Au revoir l’esprit d’enfance

Ainsi le peuple souverain qui, après chaque victoire de la droite lors d’une votation en Suisse, se voit proposer un «nouvel effort de pédagogie» par la caste bobo des médias d’État, sans que personne rie au nez de celle-ci ou lui coupe le robinet à subventions. Pourquoi accepter d’être considérés comme adultes uniquement lorsque nous obéissons à nos bons maîtres, passant d’un cinquième vaccin à une nouvelle restriction de liberté individuelle sous couvert de responsabilité et de sobriété? N’y a-t-il pas au cœur de la philosophie politique de ce pays un beau concept qu’on appelait naguère la responsabilité individuelle?

Dans ce numéro, nous avons voulu approfondir notre réflexion sur cette infantilisation ambiante. Infantilisation des citoyens, nous l’avons dit, mais aussi des parents et, plus douloureuse, des croyants. Bien que soucieux de faire vivre un héritage civilisationnel chrétien, il nous fallait en effet nous demander si le climat moral dans lequel nous nous débattons n’est pas l’aboutissement logique d’une foi qui nous demande de nous montrer «semblables à de petits-enfants» (Luc 18:16). Peut-être n’est-il toutefois pas inutile de rappeler d’emblée que cette religion qui, effectivement, prônait l’innocence et nous envoyait dans le monde «simples comme des colombes» exigeait aussi également de nous que nous soyons «rusés comme des serpents» (Matthieu 10:16).

Diantre, un journal qui cite l’Evangile! Eh oui, car les écrivains qui nous ont révélé la profondeur de l’esprit d’enfance authentique, ceux qui refusaient d’être vaincus par la vie, par les régimes politiques qui devaient les emmener au paradis sur terre, ces écrivains, donc, trouvaient leur force dans la foi. Ainsi Péguy qui faisait dire à Dieu: «Sans ce bourgeon qui n’a l’air de rien, qui ne semble rien, tout (…) ne serait que du bois mort». Ainsi Bernanos (voir page 7) qui, se levant face aux horreurs du totalitarisme, faisait appel à l’enfant qu’il avait été, «le plus mort des morts», mais qui l’heure venue, devait reprendre «sa place à la tête de sa vie», rassemblant ses «pauvres années jusqu’à la dernière», «et comme un jeune chef ses vétérans, ralliant la troupe en désordre, entrera le premier dans la maison du père». N’est-il pas significatif que ces deux géants aient beaucoup côtoyé la figure de sainte Jeanne d’Arc, partie au combat pour la liberté avec la seule force d’une espérance folle?

Si nous devons nous montrer «semblables à des enfants», ce n’est donc plus en acceptant de nous soumettre en tant que citoyens. Il ne s’agit pas d’abdiquer le sens de l’honneur, ce précieux sens de l’honneur que les chrétiens tiraient de leur conviction d’avoir été créés à l’image de Dieu (avant que des boomers ne transforment leurs Eglises en ONG). Il s’agit d’oser prendre tous les risques, de refuser ce Diable dont parlait Bernanos, et qui s’appelait «A quoi bon?». Au Peuple, nous avons fait le pari de refuser l’esprit de découragement. Malgré la fragilité de notre entreprise, dans tous les sens du terme, nous poursuivons davantage qu’un projet: un combat contre la post-démocratie autoritaire qui se met en place sous nos yeux. Cette dernière, et c’est sans doute la leçon à garder de cette édition, trahit ce que nous avons de plus sacré en nous: le souvenir des enfants que nous fûmes, avant que la vie, inévitablement, ne nous blesse.




Le béton sauvera la culture

Bien entendu, des coupes sont prévues dans tous les domaines: administratif, matériel, et, comme tout le monde doit mettre la main à la pâte, la culture. Notamment une coupe de 200 000 francs annuels au chapitre «soutiens à la création artistique». Rassurez-vous, la Ville en met toujours 200 000 à disposition.

Mais rien à faire: sacrilège ultime que voilà! Pris de vilaines suées, les membres du collectif «Bienne pour tous», sortant de leur torpeur dès qu’une menace financière contre leur petit confort pointe à l’horizon, se sont mobilisés. Ils se sont tout d’abord réunis en ville, deux ou trois soirs de suite. Mais ils ont aussi rédigé une lettre à l’intention des politiciens biennois. On peut y lire que cette coupe de 200 000 francs dans la culture est «contre-productive pour la diversité et la vitalité de Bienne». «Bienne pour tous» estime également que le Conseil municipal «dépasse ses objectifs» (on rappelle que la dette de la Ville se monte à plus de 800 millions de francs). En lieu et place de coupe, le collectif propose une solution que l’on qualifiera pudiquement d’audacieuse: construire des logements afin de générer des recettes. Ironique sachant que le groupement fait aussi part de ses inquiétudes quant à l’entretien des espaces verts.

Détail piquant: en retournant la lettre dans tous les sens, pas une phrase, pas un mot sur la décision de la Ville de Bienne d’augmenter la quotité d’impôts. Celle-ci passera de 1,63 à 1,78, soit une hausse de 20 francs par mois pour un revenu de 50 000 francs annuels. La mesure est jugée «la plus solidaire» et «nettement défendable» par le maire socialiste de Bienne, Erich Fehr.