« Je ne cherche pas la polémique pour la polémique »

Jonas Follonier, vous venez d’annoncer votre entrée au comité de ch-media, association de journalistes plutôt marquée à droite. Vous avez l’âme syndicaliste maintenant?

Pas du tout. ch-media (ndlr à ne pas confondre avec l’éditeur du même nom) est issu d’une scission avec impressum, qui est l’organisation principale des journalistes de Suisse romande et qui se définit elle-même comme un syndicat. L’association ch-media n’a pas de revendications de gauche et ses membres ont l’âme indépendante.

Mais concrètement, que peut une telle association, plutôt vieillissante, face à la force du nombre des journalistes de gauche?

Fédérer les membres qui croient à un journalisme diversifié, curieux et sérieux. Mais aussi favoriser les bons conseils des anciens, et nous permettre le bonheur de nous retrouver entre confrères sans le vivre comme une communion entre «gens bien». Nous ne nous prenons pas au sérieux à titre individuel; nous ne prétendons pas non plus avoir inventé le journalisme, mais préférons les moments de réflexion et de légèreté. Notre association délivre cependant des cartes de presse au même titre qu’impressum, sur la base de critères similaires.

Vous jugez vraiment qu’il n’y a pas de diversité dans notre métier?

Si, il y en a. Il y a même beaucoup plus de journalistes originaux que l’on croit. On en trouve dans tous les titres. Mais ils se sentent plutôt seuls à l’interne. De façon générale, les rédactions sont absorbées dans des modes, du prêt-à-penser et des façons de travailler qui se transforment en une forme de conformisme. Certains professeurs d’université ou artistes me partagent du reste le même genre de constats, et une impression de solitude les concernant, qui me préoccupe.

Vous-même, on ne peut pas dire que vous soyez ostracisé: vous êtes partout, et même à la télévision sur Léman Bleu…

Mais je ne me plains pas du tout, c’est autre chose que je dis. Je ne parle pas de moi, mais de l’état global du journalisme dans notre coin de pays et de l’évolution de cette vocation. Dans les grands médias, il n’y a plus beaucoup de «personnalités», à l’inverse de ce que l’on connaissait naguère. Et ce n’est pas parce que des démarches isolées comme celles du Regard Libre, de Bon pour la tête ou du Peuple existent et vont grandissant que cela signifie pour autant qu’il y a un équilibre. Mais qui sait, ça peut changer!

Vous êtes certes ouvertement de droite, mais très prudent sur les thèmes de société qui fâchent. C’est du calcul, de votre part?

Je ne me considère pas comme prudent, donc non il n’y a pas de calcul. Être nuancé, en revanche, est une question d’hygiène intellectuelle. Le récent essai de Jean Birnbaum, Le Courage de la nuance, m’a beaucoup parlé. Si une chose est vraie mais pas sexy, il faut la dire telle qu’elle est. Je ne cherche pas la polémique pour la polémique, mais dire la vérité ou exprimer des opinions implique parfois de créer des débats vifs; cela fait partie de notre métier.

En quoi la droite progressiste que vous incarnez diffère-t-elle réellement de la pensée de gauche, omniprésente dans les médias?

Il ne faut pas prendre le terme de progressiste au sens où on l’entend habituellement. On veut tous que demain soit meilleur qu’aujourd’hui et que l’on évolue vers une société meilleure. Pour certains, conservateurs ou même réactionnaires, cela passe par la préservation, voire par un retour à certaines idées ou pratiques. Revenir à une certaine autorité à l’école, par exemple, me semblerait certainement être un progrès.

Le Regard Libre a une ligne assez intellectuelle. C’est le bon pari pour remettre des idées de droite sur le devant de la scène?

Non (rires). Ce n’est pas suffisant, évidemment, et s’il n’y avait que nous, nous ne toucherions pas tout le monde. Notez que nous ne sommes pas contre la presse classique, mais que nous existons de façon complémentaire à cette dernière. Du reste, notre objectif est moins d’apporter des idées de droite dans l’opinion que de proposer des débats pluralistes, rendus difficiles par le wokisme ambiant, miroir du puritanisme américain.

Comment vous situez-vous par rapport à l’héritage chrétien, cher à nos lecteurs?

Je ne suis pas étranger à l’héritage libéral, et je pense que ce n’est pas par hasard si celui-ci a pu se développer au sein de la partie du monde qui était chrétienne. Le christianisme a placé l’être humain au centre des préoccupations politiques et c’est une des influences évidentes du libéralisme, avec les traditions grecque et romaine. Les penseurs des Lumières avaient beau être contre les institutions religieuses, ils n’en étaient pas moins chrétiens de culture.




« J’aime la guerre… des idées ! »

Marie-Hélène Miauton, vous venez de quitter la présidence du Conseil d’administration de votre institut MIS Trend. Comment vous sentez-vous?

Je me sens très bien! Il était temps de tourner cette page et de choisir un président plus jeune (ndlr François Huguenet, directeur de l’agence FTC Communication et ancien Conseiller communal lausannois Vert).

Votre successeur a une autre sensibilité politique que vous…

Oui, et c’est un excellent communicateur, même si je crois avoir aussi fait du bon travail dans ce domaine. Toute l’équipe va très bien s’en sortir sans moi, je ne me fais aucun souci.

Est-ce que ce pas de retrait signifie que l’on va moins vous entendre dans les débats de société?

On ne m’entendait déjà plus à propos de MIS Trend depuis que j’en avais quitté la direction opérationnelle, il y a 11 ans. Dans le fond, je crois que cette nouvelle donne ne va rien changer. Ce sont mes chroniques qui font parfois réagir les médias, de même que mes livres.

Votre actualité ne signifie donc pas que vous souhaitez une plus grande paix…

Ah non, j’aime la guerre ! Mais la guerre des idées bien sûr, pas celle qui brise des vies. Je crois que si on la mène avec ouverture, avec humour, en respectant le débat, en acceptant la contradiction, en ne condamnant personne pour ses opinions, alors les vraies guerres n’auraient pas lieu.

Vous avez le sentiment que cette hauteur de vue se perd dans notre société?

C’est malheureusement de plus en plus flagrant. La France et les États-Unis sont en avance sur nous de ce point de vue, mais ça nous menace. Enfin, tant que vous et moi nous pouvons nous exprimer sur la place publique, c’est que notre situation n’est encore pas désespérée.

On est entré dans une ère de la diabolisation?

Oui, toutes les idées n’ont malheureusement plus le droit de cité. Moi je pense qu’on ne peut évidemment pas accepter certains actes illégaux, de même que les attaques visant des personnes, mais toutes les idées oui. Je suis pour la liberté d’expression.

Mais comment expliquez-vous que vous ayez pu être si médiatique en incarnant une sensibilité, libérale-conservatrice, que vous jugez si malmenée?

Mais parce qu’il y a encore énormément de gens qui veulent entendre une voix comme la mienne! Nous sommes peut-être de moins en moins nombreux à exprimer des opinions de droite, mais cela ne signifie pas que nous soyons de moins en moins nombreux à les partager. J’imagine donc, et j’espère, que ma durabilité dans Le Temps correspond à la demande d’un lectorat.

Un domaine où cette offensive de la pensée unique est forte, c’est l’université. C’est votre grande inquiétude?

Oui mais ce n’est pas que l’université: ce sont les médias et les métiers du verbe en général. C’est l’instruction aussi. En fait, tout ce qui devrait être formateur est devenu formaté. Je le vois avec les programmes scolaires, la façon dont une forme d’endoctrinement se glisse un peu partout. L’histoire s’y prête évidemment très bien, la littérature aussi, mais le conditionnement alimentaire en fait également partie.

Pourquoi la droite a-t-elle perdu la bataille des idées, d’après vous?

Parce qu’elle a quitté les métiers du verbe, tout simplement. Si on avait une représentation équilibrée de la pensée de gauche et de droite dans les médias ou à l’université, le monde irait beaucoup mieux. C’est tout de même un monde que l’on constate en Suisse une relative majorité de droite dans les élections, mais que l’on soit intégralement menés par des idées de gauche.

A votre âge, pensez-vous être encore à même de comprendre ce qui préoccupe cette génération «woke», qui a la vingtaine?

Oui parce qu’il n’y a pas que ces jeunes-là dans notre société. Je crois même qu’ils sont une infime minorité, ce qui rend d’autant plus choquant qu’on ne parle que d’eux. Vous savez, j’ai des enfants, des petits-enfants, je connais leurs amis. Je ne suis pas coupée du monde au point de penser que toute la jeunesse est «woke». Les sondages d’ailleurs le prouvent.

Une autre de vos inquiétudes, c’est l’islam politique…

Oui. On a la chance, vous et moi, d’être nés dans une civilisation prodigieuse, et je ne veux certainement pas la voir s’affadir ou disparaître.

Mais s’affadit-elle réellement sous les coups de boutoir de cette communauté-là ? Ne reprochez-vous pas aux musulmans de ne pas être aussi morts que nous spirituellement?

Une bonne part de l’attractivité de la religion musulmane tient à notre propre désert spirituel, en effet. Je ne leur reproche donc certainement pas leur ferveur. J’aimerais que nos églises soient aussi pleines que leurs mosquées. Ce que je leur reproche, ce sont des principes, un art de vivre et une culture tellement différente de la nôtre qu’ils la détruiront. Je précise que je parle ici d’un islam intégriste tel qu’il est porté par les pays du Golfe.
Le fait d’avoir vécu ma petite enfance dans un pays musulman, le Maroc, me donne un regard très bienveillant sur une femme musulmane, avec sa foi sincère et non-envahissante, des enfants perdus dans ses jupons. J’ai vécu parmi ces gens et on ne peut pas m’accuser d’islamophobie. Mais l’islam politique nous a déclaré une forme de guerre et nous sommes en devoir de se battre pour nos valeurs.

C’est pesant, parfois, pour vous, d’être enfermée dans une image de femme de combat?

Il faut faire une différence entre la femme publique et privée. Qui je suis, réellement en tant que personne, peu de gens le savent. Beaucoup me disent qu’ils m’ont réellement découverte à travers le livre que j’ai sorti ce printemps après avoir marché sur la Via Francigena. Ils y ont découvert une sensibilité, des préoccupations, mon amour de la nature… Je suis très attachée à la pudeur et à l’intimité, vous savez.

Marie-Hélène Miauton, Chemins obliques, Editions de l’Aire, mars 2022