De la télévision à Hollywood : hommage à William Friedkin 

Dans la fraîcheur de la nuit, un homme en soutane approche inexorablement d’une résidence du quartier aisé de Georgetown, à Washington D.C. En plein cœur des ténèbres, il fait face, seul, à l’horreur : des cris démoniaques, vociférés d’une fenêtre baignée d’une lueur sépulcrale. 

Quel spectateur n’a pas souvenir de l’arrivée du père Merrin (interprété par Max von Sydow), protagoniste de L’Exorciste(1973), qui est sur le point d’affronter le démon qui a pris possession de la petite Regan MacNeil (Linda Blair) ? Le film est toujours considéré par certains comme la meilleure histoire d’horreur jamais tournée ; sa mise en scène est signée par un nom devenu légendaire : William Friedkin (1935-2023). 

Auteur phare du Nouvel Hollywood, ce mouvement cinématographique qui a favorisé l’émergence de grands noms comme Steven Spielberg (1946) ou Martin Scorcese (1942), Friedkin est l’héritier de deux mondes bien distincts : celui de la télévision d’une part, et celui du théâtre de Broadway d’autre part. Cet héritage s’est clairement reflété au fil de sa filmographie. En effet, son travail ne se résume pas à French Connection (1972) ou à L’Exorciste, quand bien même ces films constituent des œuvres clefs du cinéma des années 1970. Rappelons qu’il est également l’auteur de plusieurs adaptations de pièces de Broadway telles que le fantasque Les garçons de la bande (1970) ou le paranoïaque Bug (2006), probablement un de ses films les plus réussis. 

Friedkin en 2017. (GuillemMedina/Wikimedia Commons)

Le cinéma de William Friedkin, c’est en résumé la mise en scène de personnages acculés, se trouvant dans des situations apparemment inextricables. Des individus dos au mur autrement dit. On connaît la passion et la nature opiniâtre du metteur en scène : tirer le meilleur de ses comédiens en leur faisant travailler minutieusement leur rôle, les pousser à bout de temps en temps afin qu’ils libèrent leur énergie créatrice. À cet égard en tout cas, il est bien proche de David Lynch (1946) ou encore, pour établir un parallèle plus exotique, de Kenji Mizoguchi (1898-1956), un des grands noms du cinéma japonais. Peut-être qu’il n’exprime pas une vision du monde aussi définie que des artistes comme Clint Eastwood (1930), mais il est assurément en mesure de raconter des histoires émotionnellement intenses, prenantes, et qui donnent souvent à réfléchir. Il a affirmé avoir adapté un film comme L’Exorciste parce qu’il souhaitait se poser des questions sur l’importance de la foi (juive dans son cas) ; le film peut être interprété comme un récit où la laïcisation grandissante de la société américaine va de pair avec la propagation des forces du mal. Les seuls personnages pouvant lutter contre cette menace se trouvent être des prêtres, des représentants de la foi chrétienne par excellence. Dans Bug, Agnes White (Ashley Judd) et Peter Evans (Michael Shannon) forment un couple mortifère. Ils sombrent progressivement dans la folie en s’isolant du monde extérieur, donc de la réalité. Ils sont convaincus qu’ils sont les victimes d’une machination qui vise à les éliminer. Le scénario du film fait référence aux théories du complot qui ont essaimé à la suite de la tragédie du 11 septembre ; les protagonistes s’enferment dans un délire de persécution que l’audience finit par partager grâce à une mise en scène immersive et déroutante.

De manière générale, le cinéaste mise sur des scénarios peuplés d’êtres troublés, en demi-teinte ; anti-héros illustrant à merveille la condition humaine. Il les tourne avec une esthétique proche du documentaire, viscérale et authentique. Friedkin est un véritable conteur d’images, un homme qui demeure une influence certaine pour les apprentis cinéastes. Un auteur à (re)découvrir, assurément.