« Les mamans au foyer sont aussi de vraies actrices du tissu social »

Nous poursuivons ici notre travail au sujet du passage, prôné par les « sept sages », à l’imposition individuelle. Un changement de modèle dont l’un des buts avoués consiste à pousser tous les parents à travailler hors du foyer. Nous avons donné la parole à une famille admirable qui regrette la guerre culturelle qui la vise.

Comprenez-vous que le Conseil fédéral (et surtout une femme de droite, la PLR Karin Keller-Sutter) attaque le modèle que vous avez choisi ?

Kévin : Oui, je peux le comprendre, car le Conseil fédéral peut difficilement se projeter dans une vie de famille avec quatre enfants ; sur sept conseillers fédéraux, quatre n’ont pas d’enfant (Karin Keller-Sutter, Viola Amherd, Guy Parmelin, Ignazio Cassis). Ils ne réalisent donc pas les impacts qu’une telle réforme peut avoir sur des familles et surtout sur les enfants. Ils doivent visiblement penser que la réussite d’une société se traduit uniquement au travers du PIB puisqu’ils souhaitent « inciter davantage les deux conjoints d’un couple marié à exercer une activité lucrative ». Ils disent que « cette réforme devrait avoir un effet positif sur l’emploi ». De mon côté, je me pose les questions suivantes « a-t-on considéré les effets sur le développement et l’éducation des enfants ? », « Quels sont les impacts à long terme sur une société ? » ou encore « Est-ce que l’argent est la seule boussole pour prendre ce genre de décision ? ».

A cette question, son épouse Claude-Aline ajoute :  Pénaliser les familles avec un seul revenu revient à influencer le choix de vie des couples, il ne me semble pas adéquat que le Conseil fédéral intervienne là-dedans. En effet, il revient aux ménages de choisir quel modèle leur convient le mieux. Il y a déjà suffisamment de contraintes financières pour décourager ce modèle. En 2023, il est difficile de faire vivre une famille avec un seul salaire. Pourtant, la maman au foyer libère des places en crèche et en accueil parascolaire, elle ne touche pas de congé maternité et évite à son conjoint d’utiliser des jours de congé pour enfants malades. Ce n’est pas négligeable ! Il y avait une inégalité dans l’imposition des couples mariés, il est bien dommage d’en créer une nouvelle avec cette réforme de l’imposition individuelle. 

Avez-vous le sentiment qu’une persécution de la famille se met en place ?

Kévin juge le terme un peu fort : Le Conseil fédéral souhaite « viser un allégement de la charge fiscale pesant sur les couples mariés ». Je trouve cela très positif. En regardant l’objet en détail, je constate que nous serons en réalité pénalisés par cette réforme. Cela me dérange beaucoup et je me sens attaqué ; « Le projet ne prévoit aucune déduction spéciale pour les ménages ne comptant qu’un adulte ou pour les couples mariés ne disposant que d’un revenu ou d’un revenu principal et d’un revenu secondaire faible ». Une imposition individuelle est peut-être la voie à suivre, mais en veillant à ne pas pénaliser le modèle « traditionnel » qui, semble-t-il, a plutôt bien fonctionné jusqu’à présent. Aujourd’hui, c’est vrai que nous ressentons une forte pression financière liée aux loyers, frais de santé, coûts de l’énergie et aussi l’inflation. Je constate qu’il est maintenant difficile de porter une famille (4 enfants) avec un seul salaire. Une telle initiative est donc frustrante pour nous, car elle va nous pénaliser.

Pourquoi avoir choisi ce modèle ?

Claude-Aline explique : Lorsque j’étais enceinte de notre premier enfant, je devais reprendre le travail à 60%, et j’étais heureuse de ce projet. Très rapidement après sa naissance, il m’a semblé évident que je voulais passer beaucoup plus de temps avec mon enfant. J’ai décidé de changer de travail pour un poste à 30%. C’est très personnel, mais je ne me suis jamais sentie épanouie dans cette situation. À la naissance de notre deuxième enfant, il était évident pour moi que je deviendrais mère au foyer. J’ai la chance d’avoir un mari qui a accepté d’être le seul responsable de l’apport financier de notre ménage. Nous avons dû déménager pour diminuer nos charges et réfléchir à des solutions pour que notre ménage tienne le coup financièrement. Cela fait désormais quatre ans que j’ai arrêté de travailler et deux enfants sont venus compléter notre famille. L’équilibre que nous avons trouvé est précieux pour moi, pour notre couple et pour nos enfants.

Quels sont les avantages d’un tel modèle ?

Kevin : Premièrement, cette organisation nous permet d’avoir beaucoup de disponibilités pour les enfants. Le fait que mon épouse soit maman au foyer me permet une grande flexibilité au travail et un investissement plus important durant les périodes chargées. Je pense être un meilleur employé parce que ma femme est à la maison. Nous pouvons aussi profiter des vacances ensemble sans devoir alterner et jongler avec les gardes d’enfants. Je suis reconnaissant de savoir que mes enfants sont avec ma femme et que c’est elle qui s’en occupe durant mon temps de travail. Nous sommes d’accord sur la manière de les éduquer et je sais qu’elle leur transmet des valeurs qui nous sont chères.

Claude-Aline confirme : Notre rythme est bien plus agréable maintenant et c’est pour moi une grande joie de pouvoir être présente pour mes enfants à tous les repas, de pouvoir les amener et les chercher à l’école, de les accompagner à leurs différentes activités, d’avoir le temps de jouer avec les plus petits, de pouvoir écouter les plus grands, etc. Je suis également épanouie dans notre organisation conjugale. Évidemment que je m’occupe plus du ménage, de la cuisine et de la lessive que mon mari, mais il est conscient de tout ce que je fais et m’apporte une grande aide pour la fin de la journée. Ce choix a aussi permis d’avoir des weekends plus agréables, sans devoir courir faire les courses et enchaîner les lessives. 

Quel est le rôle d’une maman au foyer dans notre société ?

Claude-Aline : Je ne me suis jamais sentie aussi utile à la société maintenant que je suis à la maison. Cela en fera sûrement sourire plus d’un, mais le seul lieu où je suis irremplaçable, c’est bien ici, auprès de mes enfants, alors que dans n’importe quel emploi, aussi important soit-il, une autre personne peut le faire à ma place. Les mamans au foyer sont aussi de vraies actrices du tissu social, par leur disponibilité et leur flexibilité. En effet, leur emploi du temps leur permet de donner des coups de main à gauche à droite, de s’investir dans les sociétés locales, d’aider la voisine à monter ses courses, d’accueillir une connaissance en difficulté, d’apporter un repas à une jeune maman, d’aider aux devoirs surveillés ou encore d’accompagner les courses d’école. Toutes ces petites contributions aussi modestes soient-elles me semblent bien importantes pour la société. Évidemment, je suis aussi convaincue que les mamans au foyer apportent beaucoup en étant présentes à 100% pour leurs enfants. Il est dommage de réduire chaque personne au montant d’argent qu’elle génère et en omettant toutes les choses qui ne se paient pas, mais qui permettent à la société de garder un semblant d’humanité.

Propos recueillis par Raphaël Pomey
Illustration principale: Kelly Sikkema/Unsplash