré à l’attractivité de l’Hexagone sur la scène internationale. Le but est d’encourager les entrepreneurs privés à investir dans son pays et ainsi participer à sa réindustrialisation. Le dernier en date a eu lieu le 15 mai et a réuni plus de 200 chefs de différentes multinationales qui ont fait le déplacement au château de Versailles et à l’Élysée. L’événement a permis au gouvernement français d’obtenir des promesses d’investissements à hauteur de 13 milliards d’euros de la part de Pfizer, Ikea ou encore du fabricant de batteries taiwanais ProLogium. D’heureuses perspectives qui devraient mener à la création de 8000 emplois.

Si l’événement a été particulièrement scruté, la cause principale en est la venue d’Elon Musk. Reçu en véritable star par le gouvernement français, cet homme d’affaires surpuissant possède un véritable empire avec ses entreprises Tesla, SpaceX ou Twitter. Pourtant, l’entrepreneur n’a, pour l’instant, annoncé aucun investissement en France. Pour sa part, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a évoqué des négociations positives qui concernent Tesla. La venue de Musk peut être comprise à l’aune des projets concernant les usines de batteries, éléments indispensables pour ses voitures électriques, qui pourraient être implantées en France.

Qui sert qui ?

Depuis quelques années, les acteurs privés semblent avoir de plus en plus l’ascendant sur les chefs d’État. Musk est omniprésent en politique, et ne crache d’ailleurs pas sur une petite pique contre les wokes de temps en temps. Un récent sondage réalisé par le Harvard Harris Poll place le milliardaire comme personnalité politique préférée des Américains. Ce 24 mai, sur Twitter, il a lancé la campagne présidentielle de Ron DeSantis, gouverneur républicain de Floride. Mais il n’est pas le seul patron à évoluer vers un statut de quasi-rock star. L’influence des GAFAM se renforce même à mesure que de nouveaux chefs d’entreprise émergent avec l’intelligence artificielle. Sam Altman, fondateur de ChatGPT, rencontre lui aussi les politiciens du monde entier afin d’évoquer cette nouvelle technologie. Macron l’a reçu à l’Élysée quelques jours après Musk.

Avec son regard de libéral assumé, Nicolas Jutzet juge que « c’est plutôt un bon signe » si les chefs d’entreprise surpassent les gouvernements, car cela prouve leur « indépendance ». Le co-fondateur du média Liber-thé rappelle d’ailleurs que « c’est l’État qui doit être au service de l’économie et non l’inverse ».

Une séance d’humiliation

Dans le cas de Choose France, il déclare que « ce qui est marquant, c’est qu’Elon Musk a négligé son rendez-vous avec le président français, en arrivant en retard, et en étant mal rasé ». En agissant de la sorte, il démontre que sa rencontre avec les dirigeants français n’était pas un événement important dans son agenda. Les dirigeants français sont « inférieurs » au pouvoir de l’homme le plus riche au monde. Durant le sommet, Bruno Le Maire n’a pas pu s’empêcher de publier un selfie de lui et du milliardaire sur son compte LinkedIn. Cette photo révèle « une proximité inquiétante avec les politiciens ». Celle-ci peut « mener à des privilèges pour certaines grosses entreprises et ainsi nuire à la concurrence ». Néanmoins, cette photo s’apparente surtout à « une tentative un peu grossière de communication », « qui ressemble à un selfie d’un fan avec son idole ». 

Quant à l’impact de l’événement, Nicolas Jutzet relativise. En réalité, « les investisseurs n’attendent pas ce sommet pour prospecter le marché français ». Ils n’ont pas besoin du gouvernement pour « chercher des locaux ou une main-d’œuvre qualifiée par exemple ».  En somme, Choose France est un « coup marketing » d’Emmanuel Macron, selon lui.

Opération séduction

Elon Musk scrute l’actualité française. En janvier dernier, il avait publié un tweet soutenant la position de Macron concernant la très contestée réforme des retraites. Ce soutien de poids, certainement très bien accueilli par le président français, a même été renouvelé en mars lorsqu’il s’est exprimé une nouvelle fois en faveur des changements prônés par le maître de l’Élysée. 

À la suite de son entrevue avec les autorités de l’Hexagone, Musk a déclaré « je ne ferai pas d’annonce aujourd’hui, mais je suis très impressionné par le président Macron et le gouvernement français, à quel point ils sont accueillants pour l’industrie ». Quant à Macron, il a annoncé sur Twitter plusieurs accords avec diverses multinationales. Cependant, l’unique photo postée sur ses réseaux ce jour-là le met en scène avec le patron de Twitter, bien que ce dernier ne participe pas aux investissements pour l’instant. Il ne se gêne d’ailleurs pas pour lui faire les yeux doux : « Avec Elon Musk, nous avons parlé de l’attractivité de la France et des avancées significatives dans les secteurs des véhicules électriques et de l’énergie. De régulation numérique également. Nous avons tant à faire ensemble ».




Le navire et le Scrabble

L’homme, qui se savait minuscule sur ses bateaux, pouvait tout car il se souciait davantage du salut de son âme que de sa facture d’électricité ou de son cholestérol. Ainsi découvrait-on des peuplades exotiques, des éléphants et des passages impossibles à travers la Patagonie, quand notre modernité ne découvre plus guère que le «charme discret de l’intestin», pour citer un succès d’édition de la décennie écoulée.

Vous avez peut-être remarqué ces tatouages de caraques et caravelles qu’aiment à se barbouiller les jeunes urbains de notre époque. C’est une mode intéressante, car notre société ne prend plus guère la mer. Et en particulier pas ceux pour lesquels la transition vers une nourriture essentiellement végétale, grâce à trois tomates cultivées sur le balcon d’un appartement situé sous-gare, constitue la grande aventure d’une vie. Ramuz le disait déjà, dans son essai Besoin de grandeur, à la fin des années 30: «Il nous manque une moitié de l’existence qui est celle qu’offrent les ports d’où partent tant de routes vers partout et vers nulle part.» Il faisait alors référence à la réalité géographique de notre petits pays, encastré entre ses montagnes. L’observation, un siècle plus tard, pourrait pourtant prendre un tout autre sens: psychologique cette fois.

Car les frontières physiques – hors cas de grippes mondiales, bien sûr – peuvent bien avoir été abolies contre l’avis des peuples, notre incapacité à prendre le large se révèle dans notre incapacité à accepter le tragique de l’existence. Par exemple, il y a encore un an ou deux, l’existence de sensitivity readers aux états-Unis faisait rire tout le monde chez nous. Quoi? Des personnes ayant pour mission de lire préventivement les romans afin d’avertir les éditeurs à propos des passages susceptibles d’offenser des minorités? Cela ne pouvait se passer qu’aux états-Unis, là où le souvenir du prohibitionnisme puritain n’avait jamais totalement disparu. Nous étions alors fort naïfs, comme ceux qui pensaient, au siècle dernier, que le communisme ne quitterait jamais les frontières de l’URSS.
Dans ce numéro, nous traitons une offensive que personne n’a vu venir, contre les mots problématiques du Scrabble. Eh oui, le bon vieux Scrabble, où l’on pouvait jouer à peu près n’importe quel mot, pourvu qu’il appartienne à la langue française. L’on se souciait alors, dans notre innocence, d’utiliser des consonnes et des voyelles qui, mises bout à bout, formaient un mot. Erreur: il aurait fallu que le terme soit gentil, «bienveillant» et à faible taux de calories, nous dit désormais le fabricant du jeu, Mattel. Le progrès a fait de telles avancées que nous voilà, même au niveau du Scrabble, «en pleine obsession préventive, en plein ravage prévisionnel, en pleine civilisation prophylactique» (Philippe Muray). Qui l’aurait cru?

Lorsque l’on vit dans un horizon fini, la nature humaine a ceci de particulier qu’elle cherche avant tout à le protéger. Au Peuple, notre appel est le suivant: prenons le large, même si nous avons le mal de mer. Car cette société thérapeutique, cajolante, ne nous dit rien de bon. Nous n’apprécions guère que l’on vienne nous supprimer des libertés aussi anodines que jouer un mot peu élégant au Scrabble, sous couvert de libération en tous genres. Ceux que nous combattons le plus âprement sont ceux qui invoquent des valeurs auxquelles nous croyons pour nous priver des aventures les plus humbles: celles de l’esprit, qui sont aussi les plus sacrées.




Vivre libre

Printemps 1990, une salle de cinéma, une équipe d’adolescents, des pop-corn et un film. Une histoire somme toute banale: John Keating, enseignant de littérature, aux méthodes peu orthodoxes, arrive dans la très sérieuse académie Welton et va bouleverser la vie de ses élèves. Une des scènes se déroule dans une caverne où des étudiants se réunissent pour former une étrange société. En début de séance, l’un d’eux lit un poème, en fait une citation arrangée, d’un certain Henry David Thoreau: «Je m’en allais dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte. Vivre, intensément, et sucer toute la moelle de la vie. Mettre en déroute tout ce qui n’était pas la vie pour ne pas découvrir, à l’heure de ma mort, que je n’avais pas vécu.» Vous avez reconnu Le Cercle des poètes disparus (1989). Il n’est pas difficile d’imaginer l’effet de ce film sur l’esprit d’un jeune idéaliste. C’est aussi comme cela que Thoreau est entré dans ma vie.

«Les idées ne se promènent pas toutes nues dans les rues.»

L’heureuse formule de Jacques Julliard se vérifie une fois de plus. Il ne suffit pas de lire Walden ou La désobéissance civile au coin du feu d’une ZAD quelconque pour comprendre la richesse de la pensée de Thoreau. Il faut, selon l’austère méthode de Sainte-Beuve, connaître la vie, le contexte et toute l’œuvre d’un auteur.

Henry David Thoreau est un homme de son temps dont la pensée ne se résume pas à ses deux célèbres textes. Né à Concord dans le Massachusetts en 1817, Thoreau sort diplômé de l’université de Harvard à dix-huit ans. Il exerce le métier d’instituteur avant de quitter l’enseignement en raison de son refus d’appliquer les châtiments corporels. Il se lie avec Ralph Waldo Emerson qui deviendra son mentor. Il passe trois ans à New York avant de revenir définitivement s’établir à Concord en 1844. Au printemps 1845, il construit une cabane au bord de l’étang de Walden, à trois kilomètres de Concord et à proximité d’une voie de chemin de fer. Il y vit vingt-six mois. Ce sera la source de l’ouvrage éponyme publié en 1854. A partir de 1842, Thoreau cesse de payer l’impôt par tête (la capitation) afin de protester contre la politique esclavagiste et la guerre contre le Mexique. Cela durera quatre ans, jusqu’au moment où il est emprisonné durant une nuit. Une bonne âme va payer son impôt. En 1849, il s’appuiera sur cette expérience pour écrire La résistance au gouvernement civil, qui deviendra après sa mort La désobéissance civile. Auteur d’une abondante correspondance, d’un journal et de nombreux essais, Thoreau meurt de la tuberculose à l’âge de quarante-quatre ans. Ecoutons Emerson, qui a su peindre avec beaucoup de délicatesse le portrait intérieur de son ami: «C’était un médecin des blessures de l’âme, qui connaissait non seulement le secret de l’amitié, mais qui était presque vénéré par les quelques personnes qui faisaient appel à lui pour qu’il soit leur confesseur et leur prophète et connaissaient la valeur intrinsèque de son esprit et de son grand cœur.»

Thoreau s’inscrit dans la vie intellectuelle de son époque, durant laquelle les états-Unis vivent sous la loi du progrès inhumain, de la technique bruyante et du culte puritain du travail. Dans ce contexte, un groupe d’hommes et de femmes mené par Ralph Waldo Emerson (1803-1882) lance une vraie révolution. On les appelle les transcendantalistes. Ces personnes veulent exister et penser différemment. Inspirées par un romantisme allemand ayant transité par l’Angleterre et renouant avec la philosophie antique et orientale, elles proposent un humanisme renouvelé. Il s’agit, en fait, d’une sagesse qui invite l’individu à retrouver, au contact de la nature qu’il faut préserver, sa pureté originelle.

Walden ou la vie dans les bois

Le 4 juillet 1845, date symbolique puisqu’il s’agit du jour où les états-Unis commémorent leur indépendance, Thoreau proclame la sienne en s’installant dans sa cabane près de l’étang Walden. Il ne faut pas se méprendre, cela n’a rien à voir avec le film Into the Wild (2007), de Sean Penn; il s’agit de faire l’expérience d’une vie simple en étant seul dans les bois. Thoreau ne vit pas comme un anachorète, il côtoie des amis, se rend même à Concord et entretient une grande correspondance avec le monde extérieur. Cette expérience va durer deux ans et deux mois et donner naissance à Walden ou la vie dans les bois.

Walden n’est pas qu’un simple «nature writing» et sa lecture n’est pas si évidente qu’on veut le croire. Stanley Cavell, spécialiste de Thoreau, propose plusieurs niveaux de compréhension: le premier niveau est celui du sens commun, le second celui de la vérité rigoureuse et le troisième celui de l’austère beauté. Le sens commun représente le sens littéral du texte; la vérité rigoureuse s’adresse à notre raison et nous invite à la réflexion; l’austère beauté, quant à elle, se révèle après que l’on a passé par les étapes précédentes et nous indique ce vers quoi nous devons tendre. Le texte de Thoreau est une invitation à une réelle expérience transcendantaliste qui fera du lecteur un vrai philosophe: «Etre philosophe ne consiste pas simplement à avoir de subtiles pensées, ni même à fonder une école, mais à chérir la sagesse pour mener une vie conforme à ses préceptes, une vie de simplicité, d’indépendance, de magnanimité et de confiance. Cela consiste à résoudre quelques-uns des problèmes de la vie, non pas en théorie, mais en pratique.»

La désobéissance civile

Petit texte paru en 1849, La désobéissance civile s’inscrit dans le contexte de la guerre contre le Mexique et de la lutte anti-esclavagiste.

Stanley Cavell montre qu’il faut entendre «désobéissance civile» dans le sens qu’Emerson donne au terme «conversion» ou «révolution». éclairage intéressant, car, loin d’être un texte pour jeunes révoltés, La désobéissance civile est un acte de libération individuelle: «Si l’injustice est inhérente à la friction nécessaire au bon fonctionnement de la machine gouvernementale, il n’y a qu’à la laisser faire. Peut-être qu’à l’usage, elle va s’adoucir; la machine quant à elle va s’user. Si l’injustice a un ressort, une poulie, une corde ou une manivelle pour son usage exclusif, peut-être qu’alors il faudra vous demander si le remède n’est pas pire que le mal; mais s’il est dans sa nature d’exiger de vous que vous soyez l’instrument de l’injustice à l’égard d’autrui, je dis alors: enfreignez la loi. Que votre vie agisse comme une contre-friction pour arrêter la machine. Ce que je dois faire est de veiller, en tout cas, à ne pas être complice de l’injustice que je condamne.»

La démarche de Thoreau est simple. S’il n’a rien à voir avec l’injustice commise par l’État, «il s’en lave les mains», par contre s’il sert cette injustice de quelque façon que ce soit, il doit désobéir au nom de sa conscience. Cette désobéissance civile a trois fonctions. Tout d’abord elle indique au gouvernement que vous êtes contre lui, dans un second temps elle sert de témoignage auprès du peuple et entraîne des comportements similaires, pour finir elle bloquerait l’appareil étatique par la désobéissance des fonctionnaires.
Comme on peut le constater, il ne s’agit pas de manifestation de masse mais bien d’un acte individuel libre et responsable: «(…) il y a peu de vertu dans l’action de masse des hommes. Quand la majorité finira par voter l’abolition de l’esclavage, ce sera parce qu’elle lui sera indifférente ou parce qu’il en restera peu qui soit aboli par ce vote. Ce seront eux les seuls esclaves. La seule voix qui hâte l’abolition de l’esclavage est celle de l’homme qui engage par là sa propre liberté.»

Thoreau se définissait comme «un citoyen libre de l’univers, qui n’est condamné à appartenir à aucune caste». Les auteurs de l’anthologie Les Penseurs libéraux (Les Belles Lettres, 2012) ont compris Thoreau bien mieux que José Bové et ses séides, en y incluant un extrait de La désobéissance civile. Le sage de Concord nous rappelle que le libéralisme possède une dimension anarchisante: «Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins.» Dans un pays où l’on réglemente sur tout et sur rien, où la liberté individuelle se réduit progressivement, où la dictature du petit nombre s’impose; offrez un ouvrage de Thoreau à vos élus d’un parti qui se définit aussi comme libéral.

Une biographie:

Thierry Gillybœuf, Henry David Thoreau, le célibataire de la nature, Fayard, 2012.

Des oeuvres de Henry David Thoreau en traduction française:

Walden ou la vie dans les bois, Albin Michel, 2020.
Les essais dans un coffret de treize petits volumes, Le Mot et le Reste, 2021.
Correspondance générale en trois tomes, La Part Commune, 2018-2020.
Journal en quinze volumes dont cinq de parus, Finitude, depuis 2012.




On se raconte des histoires…

Lors de l’un de mes passages dans une librairie d’occasion de la place lausannoise, j’ai eu l’audace de racheter le premier tome, en livre de poche, de la «Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations» d’Adam Smith. Tandis que je payais ledit ouvrage, un universitaire arborant fièrement des épinglettes de Karl Marx, Lénine et du drapeau de l’Union soviétique m’interpelle en me disant que Smith n’avait rien compris et qu’il avait sur la conscience tous les crimes du libéralisme. Je l’ai regardé avec une certaine commisération en lui disant: «Et si on parlait de Marx!».

Plus de deux cents ans après son trépas, Adam Smith demeure incompris. Les économistes et les beaux-esprits parlent doctement de la «main invisible» qui est une allégorie explicative de l’autorégulation du marché. En fait, Smith n’en parle que trois fois dans ses ouvrages. Dommage!

Anders Fjeld et Matthieu de Nanteuil considèrent que la science développée par Smith «n’est pas seulement une analyse des mécanismes de production et de circulation des richesses, elle est avant tout une réflexion sur les sociétés humaines à l’heure de la richesse». Cette réflexion se construit à partir de ce que nos deux auteurs appellent «l’imaginaire». En fait, Smith nous raconte des «histoires» pour changer le monde.

En effet, le philosophe écossais est un homme des Lumières qui rêve de progrès et d’émancipation. «Smith observe que le monde est en train de changer et il fait le pari que la richesse, envers laquelle il était auparavant très critique, peut libérer une énergie insoupçonnée et contribuer à l’émancipation des peuples.»

Les deux auteurs dégagent et analysent quatre fictions: la richesse comme une illusion qui excite, le travail comme un théâtre muet, la colonie (en Amérique du Nord) comme une seconde naissance de l’Europe et le commerce comme source d’émancipation.
Un exemple d’histoire qui a fait florès est celle de la manufacture d’épingles de L’Aigle en Normandie. Smith en tire sa théorie sur les «effets de la division du travail sur l’industrie générale de la société». En fait, Smith construit sa narration sur deux articles de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert et passe sous silence tout ce qui ne va pas dans le sens de son histoire. La manufacture de L’Aigle ne repose pas sur la division du travail mais sur d’autres facteurs liés au contexte de la Normandie.

Adam Smith nous raconterait-il des histoires? Oui, car c’est le propre de l’être humain. Nous mentirait-il? Non, car comme le souligne Yuval Noah Harari, «une réalité imaginaire n’est pas un mensonge. […] Contrairement au mensonge, une réalité imaginaire est une chose à laquelle tout le monde croit; tant que cette croyance commune persiste, la réalité imaginaire exerce une force dans le monde.»

Cette analyse peut rejoindre les études en économie narrative que nos deux auteurs passent sous silence. Selon Robert Shiller, il existe des «récits économiques». Ces récits peuvent changer les décisions économiques ainsi que la perception de la façon dont le monde fonctionne.
Adam Smith et ses histoires ont façonné notre imaginaire économique et changé le monde en profondeur. Si aujourd’hui on se racontait de nouveau des histoires… pour tourner la page.

Anders Fjeld, Matthieu de Nanteuil, Le monde selon Adam Smith – Essai sur l’imaginaire en économie, PUF, 2022.
Robert J. Shiller, Narrative Economics, Princeton University Press, 2019.




BERNE MANIE LA MENACE FANTÔME

Déjà adepte des grandes déclarations à la «en même temps», Macron semble désormais avoir basculé en crise orwellienne. Le 5 septembre dernier, sans prévenir, le locataire de l’Elysée lâchait: «La meilleure énergie est celle qui n’est pas consommée.» Inspiré par les paroles de Jupiter, Xavier Company, municipal Vert lausannois chargé des services industriels, s’exprimait mot pour mot de la même manière dans 24 heures du 16 septembre. Mais face à la crise énergétique à venir, le Conseil fédéral vient de proposer une étonnante variante de la déclaration macronienne: le meilleur contrôle est celui qui n’est pas effectué.

«On tombe en tout cas dans un État où il est devenu acceptable de juger et contrôler la vie d’autrui. Une partie de la population est très heureuse de jouer au flic chez le voisin, malheureusement.»

Jérôme Desmeules, élu UDC au parlement valaisan

Revenons sur nos pas. Un article paru sur le site de Blick le 6 septembre nous apprenait que nous, citoyens et entrepreneurs, risquions la peine pécuniaire, voire la prison, si nous osions trop chauffer nos foyers. Plus précisément, le papier mentionnait une peine de trois ans de prison en cas d’infraction délibérée aux directives et précisait qu’en cas d’infraction par négligence une peine pécuniaire pouvant aller jusqu’à 180 jours-amende était possible. En cas de pénurie, il sera donc interdit de chauffer son foyer à plus de 19°, de bouillir l’eau au-dessus de 60° (on rappelle ici volontiers que l’eau est censée bouillir à environ 100°, vive les spaghettis mal cuits) ou d’utiliser un chauffage d’appoint électrique.

On devient vite criminel de nos jours

Dans ce même article, le porte-parole du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), Markus Spörndli, brandit la grosse menace: «Les infractions à la loi sur l’approvisionnement du pays sont toujours des délits, voire ponctuellement des crimes, et doivent être poursuivies d’office par les cantons.» Des crimes, rien que ça… Voilà qui méritait bien une liste étoffée de questions de la part du Peuple. Nous souhaitions notamment savoir à quel moment ces mesures seraient ordonnées, comment, précisément, les contrôles seraient effectués, ou si nous devions nous attendre à des visites de contrôle de la part des policiers. A cette douzaine de questions, Markus Spörndli répond ceci: «À l’heure actuelle, il n’y a ni pénurie d’électricité ni pénurie de gaz en Suisse, c’est pourquoi aucune restriction ni interdiction d’utilisation n’est en vigueur. Il ne peut donc y avoir d’infraction à de telles dispositions. L’administration est en train de préparer des mesures de restriction et d’interdiction pour le cas où une pénurie grave surviendrait. Un projet d’ordonnance en prévision d’une pénurie de gaz est actuellement en consultation auprès des milieux intéressés.» Mieux, le communicant avoue, à demi-mots, que les contrôles ne pourront pas vraiment être effectués: «L’essentiel est qu’il ne serait pas possible ni souhaitable de contrôler étroitement le respect des prescriptions. En Suisse, nous tablons sur le fait que la population respecte la loi.»

Des menaces largement irréalistes

Jérôme Desmeules, élu UDC au parlement valaisan, juge ridicule de brandir des menaces d’amende ou d’emprisonnement: «Cela tient de la plaisanterie et démontre que le gouvernement n’est pas prêt à l’éventualité d’une telle crise. Si nous nous retrouvons dans une telle situation énergétique, c’est à cause de la politique suisse, opportuniste, qui a tourné le dos au nucléaire pour des motifs électoraux. Le pire est que les politiciens n’assument pas. Certains disent encore que cela n’a rien à voir avec les décisions du passé.» Pour François Pointet, conseiller national vaudois Vert Libéral, les contrôles à domicile semblent absolument irréalisables: «À mon avis, il n’y aura pas la possibilité de venir mesurer la température des chambres chez les privés. En effet, il faut un mandat de perquisition pour pouvoir pénétrer dans un lieu privé. Il faut comprendre que de telles punitions doivent être prévues pour des personnes se permettant, par exemple, de continuer à utiliser des chauffages sur les terrasses, ou d’autres aberrations visibles.»

Vers l’état policier?

Ces menaces et ces potentiels contrôles pourraient laisser à penser que la Suisse se transforme peu à peu, après un premier épisode Covid, en état policier. Jérôme Desmeules nuance: «On tombe en tout cas dans un État où il est devenu acceptable de juger et contrôler la vie d’autrui. Une partie de la population est très heureuse de jouer au flic chez le voisin, malheureusement.» Parler d’état policier semble un tantinet trop fort pour François Pointet: «Nous ne sommes pas au point où les policiers auront la possibilité de rentrer chez chacun pour faire des contrôles. Il faudrait encore lever la nécessité d’avoir un mandat de perquisition. Il est clair que les lieux publics seront plus facilement soumis aux contrôles.» D’autant plus que la situation n’est pas similaire, selon lui, à celle vécue lors de la crise du Covid. «Nous avons vu, durant le Covid, que la population a plutôt bien suivi les prescriptions. Pour l’essentiel, les seuls débordements qui ont été dénoncés concernaient des lieux publics. On peut partir du principe que nous aurons la même situation dans le cas de cette ordonnance. La situation politique est toutefois différente, le Parlement n’a pas été arrêté, son travail d’éventuel contre-poids au Conseil fédéral sera donc plus simple», complète-t-il.

De quoi se demander ce que le gouvernement choisira pour se faire obéir de la population. Des slogans niais et des affiches infantilisantes, comme il y a deux ans avec le virus?




« Je ne cherche pas la polémique pour la polémique »

Jonas Follonier, vous venez d’annoncer votre entrée au comité de ch-media, association de journalistes plutôt marquée à droite. Vous avez l’âme syndicaliste maintenant?

Pas du tout. ch-media (ndlr à ne pas confondre avec l’éditeur du même nom) est issu d’une scission avec impressum, qui est l’organisation principale des journalistes de Suisse romande et qui se définit elle-même comme un syndicat. L’association ch-media n’a pas de revendications de gauche et ses membres ont l’âme indépendante.

Mais concrètement, que peut une telle association, plutôt vieillissante, face à la force du nombre des journalistes de gauche?

Fédérer les membres qui croient à un journalisme diversifié, curieux et sérieux. Mais aussi favoriser les bons conseils des anciens, et nous permettre le bonheur de nous retrouver entre confrères sans le vivre comme une communion entre «gens bien». Nous ne nous prenons pas au sérieux à titre individuel; nous ne prétendons pas non plus avoir inventé le journalisme, mais préférons les moments de réflexion et de légèreté. Notre association délivre cependant des cartes de presse au même titre qu’impressum, sur la base de critères similaires.

Vous jugez vraiment qu’il n’y a pas de diversité dans notre métier?

Si, il y en a. Il y a même beaucoup plus de journalistes originaux que l’on croit. On en trouve dans tous les titres. Mais ils se sentent plutôt seuls à l’interne. De façon générale, les rédactions sont absorbées dans des modes, du prêt-à-penser et des façons de travailler qui se transforment en une forme de conformisme. Certains professeurs d’université ou artistes me partagent du reste le même genre de constats, et une impression de solitude les concernant, qui me préoccupe.

Vous-même, on ne peut pas dire que vous soyez ostracisé: vous êtes partout, et même à la télévision sur Léman Bleu…

Mais je ne me plains pas du tout, c’est autre chose que je dis. Je ne parle pas de moi, mais de l’état global du journalisme dans notre coin de pays et de l’évolution de cette vocation. Dans les grands médias, il n’y a plus beaucoup de «personnalités», à l’inverse de ce que l’on connaissait naguère. Et ce n’est pas parce que des démarches isolées comme celles du Regard Libre, de Bon pour la tête ou du Peuple existent et vont grandissant que cela signifie pour autant qu’il y a un équilibre. Mais qui sait, ça peut changer!

Vous êtes certes ouvertement de droite, mais très prudent sur les thèmes de société qui fâchent. C’est du calcul, de votre part?

Je ne me considère pas comme prudent, donc non il n’y a pas de calcul. Être nuancé, en revanche, est une question d’hygiène intellectuelle. Le récent essai de Jean Birnbaum, Le Courage de la nuance, m’a beaucoup parlé. Si une chose est vraie mais pas sexy, il faut la dire telle qu’elle est. Je ne cherche pas la polémique pour la polémique, mais dire la vérité ou exprimer des opinions implique parfois de créer des débats vifs; cela fait partie de notre métier.

En quoi la droite progressiste que vous incarnez diffère-t-elle réellement de la pensée de gauche, omniprésente dans les médias?

Il ne faut pas prendre le terme de progressiste au sens où on l’entend habituellement. On veut tous que demain soit meilleur qu’aujourd’hui et que l’on évolue vers une société meilleure. Pour certains, conservateurs ou même réactionnaires, cela passe par la préservation, voire par un retour à certaines idées ou pratiques. Revenir à une certaine autorité à l’école, par exemple, me semblerait certainement être un progrès.

Le Regard Libre a une ligne assez intellectuelle. C’est le bon pari pour remettre des idées de droite sur le devant de la scène?

Non (rires). Ce n’est pas suffisant, évidemment, et s’il n’y avait que nous, nous ne toucherions pas tout le monde. Notez que nous ne sommes pas contre la presse classique, mais que nous existons de façon complémentaire à cette dernière. Du reste, notre objectif est moins d’apporter des idées de droite dans l’opinion que de proposer des débats pluralistes, rendus difficiles par le wokisme ambiant, miroir du puritanisme américain.

Comment vous situez-vous par rapport à l’héritage chrétien, cher à nos lecteurs?

Je ne suis pas étranger à l’héritage libéral, et je pense que ce n’est pas par hasard si celui-ci a pu se développer au sein de la partie du monde qui était chrétienne. Le christianisme a placé l’être humain au centre des préoccupations politiques et c’est une des influences évidentes du libéralisme, avec les traditions grecque et romaine. Les penseurs des Lumières avaient beau être contre les institutions religieuses, ils n’en étaient pas moins chrétiens de culture.




(Re)penser l’économie avec Werner Sombart

Les élèves des classes prégymnasiales du canton de Vaud ont la chance de pouvoir choisir une option spécifique «Economie et droit». Cette branche est dotée de quatre périodes par semaine et fait l’objet d’un examen de certificat en fin de 11e année. Au milieu du jargon propre aux pédagogistes, le Plan d’étude romand (PER) relève que «l’étude de cette discipline va développer chez l’élève un esprit critique et une autonomie de jugement.» Vaste programme… En s’approchant de plus près, on s’aperçoit que cette option spécifique reste bien classique, pour ne pas dire néo-classique, mâtinée de keynésianisme avec un soupçon de greenwashing. Si les élèves ont de la chance, ils pourront même apprendre à boursicoter, sous forme de jeu, grâce à une application en ligne. Rien de nouveau sous le soleil et ce malgré toutes les grandes déclarations du plan d’étude.

Dans ce contexte, il conviendrait de s’intéresser à la pensée de l’économiste allemand Werner Sombart (1863-1941), qui revient sur le devant de la scène avec différentes rééditions, études et même un manga.

Qui est Werner Sombart? Né en 1863 en Saxe, il rédige une thèse de doctorat, publiée en 1888, sur les structures économiques et sociales de la campagne romaine. Après un bref passage à la Chambre de commerce de Brême, il obtient un poste de chargé de cours à l’université de Breslau. C’est là qu’il découvre la pensée de Karl Marx. En 1896, il publie Le Socialisme et le mouvement social au XIXe siècle, qui connaîtra un grand succès tant en Allemagne qu’à l’étranger. Il introduit le terme «capitalisme» dans le monde universitaire avec son ouvrage monumental Le Capitalisme moderne en 1902. Quatre ans plus tard, il accepte un poste de professeur à l’école de commerce de Berlin. L’université de la capitale lui offre une chaire en 1917. Il conservera ce poste jusqu’à sa retraite en 1931, même s’il continue d’enseigner jusqu’en 1940, un an avant sa mort.

Afin de bien comprendre ce que peut nous apporter la pensée de Werner Sombart, resituons-le dans le courant de pensée issu de l’école historique allemande. Quelle est l’originalité de cette école économique?

L’école néoclassique triomphante durant le dernier quart du XIXe siècle explique les faits économiques en imaginant l’homo œconomicus, un être abstrait mû par son intérêt égoïste qui recherche uniquement le profit. Dès lors, on peut créer une sorte de monde où l’échange marchand est l’état naturel de toute société humaine sans tenir compte des contingences historiques et sociales. Il ne reste aux économistes qu’à découvrir les lois éternelles qui régissent les échanges. Et c’est ainsi que l’économie est devenue une «science», tout comme la mathématique ou la physique.

À mi-chemin des modèles marxiste et libéral

Face à cette vision abstraite et réductrice, les penseurs de l’école historique allemande vont souligner que les faits économiques n’obéissent pas à des lois intemporelles, mais qu’il faut prendre en compte les contingences historiques, sociales et politiques.
Cette démarche est résumée, par Max Weber et Werner Sombart, dans le premier numéro de la revue Archiv für Sozialwissenschaft (1904): «La tâche scientifique à laquelle notre revue devra se consacrer consistera à appréhender historiquement et théoriquement la signification pour notre civilisation de l’évolution capitaliste. Mais comme cette démarche s’appuiera, ou du moins devra nécessairement s’appuyer, sur le principe original que tout phénomène de civilisation est conditionné par l’économie, elle ne pourra que rester étroitement liée aux disciplines voisines que sont la science politique, la philosophie du droit, l’éthique sociale et les enquêtes de psychologie sociale ainsi que celles regroupées habituellement sous le nom de sociologie.»

Notre auteur n’est pas seulement un théoricien, il ose proposer des pistes de changement qui le situent à mi-chemin des modèles marxiste et libéral: privilégier la croissance économique dans un sens qualitatif, orienter la consommation vers «des formes de vie simples et naturelles», ne plus densifier les villes et reruraliser, supprimer certains types de publicité, repenser la concurrence au service du bien commun. De quoi nourrir bien des réflexions.

Werner Sombart nous fait comprendre que nous sommes bien plus que des homo œconomicus. Nous sommes des êtres culturels dont la vie ne se déroule pas de façon prévisible comme la terre tourne autour du soleil. Son analyse du capitalisme est plus que pertinente: consommation à outrance, agitation perpétuelle, uniformisation, etc. L’économie, même enseignée à l’école secondaire, devrait prendre plus largement en compte cette option sinon elle sera condamnée au psittacisme des manuels.

Guillaume Travers, Werner Sombart
Pardès, 2022
Werner Sombart, Comment le capitalisme uniformise le monde?
La Nouvelle Librairie, 2020.
Werner Sombart, Amour, luxe et capitalisme – Le gaspillage comme origine du monde moderne
Krisis, 2022.
Werner Sombart, Amour, luxe et capitalisme
Kurokawa, 2019. (manga)
«Werner Sombart»
Nouvelle Ecole, vol. 71, Paris 2022.




La grande peur des censeurs

En 2017, Elon Musk déclarait: «J’aime Twitter.» Un utilisateur lui répondait: «Alors achète la plateforme.» Ce à quoi le milliardaire répondait: «Combien ça coûte ?». Cinq ans plus tard, le patron de Tesla, accessoirement homme le plus riche du monde, est finalement devenu propriétaire de Twitter. L’autoproclamé «absolutiste de la liberté de parole» a déclenché des torrents de réactions abracadabrantesques en sortant 44 milliards de dollars de sa poche pour faire de Twitter la «plateforme de la liberté d’expression dans le monde».
Sans surprise, bon nombre de médias, de tweetos et de philosophes se devaient d’affirmer qu’Elon Musk venait de dépasser les bornes en concrétisant sa parole. Pensons à Jeffery Shaun King, militant des droits civiques : il utilise Twitter pour promouvoir des causes de justice sociale, dont le mouvement Black Lives Matter. Selon lui, le rachat de la plateforme par le milliardaire est un signe de l’affirmation du «pouvoir blanc» (white supremacy). Des propos validés par d’autres utilisateurs du réseau. Toutefois, la manœuvre repose sur d’étranges raccourcis: Elon Musk est blanc, d’origine sud-africaine. Il est par conséquent un suprématiste blanc.
Plus proche de nous, les médias français se sont fendus de colonnes tout aussi épouvantées. France Info a, par exemple, convoqué Olivier Lascar, rédacteur en chef du pôle digital de Sciences et Avenir – La Recherche et, visiblement, médium: «Elon Musk a un projet politique derrière la tête. Avec Twitter, il s’achète en réalité un instrument d’influence, une arme de communication massive qui lui permet d’avoir l’oreille des politiques et peut-être de trouver les amitiés nécessaires pour son développement.»
Le Nouvel Obs n’a pas montré davantage de finesse dans un article publié quelques heures après l’annonce du rachat: «La définition de liberté d’expression d’Elon Musk s’annonce bien éloignée de la nôtre.»
La «nôtre»? Le Nouvel Obs semble bien ignorant quant à cette notion. La liberté d’expression est complète ou n’est pas. Un point c’est tout. Et c’est John Stuart Mill qui le rappelle le mieux: «Il est étonnant que les hommes admettent la validité des arguments en faveur de la libre discussion, mais qu’ils objectent dès qu’il s’agit de les pousser jusqu’au bout, et cela sans voir que si ces raisons ne sont pas bonnes pour un cas extrême, c’est qu’elles ne valent rien.»
Le philosophe anglais poursuit, semblant pressentir à quel point la liberté de parole serait si violemment malmenée, 160 ans après ses écrits: «Il est étonnant qu’ils s’imaginent s’attribuer l’infaillibilité en reconnaissant la nécessité de la libre discussion sur tous les sujets ouverts au doute, mais pensent également que certaines doctrines ou principes particuliers devraient échapper à la remise en question sous prétexte que leur certitude est prouvée, ou plutôt qu’ils sont certains, eux, de leur certitude.» On ne saurait trop conseiller aux rédacteurs de L’Obs de se pencher sur le fameux De la liberté, écrit en 1859 par le Britannique proto-libertarien.
Un ouvrage à conseiller aussi au philosophe français Raphaël Enthoven, auteur d’une bombe de non-sens sur l’antenne d’Europe 1: «Il y a quelque chose de liberticide dans une liberté totale.» On attend avec impatience son potentiel prochain best-seller: «Il y a quelque chose de glacial dans la chaleur absolue».
En attendant, on peut continuer à se divertir jour après jour avec les provocations diffusées par Elon Musk sur sa plateforme. Une des dernières en date ? «Je vais racheter Coca-Cola pour remettre de la cocaïne dedans.»